La réforme du système financier demandée par les créditistes n'est qu'une technique au service d'une philosophie. C'est parce qu'il y a urgence de ce côté-là que les créditistes insistent avec tant d'acharnement sur une révision du système financier. Mais la portée du Crédit Social va bien au-delà d'une simple réforme de l'argent.
La philosophie qui inspire les créditistes, c'est le service de la personne humaine. Le service de la personne dans le domaine temporel est l'essence même du Crédit Social.
Ce que cherche le Crédit Social, c'est le rétablissement de la personne, de chaque personne dans ses droits.
Par nature, la personne vit en société. C'est donc dans une vie en société que la personne doit pouvoir mieux poursuivre son bonheur.
La personne n'entre pas en société pour perdre ses droits, pour être assujettie et amputée. C'est le contraire. C'est dans la société que la personne doit pouvoir le mieux exercer ses droits, développer sa vie propre.
C'est ce que proclame le Crédit Social. Et c'est ce qui explique son nom. Crédit Social : foi en la société.
La société doit donc servir la personne. Et ce qui, dans la société, est un obstacle à la pleine vie de la personne doit être corrigé ou éliminé.
Nous parlons du temporel et de la vie temporelle, Évidemment. Pour la vie spirituelle, il y a d'ailleurs aussi une société — l'Église. Et ce n'est pas dans l'Église qu'on admet des obstacles à l'ascension de la personne vers sa fin.
Donc, le Crédit Social pose la personne sur son piédestal dans le temporel, sur le piédestal qui lui convient.
Jamais le Crédit Social ne s'alliera avec l'idée du socialisme d'État, du communisme, du nazisme, du fascisme, du totalitarisme ou du collectivisme sous toutes ses formes. Jamais, parce que tous ces ismes-là piétinent la personne pour ne voir que des individus groupés, enrégimentés, menés, asservis.
Sans doute, d'autres écoles que le Crédit Social prétendent procurer le bien-être matériel à l'homme. Le communisme, le socialisme d'État, affichent leur intention d'assurer un certain niveau de vie aux citoyens, mais ils commencent par leur enlever la liberté, par les enrôler dans un plan imposé.
Le Crédit Social n'est nullement en retard sur aucune de ces écoles pour garantir un minimum vital à tous et à chacun ; mais il le garantit sans conditions, sans porter la moindre atteinte à la liberté de personne.
Le Crédit Social ne serait plus lui-même s'il enfreignait la liberté personnelle. Et quand il parle de liberté, c'est réellement la liberté qu'il signifie. Pas la liberté de l'homme attaché par une corde ou enfermé dans une cage, avec des repas assurés. Mais la vraie liberté, la liberté de choix, comme disait le dernier numéro de Vers Demain ; la liberté de choix qui comprend toutes les autres ; cette liberté qui distingue l'homme vraiment libre du prisonnier, prisonnier politique ou prisonnier économique.
Le Crédit Social a horreur de tout ce qui limite, de tout ce qui restreint, de tout ce qui rationne, de tout ce qui enrégimente, de tout ce qui porte le manteau de l'obligatoire.
Qui pourra soutenir une minute que la conscription respecte la liberté de choix de la personne ?
La conscription prend un homme là où il a choisi d'être, et elle le place là où il n'avait nullement envie d'aller.
La conscription enlève un homme à l'occupation de son choix et lui impose une autre occupation pour laquelle il ne se sent aucun attrait.
Personne n'a le droit de s'opposer à la liberté de vocation d'un autre ; pas même les parents. Les enfants ont, certes, le devoir d'obéir à leurs parents. Mais lorsque des parents veulent forcer leur fils (ou leur fille) à entrer dans le mariage ou dans la vie religieuse contre son gré, ces parents outrepassent leurs droits et le fils (ou la fille) n'a point du tout à leur obéir.
Eh bien, la conscription supprime la liberté de vocation. L'État passe par-dessus tout ce qu'il y a de plus sacré. Il prend des jeunes gens dans la fleur de l'âge, leur impose une vie en commun et une vie de célibat pendant des années et leur fait faire ce qu'il décide pour eux, sans s'incliner devant leurs aspirations personnelles, sans même s'arrêter devant leur droit à la vie.
Il n'est pas du tout question ici de savoir s'il peut être opportun ou nécessaire de recourir à la conscription pour éviter un malheur plus grand. Il est simplement question de la conscription en elle-même, de l'immense malheur qu'elle est, de son parfait mépris de la liberté personnelle et de la philosophie qu'elle reflète.
La conscription supprime la liberté de choix, la liberté tout court, puisqu'il s'agit de conscription et non pas de volontariat.
La conscription n'a rien de volontaire, elle est de l'obligatoire proclamé, avec sanctions sévères pour quiconque tente d'y échapper. Les conscrits savent que c'est de l'obligatoire, et les chasseurs de conscrits ont justement pour fonction de rappeler brutalement qu'il s'agit d'obligatoire.
La philosophie conscriptionniste est donc diamétralement opposée à la philosophie créditiste, toute de liberté personnelle.
La conscription est une invention moderne, née de la révolution et tout-à-fait conforme aux vues des niveleurs d'humanité.
Lorsque l'organisme social avait un peu de bon sens, l'agriculteur était un homme des champs, le clerc un homme d'église, le chimiste un homme de laboratoire, le soldat un homme d'armes. Il s'agissait de métiers, de professions librement choisies.
La révolution a fait poussière de tout cela. Le service militaire obligatoire est devenu une institution de plus en plus universelle dans le vieux monde, et l'on commence une propagande par ici pour qu'il soit établi en permanence en Amérique. Comme toujours, on trouvera de bons arguments pour nous faire avaler ce poison.
La conscription est de la même parenté que le communisme ou le socialisme : tout le monde pareil, tout le monde dans le même moule, tout le monde dans le même attelage, tout le monde par le même chemin.
Ceux qui soutiennent ou glorifient la conscription aiment à répéter que c'est la manière la plus démocratique de faire la guerre, parce que, selon eux, la conscription réalise l'égalité de sacrifices.
D'abord, égalité et démocratie sont deux termes qui vont très mal ensemble. Égalité va mieux avec communisme qu'avec démocratie ; et le communisme est une dictature.
Égalité va aussi mal avec liberté. C'est sans doute pour cela que "l'égalité" de la conscription supprime la liberté de la personne.
L'exercice de la liberté exclut l'égalitarisme, tout comme l'égalité exclut la liberté.
Mais les conscriptionnistes crient tout de même : Égalité de sacrifice ! Et l'expression sonne bien. Pourtant, qui assure qu'il y a égalité de sacrifice entre le conscrit Pierre et le conscrit William ? Qui peut peser ou mesurer les renoncements et leurs circonstances aggravantes ou atténuantes pour chacun des conscrits ? Nous croyons, au contraire, qu'il n'y a pas deux sacrifices exactement égaux dans la conscription pour tous, parce que toutes les personnes sont différentes, chaque personne est son univers propre.
Quiconque connaît tant soit peu l'histoire doit bien comprendre aussi qu'il peut y avoir chez les descendants des habitants de la Nouvelle-France de 1760 une répulsion qui peut ne pas exister chez leurs co-Canadiens d'aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de suivre l'Empire dans ses guerres même défensives. C'est mentir que parler d'égalité de sacrifice par la conscription imposée de Halifax à Vancouver. Puis, si l'on persiste à parler d'égalité de sacrifice, pourquoi ne pas aussi demander, comme les communistes, l'égalité de bénéfices ? Tant qu'à entamer leur chanson, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout ?
Tout comme le communisme, la conscription fait abstraction de la personne et ne considère que l'animal humain à utiliser.
Le démon est l'envers de Dieu : Demon est Deus inversas, comme se plaît à le répéter le major Douglas, fondateur de l'école créditiste.
De même aussi, la franc-maçonnerie est l'envers de l'Église. C'est une sorte de contre-église, pour produire chez les hommes exactement le contraire de ce que produit l'Église du Christ.
L'Église est la société spirituelle dans laquelle la personne humaine trouve le climat le mieux adapté à sa vie divine. Dans l'Église, la personne humaine se différencie en se développant. Dans l'Église, l'épanouissement de la personne et son progrès vers sa fin ultime sont facilités à chacun, au plus humble des fidèles.
La franc-maçonnerie est la société intellectuelle qui vise à mouler un monde où doit disparaître ce qu'il y a de divin dans la personne, où une sorte d'âme universelle, d'âme-groupe doit animer tous les individus, selon les dictées d'un conclave occulte, inspiré par Satan.
Détruire la personne, pour détruire l'œuvre divine. Ne faire de l'homme qu'un animal intelligent, mû au gré d'experts en plans de l'école maçonnique : quelle belle vengeance pour Lucifer !
Dites cela au premier franc-maçon que vous rencontrerez, il le niera fortement, et même il le niera sincèrement. C'est qu'en effet, comme l'écrit Douglas : "L'essence de la franc-maçonnerie, c'est que 99 pour cent des francs-maçons ne savent pas ce qu'elle cherche et ne se rendent pas compte de l'objectif des actes auxquels on les porte."
C'est bien avec le développement de la maçonnerie dans le monde que se répand l'idée de conscription, d'enrégimentation, de planisme, civil ou militaire.
Tout ce qui diminue la personne, est agréable à Satan ; et la conscription diminue la personne.
La conscription fait partie du grand complot mondial contre la liberté personnelle. Comme en fait partie aussi le capitalisme actuel : combien des millions d'ouvriers de l'industrie ont le moindre intérêt au résultat de leur travail ? Ils travaillent pour leur paie, mais le produit final de leur travail est aussi étranger à leur personne que les phases de la lune au moineau qui picote dans les rues de Montréal.
Puisque nous avons opposé la philosophie créditiste à la philosophie conscriptionniste, il ne sera pas hors de propos de terminer sur une citation du Major Douglas :
"La recherche de l'efficacité de production a sectionné le travail de l'usine moderne et créé un divorce complet entre l'ouvrier et le produit fini. Cela conduit inévitablement l'ouvrier à se considérer comme partie d'une machine dont le produit final ne l'intéresse pas du tout." Mais il est obligé de se soumettre à cet étouffement de sa personne pour garder son gagne-pain : c'est la conscription industrielle.
Douglas ajoute :
"Ce caractère n'est pas exclusif à la vie industrielle. On a souvent signalé la relation entre le militarisme et le capitalisme comme moyens de donner cours à la volonté de domination. L'institution universelle du service militaire obligatoire a consacré une menace qui semble sceller définitivement le pouvoir que s'arroge l'autorité de dicter à l'individu les conditions auxquelles il lui sera permis de continuer d'exister." (Economic Democracy, pp. 43-44.)