Dans tous les pays, dès son apparition, le Crédit Social a été boycotté par la presse contrôlée. Si certains quotidiens se sont oubliés pendant quelque temps, ils n'ont pas tardé à rentrer "dans l'ordre".
En Angleterre, l'un des points au programme du groupe créditiste de M. John Hargraves, c'est de briser le boycottage du Crédit Social par les journaux. À cette fin, plusieurs de ses hommes s'engagent à écrire aux journaux trois lettres par semaine. De temps en temps, quelques-unes de ces lettres se glissent en tribune libre.
C'est sans doute tout ce que peuvent faire pour le moment les créditistes anglais. Leur nombre n'est pas encore bien grand ; ils développent leur agressivité par ces sortes d'actes de commandos.
Nous, créditistes de Nouvelle-France, constituons une force autrement importante par le nombre et par l'organisation. Il est temps pour les journaux de cesser de nous boycotter s'ils ne veulent pas être boycottés en retour.
Pour un journal, qu'est-ce que boycotter le Crédit Social ? C'est interdire ses colonnes à tout ce qui est Crédit Social ou mouvement créditiste.
Pour un créditiste, qu'est-ce que boycotter un journal ? C'est lui interdire l'entrée dans une maison créditiste.
Les créditistes doivent-ils boycotter un journal qui les boycotte ? Indubitablement, oui. Les créditistes seraient des imbéciles s'ils se laissaient traîner au rebut lorsqu'ils ont les moyens de se faire respecter. Ils manqueraient de stratégie et ne seraient pas sérieux dans leur lutte, s'ils ne se servaient pas de chaque force acquise pour en acquérir de nouvelles.
Plusieurs journaux, peut-être, excluent le Crédit Social et le mouvement créditiste de leurs rapports, parce qu'ils ne savent rien, ou à peu près rien, du Crédit Social ou du mouvement créditiste. Ils reçoivent bien chaque jour les grandes dépêches mondiales. Mais les grandes dépêches mondiales sont bien plus occupées des revendications des financiers apatrides et des communiqués des belligérants que du Crédit Social.
Il convient donc, en toute honnêteté vis-à-vis des journaux, de commencer par leur faire savoir qu'il existe telle chose que le Crédit Social, et qu'il existe au Canada d'autres créditistes que les sept ou huit qui ont l'avantage de parler aux Communes d'Ottawa. Nos journaux canadiens-français ont besoin qu'on leur fasse remarquer qu'il y a un mouvement créditiste dans leurs propres villes et dans toute la province : ils peuvent l'ignorer d'assez bonne foi. Donnons-leur au moins le bénéfice du doute et commençons par leur parler.
Qui doit dire aux journaux qu'il existe un mouvement créditiste et qu'il serait opportun pour eux d'en donner des nouvelles ? Les créditistes eux-mêmes, tous les créditistes du territoire couvert par le journal qu'on décide d'avertir.
Pour faire entendre un maximum de voix avec le minimum de dérangement, il est recommandable de préparer une formule qui explique respectueusement, mais fermement, à la direction du journal que ses lecteurs créditistes sont mortifiés de constater l'ignorance totale de leur mouvement dans les colonnes du journal. Ils exigent un changement d'attitude.
Cette formule circule, aligne les signatures et est envoyée à la direction du journal.
Si le journal se rend, le point est gagné. Nous ne demandons évidemment pas à un journal de se déclarer pour le Crédit Social. Nous lui demandons de publier les nouvelles des activités créditistes, avec la même générosité qu'il publie les nouvelles des assemblées ou des radiodiffusions des libéraux, des conservateurs, de l'Union Nationale, du Bloc Populaire Canadien, des présidents de banque, des clubs Kiwanis, voire du Club des Optimistes.
S'il y a place dans les journaux, sans les salir, pour des discours de banquiers, il doit bien y avoir place pour les discours, pas plus bêtes, des dirigeants créditistes.
Si un journal n'a pas peur qu'on l'accuse de partisannerie parce qu'il parle des libéraux quand ils bougent, des autres groupes politiques ou divers quand ils bougent, pourquoi craindrait-il d'être accusé d'adhérence au Crédit Social en parlant des créditistes quand ils bougent ?
Une fois les représentations envoyées au journal, il faut lui adresser quelques communiqués, de différentes places de son territoire, pour voir s'il les acceptera ou s'il les refusera systématiquement. S'il les refuse systématiquement, il ne peut plus plaider ignorance ou pénurie d'information. Il s'agit, de sa part, d'une ligne de conduite à laquelle il adhère.
Les créditistes n'ont pas à entrer en discussion avec le journal sur les motifs qui lui dictent sa ligne de conduite : c'est l'affaire du journal et de son administration. Mais les créditistes ont affaire avec le service qu'ils obtiennent de ce journal. S'ils sont mal venus auprès du journal, ils n'ont qu'à réciproquer la politesse.
C'est alors que les créditistes abonnés au journal qui les boycotte ont une chose très simple à faire : Prendre une feuille de papier blanc et écrire, en deux ou trois phrases, à la direction du journal qui les ignore obstinément, qu'ils cessent leur abonnement. Ou encore que, une fois leur abonnement expiré, ils ne le renouvelleront pas.
Mais, et c'est très important — il faut dire pourquoi. Il faut que la direction du journal sache pourquoi elle perd son abonné. Refuser l'abonnement à l'agent ne produit pas le même résultat, à moins de le faire savoir à la direction. Écrire par exemple :
"Monsieur, je ne renouvelle pas mon abonnement à votre journal, je l'ai refusé à l'agent, parce que votre journal est injuste envers les créditistes. — (Signé) N........"
Quelle efficacité ce boycottage aura-t-il ? Les résultats le démontreront.
Tout le monde sait qu'un journal ordinaire ne vit pas de ses abonnements, mais des annonces qu'il obtient. Mais ce qu'il faut aussi savoir, c'est que lorsque l'abonnement est plus gros, les annonceurs paient mieux. Au contraire, lorsqu'ils apprennent que le chiffre de l'abonnement diminue, les annonceurs demandent une diminution des taux d'annonce.
Là où les autres arguments échouent, l'argument de la caisse peut avoir plus de succès.
En tout cas, les créditistes n'auront plus l'humiliation de lécher la main qui les frappe, de payer un journal qui les traite en parias ou en hors-la-loi.
Ceci s'applique aux journaux hebdomadaires tout aussi bien qu'aux journaux quotidiens. Surtout à ceux qui se font passer pour indépendants. On admettrait encore qu'un journal de parti, qui craint la force politique des créditistes, leur fasse la guerre du silence lorsqu'il a peur de la guerre ouverte. Mais un journal prétendu indépendant n'a pas cette excuse, et son silence est une insulte que les créditistes ne supporteront pas.