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Notre pays doit créer son propre argent, sans dette

Alain Pilote le jeudi, 01 mai 1997. Dans Crédit Social

Au lieu de l'emprunter à intérêt des banques privées

La naissance de l'argent

L'argent est une chose dont on se sert tous les jours, mais la plupart des gens ignorent d'où vient l'argent. Aujourd'hui, on apprend même aux tout jeunes comment les enfants viennent au monde, mais la grande majorité des adultes sont incapables de dire comment l'argent vient au monde. En effet, la plupart des gens s'imaginent que c'est le gouvernement qui crée l'argent. Les billets de banque, disent-ils, ne sont-ils pas imprimés par la Banque du Canada, une institution de la nation ?

Eh bien non, ce n'est pas le gouvernement qui crée l'argent. Si le gouvernement créait l'argent, comment se fait-il qu'il ait une dette de plus de $600 milliards ? La réalité, c'est que les billets de banque et pièces de monnaie représentent moins de 2% de tout l'argent en circulation. Le reste, plus de 98%, est créé par les banques. Les banques n'impriment pas de papier-monnaie, mais elles créent une autre forme d'argent, de l'argent nouveau qui n'existait pas auparavant, de l'argent de chiffre (que l'on voit inscrit sur les chèques ou les comptes de banques), chaque fois qu'elles accordent un prêt. Et pareillement, chaque fois qu'un prêt est remboursé à la banque, c'est de l'argent qui n'existe plus, qui diminue d'autant la quantité d'argent en circulation.

L'argent est créé par les banques sous forme de dette

Le problème, c'est que les banques créent l'argent sous forme de dette : elles créent le capital qu'elles prêtent, mais ne créent pas l'intérêt qu'elles exigent en plus en retour. En d'autres mots, les banques demandent à la population de rembourser de l'argent qui n'existe pas. Le seul moyen de rembourser de l'argent qui n'existe pas, c'est d'emprunter de nouveau, et c'est ce qui fait que tous les pays du monde se retrouvent avec des dettes impayables, que les faillites s'accumulent pour les compagnies et les particuliers, et que les gouvernements coupent de plus en plus dans des services qui sont nécessaires à la population.

La plus grande escroquerie

Cette façon de créer l'argent pour le pays est insensée et injustifiable, c'est même la plus grande escroquerie de tous les temps. En agissant ainsi, les banquiers se considèrent propriétaires de tout l'argent du pays, mais, remarquez-le bien, ce n'est pas le banquier qui donne à l'argent sa valeur, mais la production du pays. Le banquier ne produit absolument rien, il ne fait que créer des chiffres, qui permettent au pays de faire usage de sa propre capacité de production. Sans la production de tous les citoyens du pays, les chiffres du banquier ne valent absolument rien.

La solution : un argent sans dette créé par la société

Donc, le gouvernement peut très bien créer lui-même ces chiffres, représentant la production de la société, sans passer par les banquiers, et sans s'endetter. Pourquoi le gouvernement devrait-il payer de l'intérêt à un système bancaire privé pour l'usage de sa propre monnaie, qu'il peut émettre lui-même, sans intérêt et sans dette ? En fait, c'est le premier devoir de tout état souverain d'émettre sa propre monnaie, sans dette. Le fait que le gouvernement ait abandonné cette fonction aux banques privées, est une trahison sans nom, abominable, qui ne sera jamais assez dénoncée.

Que le gouvernement se refuse à lui-même un privilège que par loi il a accordé aux banques est le comble de la stupidité, le plus grand acte de trahison qui puisse exister. En agissant ainsi, le gouvernement se fait le serviteur des banquiers, et méprise le peuple.

Pas d'inflation

La crainte de certains économistes que de l'argent créé par le gouvernement crée automatiquement de l'inflation ne tient pas debout. Quelqu'un doit créer l'argent au pays, alors pourquoi pas le gouvernement, au lieu des banques ? Quelle différence peut-il y avoir entre $1 million créé par le gouvernement, et $1 million créé par les banques ? C'est exactement la même quantité d'argent, basé sur la même capacité de production du pays. Alors, pourquoi le million émis par le gouvernement serait-il inflationniste, et le million émis par les banques ne le serait pas ?

En réalité, la seule différence, c'est que dans le cas du million émis par le gouvernement, c'est que le gouvernement n'aurait pas à s'endetter ni à payer de l'intérêt pour obtenir ces chiffres. Et pour quiconque y réfléchit bien, au contraire, c'est précisément l'argent émis par les banques privées qui est cause d'inflation : l'inflation, ça veut dire les prix qui augmentent. Or, l'obligation pour les gouvernements et compagnies qui empruntent de ramener à la banque plus d'argent qui en est sorti, oblige justement les compagnies à gonfler leurs prix, et les gouvernements à gonfler leurs taxes.

Une comptabilité exacte

La règle d'or pour éviter l'inflation, c'est d'avoir un équilibre constant entre le pouvoir d'achat et les prix ou, en d'autres mots, d'avoir autant d'argent que de produits. Une technique bien simple pour obtenir cet équilibre, c'est d'émettre l'argent selon la production, et de le faire retourner à sa source (la banque centrale) selon la consommation. (Cette technique a été expliquée dans la brochure de Louis Even, "Une finance saine et efficace", et dans d'autres articles précédents de Vers Demain.) L'argent ne serait alors rien d'autre qu'une comptabilité juste, le reflet exact des réalités économiques.

Pour que l'argent nouveau soit émis selon les faits de la production et de la consommation, et non pas selon les caprices des gouvernements au pouvoir, l'émission de cet argent serait confiée à un organisme indépendant, un Office national de crédit, qui, tout comme le système judiciaire, s'assure de l'observance des lois, tout en demeurant indépendant des politiciens. Le Parlement confierait par loi à cet Office national de crédit la tâche de créer l'argent nouveau pour le pays, et toute fraude ou tricherie serait impossible : l'argent serait tout simplement émis selon les statistiques de la production et de la consommation, et ces statistiques sont publiques, à la vue de tous.

La Banque du Canada doit servir les Canadiens

En fait, la Banque du Canada, si on lui en donnait l'ordre, pourrait très bien tenir ce rôle d'Office national de crédit pour la nation canadienne. Cette banque fut créée par le gouvernement canadien en 1934 pour "régler le crédit et la monnaie dans le meilleur intérêt de la vie économique de la nation". En 1938, toutes ses actions étaient achetées par le gouvernement, ce qui veut dire qu'elle appartient à 100% au gouvernement, à la population du pays.

Cette banque appartient au gouvernement, et le gouvernement prétend qu'il ne peut pas lui donner d'ordres ! Pourtant, depuis 1967, il est même inscrit dans la loi de la Banque du Canada que le gouvernement peut lui donner des directives, qu'elle est obligée de suivre (malheureusement, le gouvernement n'a jamais osé se servir de cette prérogative). Il est aussi écrit, à l'article 18c) de la même loi : "La Banque peut acheter ou vendre des valeurs ou titres émis ou garantis par le Canada ou une province." En d'autres mots, elle peut financer sans intérêt les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, en achetant leurs obligations.

Depuis sa création jusque dans les années 1970, la Banque du Canada créait plus de la moitié de l'argent du pays, à un taux moyen de moins de 1%. Aujourd'hui, dû à la pression des banques privées, elle crée moins de 2% de la masse monétaire, et les banques privées créent le reste, à intérêt.

Il faut que la Banque du Canada revienne à sa politique d'origine, et émette tout l'argent nécessaire pour la bonne marche de l'économie de la nation. Le gouvernement pourrait ainsi financer tous les développements et programmes sociaux que la population réclame et qui sont physiquement réalisables.

Comme le disait le premier ministre canadien Mackenzie King en 1935 : "Tant que le contrôle de l'argent et du crédit n'aura pas été restitué au gouvernement et reconnu comme sa responsabilité la plus évidente et la plus sacrée, il est vain de parler de démocratie et de souveraineté du parlement."

Puisqu'il est prouvé qu'il n'y aurait aucun danger d'inflation, et que cela résoudrait tous les problèmes financiers pour l'administration du pays, le gouvernement fédéral doit agir immédiatement, et reprendre l'exercice de la création de l'argent pour le pays. Le gouvernement d'Ottawa ne doit plus endurer une seule minute de plus cette dictature d'argent-dette imposée par les banques privées, qui a fait souffrir trop longtemps et inutilement toute la population canadienne.

Si Ottawa n'agit pas que les provinces instituent un crédit financier provincial

Les dix gouvernements provinciaux, et toute la population canadienne, doivent faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il établisse un système de comptabilité nationale, un crédit financier pour mettre en œuvre les possibilités de production du pays et répondre aux besoins de la population canadienne.

Mais si malgré tout Ottawa ne veut pas agir, et préfère rester soumis aux ordres de la Haute Finance, les Canadiens doivent-ils se résigner à subir éternellement la dictature de l'argent-dette des banquiers ? Non, il existe encore les dix gouvernements provinciaux, qui eux aussi ont le pouvoir de faire des lois.

En fait, même si Ottawa ne veut pas agir, les dix provinces n'ont aucune raison de rester les esclaves du système financier : chacune d'entre elles n'a qu'à instituer ce qu'Ottawa refuse de faire, c'est-à-dire un système de comptabilité, de crédit financier mais cette fois-ci provincialement, à la grandeur de la province, pour mettre en œuvre la capacité de production de la province.

Au lieu d'être un Office de crédit national, ce serait un Office de crédit provincial, mais le fonctionnement resterait fondamentalement le même, puisque dans les deux cas, il ne s'agit que de comptabiliser la production et la consommation à l'échelle du pays pour l'un, et à l'échelle d'une province pour l'autre.

Aucun problème constitutionnel

Et tout cela serait parfaitement constitutionnel : même si la Constitution du Canada réserve au gouvernement fédéral la juridiction sur les activités bancaires et la frappe de la monnaie, cela n'empêche nullement les provinces d'utiliser ce qui leur appartient déjà leur propre capacité de production. Car tout ce dont il est question lorsqu'on parle d'un Office de crédit provincial, c'est de tenir une comptabilité exacte de la production et de la consommation dans la province. Et pour compter, on n'a pas besoin de banques ni de billets, on n'a besoin que de chiffres.

Que ce soit un billet de banque ou un chèque, l'argent n'est pas autre chose qu'un chiffre inscrit sur un bout de papier, qui donne droit aux produits : par exemple, un billet de 20 dollars de la Banque du Canada donne droit à n'importe quel bien ou service, à travers tout le Canada, pour une valeur de 20 dollars. Ce qui fait la valeur de ce bout de papier où il est écrit 20 dollars, c'est qu'il existe des produits et services dans le pays pour répondre à la demande des consommateurs. S'il n'y avait pas de produits dans le pays, ce bout de papier ne vaudrait absolument rien.

Le même raisonnement s'applique à un crédit financier provincial : 20 dollars de crédit financier émis par la province serait essentiellement des chiffres, inscrits dans le compte de chaque utilisateur de ce crédit provincial, des chiffres qui donnent droit à tout produit et service offerts dans la province.

De plus, tout le monde connaît les bons d'achats émis par les magasins, qui sont remboursables en marchandise : ces coupons sont aussi bons que de l'argent, en autant qu'ils soient utilisés dans un magasin qui les a émis. Ces magasins n'ont pas le droit d'émettre de l'argent, mais ils ont certainement le droit d'émettre des coupons qui permettent d'obtenir leurs produits.

Pareillement, avec un crédit financier provincial émis, disons, par la province de Québec, on pourrait obtenir n'importe quel produit mis en vente au Québec. La province de Québec n'a pas le droit d'émettre de la monnaie, mais elle a le droit d'émettre des chiffres qui permettent d'obtenir les produits du Québec. En fait, toute production provient de deux choses : les richesses naturelles et les travailleurs. Et ces deux éléments sont de juridiction provinciale.

Il n'y aurait donc aucun problème légal, constitutionnel, pour appliquer un système de crédit financier provincial. Et du côté technique, le fonctionnement du système, il n'y aurait pas de problème non plus, puisqu'il ne s'agit que d'une question de comptabilité, d'ajuster les chiffres selon les statistiques de la production et de la consommation. (Dans un article dans les pages suivantes, M. Even explique, par exemple, comment se feraient les paiements avec les autres provinces sous un tel système.)

Pas besoin de séparatisme

Puisqu'il n'existe aucun problème technique ou constitutionnel, les provinces n'ont nullement besoin d'attendre la permission d'Ottawa pour instituer un système de crédit financier provincial, se libérer de la dictature de l'argent-dette, et mettre fin à leurs propres problèmes financiers. De plus, pas besoin pour une province de se séparer du reste du pays pour instituer un crédit financier provincial, puisque cela est déjà permis dans les limites de la Constitution actuelle du Canada. Par exemple, même le premier ministre québécois Lucien Bouchard et son gouvernement, s'ils voulaient réellement le bien-être des Québécois, pourraient établir immédiatement un système de crédit financier provincial, sans avoir à se séparer du reste du Canada. Le gouvernement péquiste est prompt à accuser le gouvernement d'Ottawa pour tous les problèmes du Québec, mais s'il n'établit pas son propre système de crédit financier provincial pour régler les problèmes économiques de la province, le gouvernement péquiste n'aura alors que lui-même à blâmer. Tout en prétendant être "souverainiste", le gouvernement péquiste, s'il n'agit pas, refuserait d'utiliser un droit qui lui appartient déjà, et il se trouverait alors tout aussi "collé" aux Financiers que le gouvernement fédéral qu'il critique tant !

Par ailleurs, les premiers ministres provinciaux ont raison de blâmer le gouvernement fédéral, qui est en train de pelleter son déficit dans la cour des provinces, en réduisant les sommes d'argent qui sont destinées à ces mêmes provinces. Voilà donc une occasion en or pour les provinces de libérer financièrement leur population.

Pas besoin d'attendre que toutes les provinces agissent ensemble. Il suffit qu'une seule province donne l'exemple, et toutes les autres s'apercevront très vite de l'efficacité d'un tel système. Donc, que les Québécois réclament un Crédit-Québec pour la province de Québec, que les Ontariens réclament un Crédit-Ontario pour l'Ontario, et ainsi de suite pour les dix provinces canadiennes, pour rendre financièrement possible dans chaque province ce qui est physiquement possible dans ladite province.

Alain Pilote

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