On entend parfois des contempteurs du Crédit Social s'exclamer : "Bah ! les créditistes ne parlent jamais que de la question de l'argent ; il y en a d'autres, et de plus importantes."
Il y a d'autres questions, en effet, telle la question des écoles et des institutrices, dont nous parlions dans notre dernier numéro. Mais cette question très importante ne serait-elle pas promptement réglée si la question de l'argent était d'abord elle-même réglée ?
Il y a d'autres questions. Mais il n'y en a pas une qui ne soit compliquée, sinon entièrement composée, d'une question d'argent.
La question du pain quotidien pour les familles du pays nous paraît assez importante. La question du pain quotidien est-elle une question de production de nourriture dans un pays qui cherche sur tous les continents des estomacs pour consommer ses produits ? Ou bien, n'est-elle pas plutôt uniquement une question d'argent ? Si le pain ne dépendait que de l'existence du blé, il y a longtemps que le problème du pain quotidien serait réglé.
Il est devenu de mode de parler d'autonomie provinciale. C'est compréhensible, parce qu'on nous la rogne de plus en plus.
Mais la question de l'autonomie provinciale n'est-elle pas surtout causée par une question d'argent ? Est-ce que ce n'est pas en empiétant sur le domaine provincial des taxes, des assurances, des pensions, des primes, des octrois, des prêts, que le gouvernement fédéral fait fi de l'autonomie provinciale ? Et n'est-ce pas pour obtenir des sommes qu'il n'a pas, que le gouvernement provincial permet les ingérences d'Ottawa ?
À quoi sert-il de crier : nous voulons défendre l'autonomie provinciale contre les centralisateurs d'Ottawa — lorsque les gouvernements provinciaux comme le gouvernement fédéral sont soumis à la finance, et que la finance est universellement centralisée et centralisatrice ? La centralisation ne s'arrêtera pas à Ottawa. Elle va à grands pas vers une centralisation mondiale. Et par quelles voies, sinon par la centralisation financière ?
Quel groupe politique l'a compris ? Des groupes qui se payent de mots, il n'en manque pas.
Le Bloc Populaire place bien les prérogatives des provinces au premier point de son programme : c'est pour cela sans doute que le chef fédéral a enfanté le chef provincial. C'est pour cela sans doute que le trio fédéral a chassé du Bloc le trio que la province avait connu pendant une décade. C'est pour cela sans doute que le leader fédéral du Bloc se réserve personnellement les décisions suprêmes dans les deux domaines.
L'Union Nationale parle avec redondance de l'autonomie provinciale. Mais après trois ans de vie, le gouvernement de l'Union Nationale a expiré sur le perron des banques. Ce n'est pas entre les griffes du système bancaire qu'on décentralise le pouvoir.
Les Créditistes sont moins férus de discours sur l'autonomie provinciale, mais ils commencent par la pratiquer dans leur propre organisation. Puis, par le dividende national, ils démocratisent l'argent, ils disloquent la centralisation de la finance. Le dividende national est le décentralisateur financier par excellence.
Il y a d'autres questions que la question d'argent. Oui. Il y a, par exemple, la question ouvrière, qui préoccupe tant de chefs du laïcat comme du clergé. Et de quoi donc est faite la question ouvrière ? Roule-t-elle sur la compétence des ouvriers, sur leur habileté à produire ce que demandent les consommateurs, ou ne consiste-t-elle pas à faire avoir de l'argent sous forme de salaire ?
Il y a d'autres questions que la question d'argent. Oui. Il y a, par exemple, les questions de l'hygiène publique, de la voirie, de l'électrification des fermes, de l'aide aux familles nombreuses, des enfants abandonnés, des invalides, des vieux, des victimes de la guerre, etc, etc. Est-ce que les solutions à ces questions-là ne dépendent pas toutes de la question d'argent ?
Prenez-en une au hasard : l'électrification des fermes. Est-ce une question de chute d'eau, de poteaux, de matériel métallique, de technique — ou est-ce une question d'argent pour payer l'installation et le servie ? Le courant fait-il défaut, ou est-ce l'argent qui fait défaut ? Le bois, pour les poteaux, le travail pour les ériger, font-ils défaut, ou est-ce l'argent qui fait défaut ? La connaissance technique pour poser les fils et les transformateurs fait-elle défaut, ou est-ce l'argent qui fait défaut ? Le désir d'électricité chez les cultivateurs fait-il défaut, ou est-ce l'argent qui fait défaut ?
Il y a d'autres questions que celles de l'argent. Oui, et c'est pour cela sans doute que, depuis le premier janvier jusqu'au 31 décembre, tous les gouvernements sont surtout occupés à pomper l'argent des gouvernés.
Il y a d'autres questions que la question de l'argent. Oui. Il y a, par exemple, la question de la liberté de la personne. Et personne, mieux que les Créditistes n'apprécie la liberté de la personne. Liberté de prendre ou de rejeter.
Mais où est, dans le monde moderne, la liberté d'une personne qui est sans argent ?
Que signifie la liberté pour un homme qui n'a pas d'abord un minimum de sécurité économique ? Et comment peut-il avoir un minimum de sécurité économique, même en face de richesses étalées sous ses yeux, s'il n'a rien pour acheter les produits qui sortent de partout dans le monde moderne ?
Un minimum de sécurité économique est nécessaire à l'exercice de la liberté. Mais encore faut-il que ce minimum de sécurité économique ne soit pas lui-même conditionné par une perte de la liberté. C'est pourtant le cas lorsque l'argent qui signifie la sécurité économique est lui-même lié à des conditions que la personne n'est pas libre d'accepter ou de rejeter.
L'argent qui vient moyennant la signature d'une dette peut permettre de vivre, mais il tue la liberté. Personne ne choisit la dette, à moins d'y être forcé par le besoin.
L'argent qui vient sous forme de salaire lie, lui aussi, la personne à l'acceptation des conditions d'emploi auquel le salaire est attaché. Le salaire peut donner la sécurité, mais non la liberté. C'est de l'argent lié.
Quelle est la liberté d'accepter ou de refuser l'emploi offert, pour l'homme qui n'a pas un sou dans sa poche et doit tout de même manger et fournir le nécessaire à sa famille ? Pour qu'il fût libre de s'orienter selon ses aptitudes et ses attraits, il lui faudrait d'abord un certain minimum qui le mette à l'abri du besoin absolu.
C'est pour cela que, quand ils parlent de réforme monétaire, les créditistes ne parlent pas seulement d'argent fait par le gouvernement ; ils ne parlent pas seulement d'argent équilibré avec la production —mais aussi d'argent donné, à sa naissance, aux consommateurs, à tous les citoyens.
Il n'y a qu'un argent vraiment libre : l'argent qui vient sous forme de dividende — le dividende à chaque citoyen, sans aucune autre condition pour le citoyen que le fait d'être en vie.
On ne s'étonnera donc pas que les créditistes, qui vivent sur la terre et non pas dans la lune, parlent souvent de la question de l'argent. D'ailleurs qui peut sincèrement leur en faire un reproche ? Sûrement pas ceux qui ont toujours la main tendue pour demander de l'argent ; ni non plus ceux qui ont toujours la main dans la poche du contribuable pour en prendre.