Sous ce titre, L'Économique et l'Humain, M. Maurice Tremblay, de l'École des Sciences Sociales de l'Université Laval (l'école du Père Lévesque), faisait, le 15 janvier, une causerie reproduite depuis dans Ensemble du mois d'avril. Causerie replète de principes que les créditistes, comme tous ceux qui croient à la coopération plutôt qu'à la lutte entre les hommes, comprennent parfaitement :
"La matière est pour l'esprit... L'activité économique consiste dans l'adaptation des biens matériels aux besoins humains. Un régime économique qui n'est pas ordonné au service de l'homme, qui ne tend pas à assurer à chacun des membres de la communauté humaine les biens nécessaires à sa subsistance et au plein épanouissement de toutes ses virtualités — ce régime manque sa fin et asservit l'homme au lieu de le servir."
Plus loin :
"L'économique n'est plus (aujourd'hui) pour l'homme ; mais l'homme et l'économique sont pour l'argent, qui est bien la forme la plus subtile qu'ait pu prendre la matière pour étouffer l'esprit."
En fait de marchés étrangers et de sources de guerre, M. Tremblay sera compris de tous nos lecteurs :
"Le plus tragique est que ce même régime économique, qui engendre la misère au sein de l'abondance, comporte un déterminisme presque incœrcible à la guerre... Le manque de pouvoir d'achat à l'intérieur doit être récompensé par la recherche de marchés étrangers. C'est ainsi que la concurrence est transposée dans le domaine international. Engagée d'abord sur le seul plan économique, la lutte ne tarde pas à passer sur le plan politique. L'État intervient sous prétexte de protéger la production nationale, et c'est l'apparition du nationalisme économique et de l'impérialisme plus funeste encore. Les états entrent ainsi eux-mêmes, comme tels, dans la concurrence aux débouchés ; toute leur politique extérieure s'en inspire : c'est la concurrence sans pitié et c'est bientôt la guerre."
M. Tremblay parlait pour le coopératisme. Le coopératisme, comme le Crédit Social — l'un dans le plan privé, l'autre dans le domaine public — l'un dans l'usage de l'argent, l'autre dans la source de l'argent — veulent replacer le consommateur sur son trône de souverain de l'économique.
"Le vice du système capitaliste, dit-il, est d'avoir inverti et perverti l'ordre économique ; d'avoir détourné la consommation vers la production et celle-ci vers le capital ; alors que normalement le capital devrait être ordonné à la production et la production à la satisfaction des besoins humains du consommateur, seule fin naturelle de toute l'activité économique."
Ce que les coopérateurs disent du capital, les créditistes le disent de la finance, de l'argent dès sa naissance.
Mais comme tout est renversé aujourd'hui, c'est une véritable révolution qu'il faut faire, il faut tourner dans l'autre sens. Comme l'exprime très bien M. Tremblay :
"La coopération est plus qu'une réforme, elle comporte une révolution dans le sens étymologique du mot, un retournement de l'économique, de l'argent vers l'homme."
Sous le titre "Un beau geste", le Jour écrit :
Le 21 mars dernier, le Quartier Latin publiait un numéro spécial fort intéressant, consacré à l'École des Hautes-Études Commerciales.
Un article de deuxième page nous apprenait que c'est l'aide financière de l'institut des Brasseries du Canada qui avait rendu possible la publication de ce numéro.
Voilà un très beau geste. Les étudiants en ont exprimé leur profonde reconnaissance. Qu'on nous permette de féliciter à notre tour M. Henri Gonthier, car ce qui est fait pour notre jeunesse canadienne-française ne saurait nous laisser indifférent.
Qu'ont donc les évêques, les Lacordaire et certains journaux comme l'Action Catholique, à prôner la tempérance et à discréditer le commerce de la bière ? Si les hommes ne buvaient que de l'eau claire, l'institut des Brasseries ne pourrait pas faire de cadeau à notre chère jeunesse. Allez-y donc, messieurs, et allez-y largement, c'est pour les jeunes ! "L'absolution pendant le péché."
Parlant du récent voyage de M. Lauchlin Currie, envoyé par M. Roosevelt pour un voyage d'inspection en Chine, le Jour, de Montréal, trace le tableau suivant :
Sur une vaste étendue de bonne terre chinoise, près de la ville de Chengtu, on eût pu voir le mois dernier un petit homme gris contempler de derrière ses lunettes d'économiste un spectacle étrange en son anachronisme ; même on eût pu discerner de l'effarement sur sa physionomie d'ordinaire impassible. C'était M. Currie, inspectant la création d'un aéroport. Il y avait là 75,000 travailleurs et pas une machine. Des compagnies de coolies tiraient des rouleaux de pierre de huit à dix tonnes. La roche était cassée à la main sous 30,000 marteaux. Tout ce labeur, à la sueur de tant de fronts, devait rappeler la construction des pyramides, à cette différence près, toutefois, que dans la Chine de Chiang Kai-Shek le fouet du meneur d'esclaves était remplacé par le sifflet d'un modeste ingénieur chinois, diplômé de l'Université d'Illinois.
On a à Québec un certain ministre qui s'intéresse beaucoup et aux routes et au chômage. Il fit autrefois un voyage au Mexique pour apprendre à faire de bonnes routes. Pourquoi n'en fait-il pas un autre en Chine pour apprendre à régler le problème du chômage ?
Sherbrooke est en train de devenir synonyme de Crédit Social. À tel point que les politiciens sont obligés d'endosser des costumes réformistes. Mais ils y mettent une note qui fait rire les créditistes.
C'est ainsi que le 30 mars, Me Raoul Gagné parlait de "réformes de la future démocratie" aux Jeunes-Libéraux de Sherbrooke. Pour lui, l'étatisation de la Beauharnois est la première d'une série d'étatisations. Il y inclut même... pour l'après-guerre... peut-être... l'étatisation du système bancaire. Il place celle-là en dernier lieu, et comprend-il ce qu'il veut dire ?
Parlant des problèmes économiques actuels, il s'étend sur le machinisme et sur le travail des femmes. Il y a trop de main-d'œuvre : donc qu'on défende aux femmes et aux filles de travailler et qu'elles s'occupent de faire des hommes. Et si elles font trop d'hommes ?...
"On devra nécessairement, dit-il, soit limiter l'emploi de la machine, soit mettre en force la journée de six heures ou même moindre s'il y a lieu, et, il va sans dire, avec des salaires plus élevés."
Nous serions curieux de savoir si, pour limiter l'emploi de la machine, on va interdire le développement des inventions, fermer les institutions d'enseignement supérieur (sauf la fabrication d'avocats), ou simplement taxer lourdement tous ceux qui mettent au monde quelque chose pour alléger le travail de l'homme.
Curieux aussi de savoir comment l'augmentation de salaire va permettre d'acheter la production, puisque toute augmentation de salaire entraîne une augmentation au moins équivalente des prix.
La réduction de la journée de travail à 6 heures, ou même moins, va-t-elle s'appliquer aussi à la journée des cultivateurs ? des colons ?
Au lieu d'augmenter la consommation, diminuer la production ! !
Mais voici le clou. Les créditistes, avec toutes leurs connaissances, avec leur logique irréfutable, sont dans la lune, parce qu'ils ne sont pas dans le parti libéral. Les corporatistes eux-mêmes, s'ils veulent faire des réformes de structure, devront entrer, dans le parti libéral, où les dons du saint esprit de parti remplacent toute étude personnelle :
"Toutes les réformes nécessaires pourront se faire, et se feront au sein du parti libéral, par voie du corporatisme, qui permettra à tous les groupements de la société de se choisir eux-mêmes leurs représentants au gouvernement." (Qui les choisit aujourd'hui ?)
Avec ce pot-pourri à la sauce rouge, qu'il faut accepter puisque le mot "corporatisme" est dedans, le Canada va devenir florissant.
Mais hors du parti libéral, point de salut. Continuez, cher avocat. Peut-être allez-vous bientôt découvrir les traces de pas d'ouvriers de Sherbrooke qui vont vous mettre sur la voie.
Mais ils ne croient plus guère au sac libéral, même enfariné d'étatisation ou de corporatisme incompris.
À St-Grégoire de Montmorency, il existe un problème du logement assez critique. Nous avons actuellement 117 familles qui sont sans logement. Il y a jusqu'à trois familles par logis. Nous avons du terrain pour nous bâtir, mais nous n'avons pas d'argent. Il nous faudrait emprunter du gouvernement $2,000.00 et rembourser $3,000. par versements mensuels pendant vingt années, ce qu'il nous est impossible de faire.
J'ai réussi à organiser une délégation de toutes les familles qui seront sur le pavé au mois de mai, c'est-à-dire 30 familles qui seront complètement dans le chemin. Nous devions nous rendre à l'hôtel de ville pour demander l'aide des autorités municipales, mais je ne sais trop pour quelles raisons, deux heures avant le temps marqué, tous les échevins ont reçu avis de ne pas se rendre à l'assemblée.
Imaginez un peu la déception de ces pauvres locataires qui allaient demander l'aide de ceux qu'ils ont placés là pour nous diriger, ou plutôt pour nous aider à avoir le moyen de vivre dans la société.
Plus d'une centaine ont dû rebrousser chemin en bougonnant contre le maire et les échevins. Une grande partie de la délégation est revenue à la salle des Syndicats Catholiques.
Nous avons essayé de rejoindre le maire par téléphone. On m'a répondu qu'il était rendu au parlement de Québec, à la demande de M. Adélard Godbout, pour assister à un caucus très important du parti libéral. Cependant, un autre appel téléphonique nous fait savoir qu'il est chez lui. Je rappelle ; on répond qu'il est sorti. Nous nous rendons chez lui, par l'entremise d'un échevin. Il est chez lui, mais il ne veut pas nous recevoir...
René DE BLOIS
★ ★ ★
Le mouvement créditiste est maintenant lancé à St-Grégoire de Montmorency, et avant longtemps maire et échevins seront visibles et accessibles.
La doctrine créditiste éclaire tout, même, semble-t-il, la lecture de l'Évangile. Toujours est-il qu'un abonné de Ste-Clothilde de Beauce nous écrivait le mois dernier :
"En lisant l'évangile d'aujourd'hui, quatrième dimanche de Carême, je me suis demandé : Notre-Seigneur était-il créditiste ?
« Voyant la foule qui l'avait suivi au delà de la mer de Galilée, il en eut pitié et ne voulut pas la congédier sans lui donner à manger. » Et dans un pays où il ne se trouvait que de l'herbe, il rassasia 7,000 personnes par la multiplication des pains, en créant et faisant distribuer l'abondance.
"Le miracle de l'abondance produite paraît assez bien se perpétuer au Canada, où rien ne manque pour satisfaire pleinement les nécessités des hommes. Mais la distribution ne se fait pas, comme elle se fit ce jour-là, parce que ceux qui contrôlent la distribution ne sont pas les apôtres obéissant au Maître, mais des maîtres sans cœur laissant l'abondance sous clef.
"Et dans notre bonne province catholique de Québec, où l'on devrait prolonger un peu les exemples du divin Maître, on préfère laisser gaspiller et se perdre des biens utiles plutôt que de permettre à ceux qui en ont besoin de les obtenir.
"Que dirait-on d'un père de famille qui laisserait sa femme et ses enfants dans le besoin alors que son grenier et sa dépense regorgeraient de provisions ?"
★ ★ ★
Notre-Seigneur était certainement créditiste dans le véritable sens du terme. C'est pourquoi son Église place à la disposition des fidèles un trésor commun où elle les invite tous à puiser largement pour combler leurs besoins.
Dans sa nature humaine, Notre-Seigneur portait le cœur le plus créditiste qui se puisse concevoir. Quand aurons-nous des chefs de gouvernement formés à la charité de ce cœur et qui oseront dire :
"J'ai pitié de ces gens, qu'ils aient immédiatement à manger."
Mais ce n'est pas ce qu'on enseigne à l'école de Banco, et Banco a supplanté l'Évangile.