Une société est un groupe de deux ou de plusieurs hommes unis pour travailler à un même but, en se servant des mêmes moyens.
La famille est une société. Le but du père, de la mère et des enfants est le même : prospérité de la famille tout entière. Ce but, visé par tous et chacun, est le bien commun de la famille. Si tous et chacun groupent leurs énergies dans le sens de ce but, en utilisant les mêmes moyens ou des moyens divers ayant des relations les uns avec les autres et se complétant, on peut dire que la famille est une société ordonnée, organisée, une bonne société. Mais, si l'un des membres de la famille travaille pour lui seul, s'il dirige ses forces en dehors du bien commun, alors la famille se désorganise, elle n'est plus une bonne société, mais une société anarchique.
Le même but et des moyens coordonnés spécifient la bonne société. Des buts différents et des moyens contraires spécifient la société anarchique. Dans la famille, la cause de l'anarchie est évidemment l'égoïsme pratiqué par l'un ou plusieurs des membres.
Il en est de même de la société civile. Le but de chacun des membres de la Cité est le bien commun de la Cité. Les moyens sont divers, mais organisés tous en vue de réaliser le bien commun. Si l'un des membres travaille pour lui seul, s'il pratique l'individualisme en économique ou en politique, il se soustrait à la société. L'égoïsme en fait un ferment d'anarchie. La Cité se désagrège.
En face de ces principes, on se pose la question : Notre société est-elle bonne ou anarchique ?
Notre société, oui, celle où nous vivons. Notre pays, notre province, les citoyens qui y travaillent, coordonnent-ils leurs efforts en vue d'un bien commun ou les dispersent-ils en vue d'un bien individuel ?
Regardons.
Dans les restaurants, sur les trains, dans les rues, des hommes, des femmes, parlent et courent. Ils mangent, boivent, s'amusent, ricanent. Ils combinent des plans, voyagent.
Il ne peut pas ne pas y avoir un objectif visé par tout ce monde qui s'agite. Cet objectif, quel est-il ? Pourquoi donc tout le monde vit-il ?
La réponse est facile et sur toutes les lèvres. De ce temps-ci, tout le monde travaille pour faire de l'argent.
Tout le monde, chacun, travaille pour faire de l'argent. Chacun veut lui-même avoir de l'argent pour lui, pas pour les autres. Lui, pas les autres. C'est de l'égoïsme. Dans une société, ça cause l'anarchie.
Le bien commun, personne n'y songe, pas même nos députés dont la raison d'être est justement de promouvoir le bien commun.
Le but de la Cité, la prospérité temporelle des citoyens, est complètement ignoré. Même, on trouverait étrange que quelqu'un y songeât.
On parle bien de faire des sacrifices pour sauver la civilisation, la chrétienté, ce qui serait un idéal de bien commun ; mais on ne fait qu'en parler. La preuve c'est qu'on ne se soucie pas le moins du monde de porter le Christ en soi, comme si la chrétienté pouvait exister sans des chrétiens. La Charité du Christ, ça n'est pas la règle des relations entre les citoyens. Chacun pour soi, pour sa poche. Profitons-en pendant que la manne passe, dit-on, la guerre va finir. Gagnons de l'argent tandis que nous en avons l'occasion. Hâtons-nous ! Chacun pour soi !"
L'égoïsme, l'individualisme encore. L'anarchie.
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Les créditistes ne sont donc pas si bêtes de vouloir rétablir l'ordre. Eux, ils parlent de l'argent et ils travaillent à le faire circuler, mais non pas pour le bien d'un seul ou d'un petit groupe, mais afin que tous et chacun, selon la formule de Pie XI, "tous et chacun profitent des biens que la nature, l'industrie et l'organisme social peuvent leur procurer."
Les créditistes remettent devant les yeux du peuple l'idéal de bien commun, et organisent les forces du peuple pour y travailler. C'est vouloir rétablir l'ordre dans notre société anarchique.
Et dire qu'on accuse les créditistes d'être des anarchistes ! Mais, on n'avait pas encore défini l'anarchie, et on n'a pas encore compris les créditistes !