Des journaux du 27 février rapportaient cette nouvelle de la vieille capitale :
QUÉBEC, 26 — Un groupe d'environ 150 chômeurs, que l'on conduisait de Québec aux chantiers du gouvernement, dans le comté de Lotbinière, ont improvisé une assemblée politique et violemment attaqué le gouvernement Godbout. C'est sur le bateau traversier entre Québec et Lévis que l'incident arriva... On sait que les chômeurs doivent passer 15 jours à la fois loin de chez eux, sans pouvoir y revenir, afin de gagner la pitance qu'on leur verse. C'est contre la façon dont ils sont traités qu'ils ont protesté. Plusieurs sont âgés et souffrent fort de la situation.
Ces hommes ne protestent pas contre l'embauchage, mais contre la manière dont ils sont traités. Quinze jours loin de chez eux. Avec un maigre salaire qui ne permet certainement pas à leur femme d'avoir de l'aide à la maison pour suppléer à l'absence du mari. Il y a des trains pour le transport, mais l'argent n'est pas là — alors !...
"Plusieurs sont âgés et souffrent fort de la situation." Mais qu'est-ce que ça peut faire ? Le bétail-chômeurs n'est-il pas un passif pour le gouvernement ? Plus tôt on chantera le Libera sur ces épaves qui furent des hommes, plus vite le ministère en sera libéré.
À remarquer que, tout près des chantiers de Lotbinière, à Joly par exemple, nombre de colons mangent de la misère et seraient heureux de gagner quelques piastres aux travaux du gouvernement. Mais non ; eux sont cachés sur leur lot, qu'ils y souffrent, le gouvernement ne s'en juge plus responsable. Plusieurs de ces colons sont gens qui durent quitter famille et paroisse, sans ressources, pour les mêmes raisons qui disloquent les foyers des chômeurs de Québec, vingt-huit jours sur trente.
Il y a une trentaine d'années, c'est les poings fermés que nos élèves de Montréal écoutaient le récit de la dispersion des Acadiens en 1755. Et la dispersion actuelle des Canadiens, sans l'intervention d'un capitaine étranger, exécutée par des gens de chez nous ?...
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D'un article éditorial, non signé comme d'habitude, dans La Tribune de Sherbrooke, 11 mars :
"Ces réformateurs. —
"Qui donc préconise, actuellement, l'inflation, la mise en circulation d'une monnaie dépréciée à l'infini ou factice ? En général des gens qui ne comprennent pas eux-mêmes les théories qu'ils prêchent... Ceux qui, actuellement, cherchent à saper les saines et véritables bases monétaires de la nation sont, qu'ils l'admettent ou non, qu'ils s'en rendent compte ou non, des agents de socialisme et communisme dangereux, et les autorités fédérales, provinciales et municipales, dans leurs sphères et rôles respectifs, ont le devoir de les surveiller et, au besoin, de les mettre à la raison."
Le Crédit Social ne prêchant ni l'inflation, ni une monnaie dépréciée, nous ne savons guère de qui le bureau de rédaction de M. Robidoux veut parler. Mais comme il n'y a que les créditistes à parler assez haut de réforme monétaire à Sherbrooke, il est fort possible qu'il fasse allusion au Crédit Social. C'est alors lui qui ne comprend pas ce dont il traite. Quant à la dernière phrase, quelles sont les bases monétaires saines et véritables de la nation ? Comment est-il sain, l'instrument monétaire qui n'est pas là pour distribuer les produits ? En quoi demander que l'argent serve au lieu d'asservir est-il du communisme ? Qu'est-ce que mettre quelqu'un à la raison dans une démocratie ? Est-ce le forcer à dire comme M. Beaudry Leman ou comme M. Louis-Philippe Robidoux ?
Commentant un article paru dans le Globe & Mail de Toronto, favorable à la Russie, et une nouvelle de Washington annonçant la levée de l'embargo sur l'exportation d'aéroplanes américains à la Russie, le Montreal Beacon publie les remarques suivantes sous le titre "Satan, un étrange allié" :
"En disant que nous faisons la guerre pour défendre la civilisation chrétienne, affirmons-nous une réalité ou une simple prétention ? Comment pouvons-nous logiquement condamner le nazisme si, en même temps, nous cherchons une "entente" avec le communisme ? Mobiliser, pour mener à bout la croisade contre le paganisme-à-la-Berlin, l'aide d'une Russie qui a chassé Dieu de ses frontières et réduit les millions de ses citoyens à l'esclavage le plus abject, c'est indiquer l'aide du diable pour faire triompher les principes moraux.
"Une 'entente' avec la tyrannie athée soviétique exigerait que nous cessions de nous proclamer les croisés de la chrétienté ; elle impliquerait que nous regardons la démocratie, non comme une question de principes, mais d'opportunité. Que servira-t-il à la démocratie d'écraser l'hitlérisme si elle ouvre la porte au bolchévisme révolutionnaire ? La politique russe est claire. Moscou regarde tout l'univers comme il est aujourd'hui organisé, en ennemi. Il veut dresser un côté contre l'autre. Son unique intérêt dans cette guerre, c'est de la conduire vers la destinée future qu'il se réserve : la domination du monde par le communisme.
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L'Hon. Arthur Mathewson, trésorier provincial, dans son discours du budget à la Chambre de Québec, le 18 mars :
"Il ne devrait pas être hors du pouvoir des hommes d'équilibrer la production et la consommation de telle sorte que le monde n'ait plus jamais ce tragique spectacle de la destruction délibérée de denrées alimentaires et d'autres objets nécessaires à la vie humaine, ainsi que la limitation de la production afin de maintenir les prix élevés, à l'heure où les gens sont dans le plus pressant besoin."
Le feu roi d'Angleterre, Georges V, disait exactement la même chose, il y a une dizaine d'années. Depuis vingt-cinq ans, le Crédit Social, non seulement signale l'urgence d'équilibrer production et consommation, mais il propose la technique. M. Mathewson va-t-il se décider à tenter l'équilibre avant un autre quart de siècle ?
Et citant ces paroles de notre Trésorier, Georges Pelletier du Devoir, commente :
"C'est là poser le doigt sur l'un des vices du régime économique présent, qui brûle des surplus de blé, de sucre, de café, etc., alors que des millions d'hommes, de femmes et d'enfants, en Europe et ailleurs, crèvent de faim ou souffrent de sous-alimentation."
"En Europe et ailleurs." Pas au Canada ? Pas chez M. Pelletier, peut-être ! "Poser le doigt sur l'un des vices du régime économique", mais bien se garder d'y rien changer... Tout de même, continuez, Messieurs de l'arrière, vous allez finir par vous désempeser.
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Le ministre fédéral du Commerce, l'hon. Mc-Kinnon (Hansard du 12 mars) :
"En prenant pour acquis que la récolte de 1941 soit d'importance moyenne, le report à la fin de juillet 1942 sera approximativement de 700 millions de boisseaux. Si la récolte est très faible, le report dépassera quand même 500 millions de boisseaux. Inutile pour moi d'insister et de souligner à la Chambre la gravité d'une telle situation."
Le ministre du commerce du Pharaon jetait-il ainsi des cris de détresse lorsque l'Égypte surabondait de blé ? La situation n'a jamais été si grave, nous explique notre ministre, à nous. Non seulement avons-nous accru depuis vingt ans la surface des emblavures, mais nos techniciens ont été trop intelligents, ils ont réussi à augmenter de beaucoup la production à l'acre.
"Le gouvernement, poursuit M. McKinnon, a eu conscience des difficultés que présente le problème du blé... Jamais problème canadien n'a reçu autant d'attention et d'étude que celui du blé."
Pas même le problème du chômage, pas même le problème des Canadiens traînant une vie de misère ? Non, problèmes secondaires, ceux-là. Ce n'est pas la misère qui embête nos gouvernants, c'est l'abondance. Aussi est-ce à l'abondance qu'ils vont faire la lutte. Les cultivateurs sont pressés de réduire leurs semences à 65 pour cent. Le gouvernement va les payer $4.00 par acre qu'ils voudront bien ne pas cultiver !... Il n'y aurait pas un petit problème d'argent quelque part au Canada ? Quelques $4.00 à mettre dans la poche des Canadiens qui regardent les vitrines ! Ça leur ferait tant de bien et ça ferait tant plaisir aux marchands et à toute la ligne qui fournit les produits !
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M. Léopold Richer dans son compte rendu de la séance parlementaire du 18 mars à Ottawa (Le Devoir du 19 mars) :
"M. Pouliot craint que nous dépensions au delà de nos moyens. S'il en est ainsi, nous serons obligés d'emprunter aux États-Unis. Dans ce cas, n'y a-t-il pas danger d'annexion... Qui niera qu'il y ait là matière à sérieuse réflexion ? Si, pour sauver l'Empire, nous nous plaçons dans la nécessité d'emprunter de fortes sommes aux États-Unis, que deviendrait le lien britannique ?"
Qu'est-ce que cela, emprunter aux États-Unis ? Lorsque le matériel et les hommes sont au Canada, qu'est-ce que signifie emprunter aux États-Unis ? S'il n'y avait pas d'États-Unis, s'il n'y avait pas d'autre pays que le Canada, comment ferait-on pour employer nos hommes et notre matériel ? Un emprunt aux États-Unis s'explique par l'emploi de matériel, machine ou main-d'œuvre des États-Unis. Or, pour gagner la guerre, va-t-il falloir que les Canadiens mettent en œuvre les choses et les hommes des États-Unis ? M. Richer, après avoir entendu tant de discours de toutes les couleurs à la Chambre des Communes, semble un peu mêlé dans la question de l'argent, ce qui explique sa réflexion : "Comme les choses sont compliquées !"
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De la Winnipeg Free Press, dans une édition de mi-hiver :'
"Les mains et le visage mordus par le froid, P. N. a comparu devant le juge H. Lacerte, à la Cour de Police de Saint-Boniface, sur accusation de vagabondage. Les traces du froid sur son visage et ses mains venaient des nuits passées dehors et dans des cabanes non chauffées. Chaque année, M. N. comparaît en cour pour la même cause, à peu près à la même date, et ce n'est que grâce à ses séjours en prison qu'il a pu rester en vie. Le juge a eu pitié de lui et l'a condamné à six mois de travaux forcés."
À défaut de dividende-argent, le dividende-prison. Et par pitié, souligne-t-on. Le Canada est un beau, grand et riche pays, où la banco-cratie offre à ses victimes des prisons pour remplacer les maisons.
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De Lorenzo Paré, dans L'Action Catholique du 13 mars :
"Le journal d'idées le plus important du parti libéral, la Winnipeg Free Press, réclame depuis quelques jours la réorganisation du parti conservateur. Une foule de journaux libéraux ont exprimé le même désir."
M. Paré explique, fort justement, que les libéraux s'attendent à perdre le pouvoir un jour ou l'autre et que dans ce cas, ils veulent être remplacés par les conservateurs, non pas par des groupes "extrémistes" comme la C. C. F. ou le Crédit Social. Le mot "extrémiste" appliqué à la doctrine si bien équilibrée du Crédit Social, serait à discuter. Mais ce qu'il y a d'intéressant, c'est la communauté de vue des deux vieux partis. Tous les deux gardiens fidèles de la belle anarchie monétaire actuelle, tous les deux parure démocratique de la dictature bancaire. Le vœu de la Winnipeg Free Press nous rappelle ce que disait le candidat libéral au Lac St-Jean l'année dernière : "Si vous ne votez pas pour moi, votez au moins pour le candidat conservateur, pas pour le créditiste."