C'est de Donald Gordon que nous voulons parler. Donald Gordon, le tsar du contrôle du commerce et des prix, le tsar du rationnement, le "Bernard Baruch" du Canada.
Avec tous les pouvoirs en main, Donald Gordon échoue. Et quand il échoue, il insulte le public.
C'est la méthode des bureaucrates et des banquiers. Ils fabriquent des moules, ils imposent des règlements. Le moule, les règlements peuvent ne pas du tout convenir à l'homme. N'importe. Nos artistes ont décidé que l'homme entrerait dans le moule, même s'il faut tailler l'homme ; ils ont décidé que l'homme plierait aux règlements, même s'il faut le meurtrir.
Et quand, malgré leurs coupes et malgré leurs lacérations, ils ne réussissent pas à nous garder dans leurs moules et dans leurs règlements, ils se font moralistes et nous accusent de tous les péchés capitaux. Eux ont de l'idéal, mais nous manquons de vertu.
Ce fut le thème de Donald Gordon dans son discours à la Convention des Hebdomadaires Canadiens à Toronto, le 14 août dernier.
Pour les réflexions qui suivent, nous nous inspirons largement de l'éditorial "Heading Into Inflation", paru dans Today and Tomorrow du 19 août.
M. Donald Gordon est chargé de mater l'inflation.
Il y a inflation lorsque les prix se mettent à monter. Quelles qu'en soient les causes, c'est la hausse déchaînée des prix qui constitue l'inflation.
C'est donc à empêcher l'ascension des prix que doit s'appliquer M. Donald Gordon, avec l'aide de son équipe d'experts.
Et au mois de décembre 1941, Donald Gordon, qui a les mains libres comme un dictateur dans l'exercice de ses fonctions, décréta le plafonnement des prix.
Donald Gordon décréta que les prix devraient rester à ce qu'ils étaient au mois d'octobre précédent. Et Donald Gordon conclut sans doute que l'inflation était conjurée. Puisqu'il défendait aux prix de monter, les prix ne monteraient plus.
Par ailleurs, Donald Gordon possède toute une armée de fonctionnaires pour voir à l'exécution de ses ukases. Il dispose aussi de moyens puissants :
Sanctions sévères contre les délinquants ;
Surveillance et espionnage ;
Délation et mouchardage encouragés ;
Régime des permis ;
Rationnement de maints produits ; etc., etc.
Au mois de mars dernier, monsieur Gordon déclarait avec une fière satisfaction que, depuis le plafonnement de décembre 1941, l'index officiel n'accusait aucune hausse du coût de la vie.
C'était un bulletin de victoire.
Mais, dans tout le pays, ce bulletin de victoire provoqua une explosion d'étonnement. Aucune hausse du coût de la vie dans les dix-huit mois ? Acheteurs et acheteuses n'en revenaient pas.
La hausse du coût de la vie pinçait tout le monde. Mais les manipulateurs de chiffres des bureaux de Gordon réussissaient à prouver à leur capitaine que le coût de la vie n'avait pas monté. Donc le coût de la vie n'avait pas monté.
Ménagères qui gémissiez devant des prix augmentés, vous étiez dans la lune. Les prix ont renchéri chez votre marchand ; mais les papiers des bureaucrates disent que les prix sont restés stationnaires : c'est officiel — donc les prix sont restés stationnaires. Foi aveugle, mesdames, et taisez-vous.
Mais voici que, le 15 août dernier, Donald Gordon crie que son prafond crève en maints endroits. Il craquait dès avant mars, son plafond, mais il ne l'entendait pas : l'index de son bureau enregistrait solidité.
Puis, si son plafond crève, c'est la suite naturelle de mesures, dont plusieurs émanées de son propre bureau, mesures qui, en elles-mêmes, forcent les prix à monter.
Mais Donald Gordon n'admettra jamais ni son incompétence, ni le vice de son système. Tout ce qui vient de lui est bien. C'est uniquement la faute du public : manque de collaboration, cessation de collaboration. C'est le cœur de l'homme qui est mauvais : les banquiers ne nous l'ont-ils pas toujours dit et fait dire ?
Le banquier Gordon, devenu le rationneux Gordon, ne raisonne pas autrement. Écoutez-le :
"Les contrôles du temps de guerre perdent l'appui actif du public, dont ils bénéficiaient sous le stimulant d'une défaite possible ou d'une victoire reculée...
"Les pressions pour forcer les plafonds se font sentir de tous les côtés à la fois. Les ouvriers sont belliqueux pour réclamer des augmentations de salaires sur toute la ligne. Malgré le plafonnement imposé aux salaires, les demandes d'augmentation pleuvent par milliers ; or, dès qu'un rajustement de salaire succède à un autre, les coûts de production s'élèvent, et la pression sur le plafond des prix devient vite insupportable.
"Les prix des aliments grimpent sans cesse, parce que les cultivateurs insistent pour obtenir des prix plus élevés pour leurs produits, et ils les obtiennent sous l'urgence de l'insuffisance d'approvisionnements essentiels."
Ainsi, d'après Gordon, le plafond crève, parce que les ouvriers manquent de patriotisme et d'esprit de sacrifice ; parce que les industriels ne sont pas assez vertueux pour ignorer les augmentations dans leur prix de revient ; parce que les cultivateurs ont perdu leur esprit d'abnégation et ne consentent plus à donner leurs produits pour une bagatelle.
"Bien des gens, dit-il, rassasiés des restrictions et des contrôles, tendent à laisser l'égoïsme dominer leur jugement."
N'est-ce pas ineffable d'entendre ces banquiers et ces bureaucrates de la haute prendre des airs de souverains pontifes et prêcher le renoncement à l'argent et aux biens de la terre ? Il serait intéressant d'examiner leur cas et de visiter leurs manoirs.
L'inflation est un mal désastreux. Tout le monde est d'accord là-dessus. Mais M. Gordon et ses paperassiers feraient peut-être bien de chercher ailleurs que dans l'égoïsme des autres la cause des trouées faites dans leurs plafonds.
Il est manifestement absurde, pour Donald Gordon ou n'importe qui, de prétendre établir un plafonnement efficace des prix sous le système financier actuel. Même à coups de décrets.
Le système financier actuel est, par lui-même, inflationnaire ou déflationnaire. Inflationnaire pour alimenter les périodes d'activité. Déflationnaire pour les contractions de crédit qui créent le chômage. Et comme la guerre est une période d'activité intense, c'est de la pédale inflationnaire que le système joue.
Il faut bien, pour financer un développement dans l'emploi, une injection d'argent ou de crédit nouveaux. Cette injection, sous le système actuel, se fait par des prêts à la production. Ces prêts exigent remboursement avec intérêt. Les prix doivent récupérer l'emprunt distribué, plus l'intérêt non distribué. Donc l'intérêt commande l'inflation.
Puis, les prêts à la production de guerre font monter la dette publique, et le gouvernement entre immédiatement en scène, avec son appareil de taxation, pour plusieurs raisons : pour servir annuellement un intérêt augmenté sur une dette augmentée ; pour diminuer le pouvoir d'achat de la masse afin que la production civile soit découragée et que le travail se tourne vers la production de guerre ; pour subvenir aux paiements de la nuée de fonctionnaires nécessités par une bureaucratie sans cesse grandissante.
Or, les taxes qui frappent les producteurs doivent bien entrer dans le prix des produits. Décrets ou pas décrets, il y a un minimum de prix qui doit être satisfait. Tout producteur doit recouvrer au moins ses frais, taxes y comprises, s'il ne veut pas faire banqueroute.
Quant aux taxes qui frappent les consommateurs, elles diminuent leur pouvoir d'achat en même temps que les taxes sur les producteurs augmentent les prix. C'est un double écart, et ceux des consommateurs qui vivent de salaires vont naturellement demander une augmentation pour y faire face. Les cultivateurs, pour la même raison, vont vouloir hausser leurs prix de vente. Ce n'est pas de l'égoïsme, c'est de l'arithmétique.
Au lieu de blâmer le cœur de ceux qu'il rationne, pourquoi M. Gordon ne s'en prend-il pas au système qu'il adore ?
* * *
D'autres torpilles encore assaillent les plafonds de M. Gordon.
La diminution de la production civile en est une. Plus il sort de produits d'une manufacture dans un temps donné, moins l'unité coûte cher, et moins il en sort, plus l'unité coûte cher. Comme le gouvernement, et Gordon lui-même avec ses coupons de rationnement, décrètent la diminution de la production civile, ils décrètent donc, par voie de conséquence, l'augmentation du prix de revient de chaque unité. Qu'ils se frappent la poitrine.
Il y a aussi le facteur efficacité. L'enrôlement militaire et la production de guerre absorbent le plus grand nombre des travailleurs expérimentés de tout genre. La production civile doit se contenter de ceux qui restent, d'apprentis, d'incapables, de vieillards, d'enfants. Comment veut-on que les prix de revient n'augmentent pas ?
La difficulté croissante, pour les producteurs, d'obtenir la matière première occasionne des pertes de temps, des pertes d'approvisionnements rendus inutilisables par défaut d'autres ingrédients ou d'outils nécessaires, et le tout se traduit en augmentation du prix de revient.
Puis, que de temps perdu, tout le long de la production et de la distribution, par les douzaines de formules à déchiffrer et à remplir en double ou en triple ; par les permis à solliciter et à attendre ; par les coupons à vérifier, détacher, compter, expédier ! On n'a pas fini de placer une formalité dans l'engrenage qu'il en vient une autre. Le personnel est dérouté, fatigué, retardé, énervé. Tout cela rejaillit dans les prix de revient. C'est une fameuse torpille qui sort directement de la fabrique à Donald Gordon.
Il y a d'autres causes d'inflation encore. Mais en voilà assez pour que Gordon cesse d'insulter les ouvriers, les cultivateurs et le public. L'inflation naît dans le système bancaire, dans les taxes, dans la conscription militaire, dans le service sélectif, et dans les bureaux de rationnement de M. Gordon. Même des mesures destinées à enrayer l'inflation produisent exactement l'effet contraire.
Un Gordon créditiste comprendrait cela et prendrait d'autres moyens : il les trouverait exposés dans les ouvrages du Major Douglas. Mais un Gordon créditiste pourrait-il occuper la position qu'occupe un Gordon banquier ? Pas tant que la finance est en selle et les gouvernements en croupe.
L'Union des Électeurs sait cela et monte ses forces en conséquence.