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À qui le quai ?

Dr EUGÈNE FORTIN, médecin St-Victor de Beauce le samedi, 01 janvier 1944. Dans Réflexions

Je suis le ministre des finances. Le pays veut un quai. Il faudrait 10 millions pour bâtir ce quai. Il n'y a plus d'argent dans le trésor et le peuple n'a pas assez d'argent pour qu'on le taxe davan­tage.

Alors, moi, ministre des finances, je vais frapper à la porte du banquier. Le chemin m'est familier.

Le ministre — Bonjour, monsieur Banco.

Banco — Bonjour, Honorable Ministre. Puis-je faire quelque chose pour vous ? Que désirez-vous ?

Le ministre — Je veux 10 millions.

Banco — Des piastres, monsieur le ministre ?

Le ministre — Non pas. Je ne veux pas empor­ter un rouleau de piastres. Un crédit dans votre livre, pour tirer des chèques, ça va faire mieux mon affaire.

Banco — Pourquoi ce crédit, monsieur le mi­nistre ?

Le ministre — Pour construire un quai utile au pays.

Banco — Un quai ? Avez-vous le bois, le fer, le ciment, les hommes et le temps voulus pour faire construire ce quai ?

Le Ministre — Oui, on a tout cela, et en abon­dance.

Banco — Alors, c'est très bien. Je vous inscris un compte de banque de 10 millions. Donnez-moi une obligation du pays, pour garantir le rembour­sement et les intérêts. Je vous donne 30 ans pour me rembourser ces 10 millions. En attendant, vous me verserez fidèlement un petit 5 pour cent d'in­térêt. Soit $500,000 d'intérêt chaque année. Donc, au cours des trente ans, 15 millions d'intérêt, après quoi vous me rapporterez les 10 millions que je vous fais d'un coup de plume. Ce marché-là vous va, monsieur le ministre ?

Le ministre — À merveille, comme d'habitude, aimable monsieur Banco. Vous êtes un vrai servi­teur du pays : le plus expert et le plus indispen­sable. Sans vous, monsieur Banco, sans votre plume féconde qui vient de mettre au monde 10 millions pour le pays, jamais le pays n'aurait pu bâtir ce quai. Le bois, le fer, le ciment seraient res­tés là, inutilisés. Les travailleurs disponibles au­raient continué de chômer. Et je me demande si le peuple mécontent ne m'aurait pas mis de côté aux prochaines élections. Merci donc mille fois, cher monsieur Banco. Pour reconnaître vos services, le pays s'engage, par mon entremise, à vous rap­porter les dix millions nés de votre bienveillance, plus un petit boni de 15 millions pour la tenue des livres.

* * *

À qui est dû le quai, richesse véritable pour le pays ? Qui l'a fait, le banquier ou les travailleurs du pays ? — Les travailleurs du pays, répondrez-tous, avec le matériel du pays.

Soit. Mais qui a créé l'argent qui a permis de mettre en branle travail et matériel ? Qui, le banquier ou le ministre du pays ? — Le banquier, on vient de le voir.

Très bien. Et le quai terminé, à qui appartient-il ? Au banquier ou au pays ? Vous hésitez ? C'est pourtant simple : le pays se sert du quai, com­me un locataire se sert d'une maison. Mais le quai appartient au banquier, puisque le pays paie un loyer d'un demi-million par année, après quoi il devra payer tout le prix du quai, 10 millions, s'il veut en être le propriétaire réel.

Voilà, certes, un drôle de jeu. Si ce n'est pas un vol, les mots n'ont plus de sens. Le banquier s'approprie le fruit du matériel et du travail d'autrui, sans même avoir la peine d'administrer l'emploi de ce matériel et de ce travail.

Et les complices de l'opération, ce sont les mi­nistres que nous élisons. Le vol est ratifié et légal­isé par les représentants choisis par nous. À quoi sert la démocratie ?

À qui appartient le pays ? Aux habitants qui l'ont fait, ou aux banques qui le volent au moyen d'une technique peu respectable, mais fort respec­tée ?

(Repris d'une polémique entre Banco et J.-E. De ??eau d'Ars, parue dans L'Éclaireur, Beauceville, en no­vembre 1940.)

Dr EUGÈNE FORTIN, médecin St-Victor de Beauce

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