Plaçons-nous en 1945. La guerre est finie depuis novembre 1944. Une couple de cent mille soldats sont restés à l'armée pour assurer l'observance du traité de paix. Les 600,000 autres ont réintégré leurs foyers. Presque toutes les usines de guerre ont cessé la production d'engins de destruction. Plusieurs d'entre elles, après s'être allégées d'une partie de leur personnel, se réorientent vers la production de choses utiles.
Voilà du coup un million et demi d'hommes qui prennent le chemin des fermes, de l'industrie civile ou du chômage.
La main-d'œuvre augmentée sur les fermes, et la température aidant, les récoltes sont plus fortes que jamais. La production manufacturière ramenée aux choses utiles, avec le bénéfice des inventions développées pendant la guerre, les produits manufacturés lancés sur le marché sont plus abondants que jamais.
En face de cette abondance, comment va se comporter le pouvoir d'achat ?
Les fils d'agriculteurs revenus de l'armée chez leurs parents ne touchent plus de solde, ne sont plus habillés ; pourtant, par leur travail, ils augmentent la production agricole. Ils augmentent la production, avec un pouvoir d'achat diminué.
L'industrie continue de payer des salaires, mais à moins de personnes que pendant la guerre, et elle place pourtant sur le marché plus de choses vendables que pendant les cinq années de guerre.
Quant aux sans-emploi, ils ne produisent rien et ne touchent aucun pouvoir d'achat, ce qui ne les empêche pas d'avoir besoin de manger pour vivre.
Résultat net : augmentation de production avec pouvoir d'achat diminué. Plus de produits à vendre que pendant la guerre ; mais moins d'argent distribué aux consommateurs qui auraient besoin de ces produits.
De quelle manière va-t-on résoudre la situation ?
Il y a la manière anarchique, celle qui ne résout rien, parce que jamais l'anarchie n'a réussi l'ordre.
L'anarchie dont nous parlons ici, c'est celle que nous avons connue, pendant les années où l'abondance s'étalait sous les yeux de ceux qui crevaient de faim.
La manière anarchique, c'est la manière bancaire. Parfaitement anarchique, parce qu'elle est en contradiction avec les faits, comme elle est en contradiction avec l'objectif social.
La manière anarchique, c'est d'attendre que l'argent augmente dans la circulation par les emprunts de quelques industriels assez audacieux pour lancer des entreprises nouvelles alors que le tiers peut-être des usines chôme depuis que la guerre n'engloutit plus la production. Ou encore par les emprunts de quelques gouvernements qui vont occuper les bras sur la voirie ou ailleurs, et endetter le pays envers les banquiers, pour permettre aux crève-faim d'avoir quelques morceaux de l'abondance produite par le pays (non pas par les banquiers).
Cette manière-là, le monde n'en veut plus.
S'il faut que chaque développement agricole et industriel se traduise par une dette, il est aussi bien de cesser tout développement productif et de se mettre en neuvaine pour qu'une autre guerre se déchaîne sur le monde.
L'anarchie monétaire du système rothschildien, le non-sens financier, le progrès matériel paralysé ou financé par une usure dévorante, ont vécu et dégoûté les peuples. La guerre a démontré qu'il faut mettre ces restrictions de côté pour défendre sa vie ; va-t-on les reprendre pour abaisser le niveau de vie du temps de paix au-dessous du niveau de vie du temps de guerre.
Nous ne croyons pas qu'aucun gouvernement puisse tenir en selle en revenant à l'inertie coutumière d'avant-guerre. Ce serait la révolution à brève échéance, et elle serait parfaitement justifiée. Après s'être fait dire, pendant cinq ans, qu'un peuple a le droit, et le devoir, de tuer un ennemi qui le menace de l'extérieur, on croira certainement avoir le droit, et le devoir, d'immobiliser, même violemment si c'est nécessaire, les ennemis intérieurs qui interdisent au peuple l'accès aux produits de son pays.
Mais il y a une autre manière de faire face à la situation. C'est la manière employée par Hitler dès 1934. C'est la manière que rendrait possible au Canada la perpétuation du service sélectif.
Des politiciens, bouchés avant la guerre, ont appris une chose pendant la guerre : à passer outre à l'absence de fonds et à exploiter à plein les ressources humaines et matérielles du pays. Ils l'ont fait pendant la guerre au moyen de la finance déficitaire, en haussant simplement le plafond de la dette nationale. Ils peuvent continuer par la même méthode après la guerre. Ils peuvent aussi, en prenant à leur propre compte l'émission de l'argent et du crédit, arriver au même résultat sans endetter davantage le pays.
Mais, dans l'un ou l'autre cas, ces politiciens-là voient la solution dans l'embauchage de la main-d'œuvre disponible par le gouvernement, pour des travaux qui ne se vendent pas. L'argent ainsi distribué aiderait, à acheter les produits vendables sortis de l'industrie privée.
Autrement dit, le gouvernement se constituerait propriétaire et usager de l'argent nouveau, résultant soit d'un accroissement de la dette nationale, soit d'une émission nationale directe. Il s'en constituerait propriétaire et premier usager. De sorte que c'est lui qui dicterait les activités du travail disponible.
Et comme tout progrès mécanique, toute nouvelle application de la science libère de plus en plus du labeur humain tout en augmentant la production, cela voudrait dire que le progrès jetterait de plus en plus les travailleurs à l'emploi du gouvernement.
Ce serait la marche vers le socialisme d'État, à moins que l'humanité fasse machine en arrière vers les méthodes de travail à la main.
Cette manière socialisante n'est pas pour déplaire aux gouvernements des régimes démocratiques, qui y voient un fameux moyen de se lier des électeurs. Plus on dépend du gouvernement pour son gagne-pain, moins on est libre de son vote, de ses paroles ou de ses écrits.
Le progrès aurait ainsi comme résultat la perte de la liberté. Le pain sur la table s'achèterait au prix de la liberté. Travail forcé et assurance de trois repas par jour : exactement comme les esclaves d'autrefois ; mais avec l'aggravation que, cette fois, c'est le gouvernement qui est le maître et les citoyens esclaves. Et le gouvernement est autrement puissant qu'un particulier.
Faut-il s'être battu pendant cinq années contre les dictateurs d'Europe pour accepter l'orientation vers un régime semblable chez nous ?
C'est tout de même vers cela qu'on va. On y va à grands pas, et l'on assure que cette manière socialisante est le seul moyen d'éviter la manière anarchique qui ne règle rien.
Et pourtant, il y a une autre manière. Il est temps et grand temps de la crier sur les toits, sur les places publiques, dans les enceintes des parlements, et surtout dans les oreilles de chaque électeur, car c'est de l'électeur que viendra la véritable conversion des politiciens. Et cette troisième manière, c'est simplement la manière créditiste.
La manière créditiste prend les faits, les hommes, les objectifs. Elle regarde les biens, les besoins en face de ces biens, et établit le lien le plus rapide — et sans détour, et sans chaînes — pour que les biens viennent joindre les besoins. C'est la véritable fin de l'économique.
Dans le cas 1945 :
La production totale augmentée nécessiterait pour son écoulement facile des uns aux autres une augmentation totale de pouvoir d'achat au cours de l'année. Supposons que cette augmentation nécessaire soit estimée à 1,400 millions de dollars.
La manière la plus rapide d'augmenter le pouvoir d'achat global de 1,400 millions au cours d'une année, c'est certainement d'ajouter $120 au revenu annuel que chaque citoyen gagne par son salaire ou autrement. Soit $10 par mois.
Cela s'appelle dividende national, si c'est remis directement à chaque individu. Cela s'appelle escompte compensé, si c'est remis aux individus sous forme de rabais sur les prix à payer pour leurs achats, le gouvernement compensant le marchand.
De l'une ou l'autre façon, ou par une combinaison appropriée des deux, ce sont les consommateurs qui bénéficient directement de l'argent nouveau créé par le gouvernement, ou par une commission gouvernementale, pour faire face à une augmentation de production.
Le gouvernement crée donc l'argent nouveau, mais n'en est ni le propriétaire ni le premier usager. Cet argent va aux consommateurs eux-mêmes. Et c'est pourquoi les consommateurs vont, par leurs achats, dicter eux-mêmes à la capacité de production les choses qu'ils veulent en obtenir.
Si le gouvernement veut aussi des choses, il redemandera aux citoyens, soumis à l'approbation du parlement, tels crédits dont il a besoin. Ce sera la sauvegarde de la démocratie. Ou plutôt ce sera la première fois que la démocratie fonctionnera véritablement,libre de toute dictature.
La dictature des banquiers n'est plus acceptable. Nous ne voulons pas davantage de la dictature d'État. Nous voulons la sécurité économique permise par l'abondance de production, mais tout en gardant la liberté politique.
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La manière anarchique des banquiers empêche la sécurité économique en mettant le progrès sous clef.
La manière socialisante permet une certaine sécurité économique, mais en mettant la liberté personnelle sous clef.
La manière créditiste garantit à la fois la liberté personnelle et la sécurité économique.
Le choix n'est pas difficile à faire. Mais la première manière a une force à son service. La deuxième manière a aussi une force à son service. La troisième manière n'aura à son service que la force des citoyens qui s'organiseront eux-mêmes pour la revendiquer.