Ami lecteur, es-tu de ceux qui désirent sincèrement la délivrance économique du peuple ? Si oui, c'est à toi, et à toi seul, que ces lignes s'adressent.
La délivrance d'un peuple, c'est son rachat, sa rédemption. "Rédemption" vient de "redimere", qui veut dire "racheter".
Mais, as-tu bien songé qu'une rédemption demande un rédempteur, et que dans celle qui nous occupe, le rédempteur, c'est toi ? Sais-tu bien surtout que pour être rédempteur, il faut mourir pour ceux qu'on veut sauver ?
Oui, mourir. Que tu sois simple profane, créditiste inactif ou créditiste militant, la mort de toi-même est la première condition de la rédemption que tu veux opérer.
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Tu est profane, plus ou moins ignorant du Crédit Social, et par conséquent incapable encore de l'approuver ? Meurs !
Meurs à tous tes préjugés et à toutes connaissances antérieures. Fais-toi comme une cire molle qui n'a jamais servi. Dis-toi que tu ne sais plus rien, et que tu voudrais bien connaître la vérité... Puis, nais de nouveau. Comme un tout petit enfant, éveille-toi au monde et questionne les hommes :
Voici un ouvrier qui revient de l'usine à 8 heures du matin : "Dites donc, monsieur, pourquoi travailler de nuit, quand la nuit est faite pour dormir ?" — "Pour gagner un salaire, mon enfant."
Voici un cultivateur qui laisse dormir sur sa terre des centaines de cordes de bois, alors que les citadins en manquent : "Pourquoi ne pas vendre tout ce bois-là ?" — "Parce que le prix du transport, ajouté à mon prix de revient, dépasserait le plafond fixé."
Voici un ministre, insensible aux appels désespérés d'un peuple en souffrance, mais dévoré de zèle envers un Président de Banque et rempli de complaisance envers un directeur de compagnie : "Monsieur le Ministre, pourquoi cette différence ?" — "Ignores-tu, mon enfant, qu'il m'est impossible d'administrer le pays sans les bonnes grâces du Banquier et d'accéder au pouvoir sans l'appui du brasseur d'affaires ?"
Voici un professeur d'Économie : "Monsieur le Professeur, pourquoi l'étude du Crédit Social n'est-elle pas au programme ?" — "Parce que celui qui oserait l'enseigner perdrait automatiquement son emploi, donc son revenu." Etc., etc.
C'est ainsi que tu découvriras, au cœur de toutes choses, une question d'argent. À ta grande surprise, tu t'apercevras que l'argent mène tout, oriente tout, même les consciences. Tu comprendras l'absurdité d'un régime social où l'on ne donne rien pour rien, où il faut produire des choses inutiles pour avoir la permission d'obtenir les choses nécessaires, déjà produites en abondance et inutilisées. Et tu apprendras que ceux qu'on appelle l'élite ne sont, en général, que des monuments d'orgueil, d'ambition, d'hypocrisie, d'égoïsme et de lâcheté, que la vraie élite se trouve chez les pauvres et les humbles.
Tu voudras alors faire un pas de plus, en connaître davantage, autrement que par les émanations d'une presse stipendiée, et tu t'abonneras à l'humble journal VERS DEMAIN.
Tu es déjà abonné, convaincu du Crédit Social, mais tu ne fais rien pour l'obtenir ? Meurs, toi aussi !
Meurs à ton inertie, à ta timidité, à tes habitudes de vie bourgeoise qui te font t'asseoir paresseusement, le soir, après ta journée d'ouvrage, pour fumer, causer de banalités, peut-être manger des réputations, lire des riens ou écouter à la radio des programmes déformateurs.
Meurs à tout cela, entièrement et courageusement... Puis, renais, toi aussi. Fais-toi enfant. Dis-toi que tu n'as jamais rien fait, et que tu es capable de tout. Puis, va, sors de chez-toi, et gagnes-en d'autres à ton idéal. Fais-toi voltigeur, conférencier-causeur ou conquérant. La libération, que tu désires tant, tu commenceras à la mériter.
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Tu es déjà un créditiste militant, un membre actif dans le mouvement ? C'est très bien. Mais toi aussi il te faut mourir !
Meurs à ton ambition, qui te fait peut-être t'occuper de Crédit Social pour obtenir des faveurs, un poste en vue dans la société.
Meurs à ton amour du prestige et des honneurs, qui t'empêche d'abandonner telle charge honorifique dans une autre organisation, plus "considérée" que vraiment utile, et pour laquelle tu consacres des moments, perdus pour le Crédit Social.
Meurs à ton amour de la gloire, qui te fait chercher plutôt à éblouir le peuple qu'à l'instruire dans la vérité.
Meurs aussi à certains liens d'amitié, fort agréables peut-être, mais qui te distraient, volontairement ou non, de ton objectif.
Meurs à une certaine admiration de toi-même, à une complaisance intéressée dans tes succès, qui met une lie impure dans une entreprise de rédemption.
En un mot, meurs à ton égoïsme, et ne travaille en rien pour ton propre avantage.
Une rédemption ne s'accomplit que dans la mort, ne l'oublie pas. "Si le grain ne tombe en terre et ne meurt, il ne porte pas de fruit", est-il écrit.
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Que tu seras magnifique alors, ami lecteur : tu seras devenu un rédempteur de tes frères !
Jean GRENIER