—Vous êtes Canadien, monsieur Dubois ?
—En doutez-vous ?
—Non, je veux seulement souligner le fait. Vous n'êtes pas millionnaire, n'est-ce pas ? Mais vous ne vivez pas dans un taudis non plus.
—Ni l'un ni l'autre. Je crois que je représente assez la moyenne.
—Ah ! très bien. Famille moyenne aussi, peut-être ?
—J'ai une femme et six enfants, tous à la maison encore.
—Huit. Huit citoyens du Canada. Eh bien, monsieur Dubois, vous devez $8,000.
—Je n'ai aucune dette, monsieur.
—Plus de $8,000, monsieur Dubois. À titre de citoyens du Canada, chaque membre de votre famille porte sa charge de la dette publique. Et la dette publique, la fédérale seule, dépasse $1000 par personne. Si votre famille représente la moyenne du pays, vous pouvez clouer un écriteau au-dessus de la porte de votre maison : Endettés pour plus de $8,000.
—Je ne paierai jamais cela. Tout ce que je gagne, j'en ai besoin. Je suis le seul à tirer un salaire dans ma famille.
—Vous ne paierez jamais cette dette. Non, et quand vous mourrez, vous la passerez à vos enfants. Elle va continuer de grossir, allez. Elle a grossi de votre vivant. Vous ne la paierez pas, et vos enfants ne la paieront pas. Mais, vous en payez l'intérêt tous les ans, et vos enfants continueront après vous.
—Est-ce pour cela que les taxes sont si fortes ?
—En partie. Et non seulement les taxes sont plus fortes à cause de la dette, mais les prix des produits sont plus gros. Ce que vous ne payez pas aux créanciers du Canada, d'autres le paient. Ceux qui sont le plus en moyen paient davantage. Les grosses compagnies paient plus que vous. Mais elles ne font pas banqueroute pour cela, elles vendent leurs produits plus cher, et nous les aidons à payer.
—Mais quand est-ce qu'on a fait cette dette-là ?
—Chaque fois que le Canada se développe, il s'endette.
—Vous ne me dites pas ?
—Chaque augmentation de la production du pays exige une augmentation d'argent pour écouler cette production. Chaque augmentation d'argent vient au monde à l'état de dette. Dette par un gouvernement, si c'est un gouvernement qui fait venir cet argent nouveau, en empruntant. Dette par un particulier ou par une compagnie, si c'est un industriel qui emprunte. Si c'est le gouvernement, la dette signifie des taxes pour vous, directes par les impôts ou indirectes par les prix. Si c'est une compagnie, cela signifie des prix plus gros pour les produits, puisque l'emprunteur doit rembourser, ou au moins payer les intérêts.
—Ah ! je crois comprendre. Mais, à ce coup-là, la guerre peut bien faire monter la dette, puisque le pays est passé du chômage à la plus grande activité de jamais.
—Exactement. Cette année, nous paierons pour le seul service de la dette (sans la diminuer), 75 millions de plus que l'année dernière. C'est une augmentation de 32 pour cent.
Avant la guerre, ça nous prenait $128 millions, chaque année, et l'on trouvait cela un lourd tribut. À présent, ça va nous prendre $310 millions par année.
—Paie-t-on cette dette à ceux qui font la guerre ?
—Pas du tout. On la paie aux créanciers, aux détenteurs d'obligations, aux financiers.
—Mais ce ne sont pas eux qui gagnent la guerre !
—Non, mais ce sont eux qui ramassent les créances. Et quand nos soldats reviendront du front, et quand nos hommes auront fini de faire des canons, tous devront travailler et payer la guerre aux financiers. Les soldats, comme les autres, paieront la guerre après l'avoir faite.
—Mais c'est un esclavage, cela !
—Oui, c'est l'esclavage financier. Et les chaînes de l'esclavage se forgent de plus en plus grosses à mesure que nous nous battons pour la liberté.
—Mais ça n'a pas de bon sens !
—Aucun. Regardez le Canada d'aujourd'hui. Comparez-le au Canada d'il y a cinquante ans, d'il y a cent ans, d'il y a trois cents ans. À mesure qu'il s'enrichit, il s'endette. Aussi, malgré tout le progrès de la science et des machines, les Canadiens sont de moins en moins les maîtres chez eux. Les financiers sont de plus en plus les maîtres, parce qu'ils ont fait accepter un système d'argent pour leur permettre de voler les ressources du Canada et le travail des Canadiens.
—Ne pourrait-on pas changer cela ?
—Certainement. Supposons qu'on vous donne un dividende de $8,000 au lieu de vous écrire une dette de $8,000.
—J'aimerais mieux cela.
—Oui. Eh bien, cette dette publique, c'est le dividende national de tout le monde volé par le système. La dette a été bâtie petit à petit par le système. Il faudrait la changer petit à petit en dividendes, remis aux ayants-droits, à tous et à chacun des citoyens.
— À tous ?
—Oui, parce qu'on vit en société. Dans une société où le système malsain établit des dettes nationales, est-ce qu'on ne tient pas tous les citoyens solidaires des dettes nationales ? Dans la même société, où un système sain traduirait le progrès du pays en dividende national, tous les citoyens seraient tenus bénéficiaires du développement du pays.
—J'aime l'idée, monsieur. Mais je ne voudrais pas que donner des dividendes à tout le monde fasse du tort à des particuliers.
—Mon ami, votre conscience peut être bien tranquille là-dessus. Lorsqu'il s'agit d'une dette nationale, elle ne fait de bien à personne ; seule la petite clique qui exploite ainsi l'humanité en tire du profit. De même, lorsqu'il s'agira d'un dividende national, cela ne fera de tort à personne ; seule la même petite clique devra renoncer à son exploitation de l'humanité.
—Vous m'ouvrez un horizon, monsieur. Pourrais-je avoir plus de détails là-dessus ?
—Certainement. Étudiez le Crédit Social. C'est le Crédit Social qui enlèvera des portes des maisons l'écriteau de la dette nationale, pour le remplacer par l'écriteau du dividende national. Par exemple, si le dividende est de $10 par personne chaque mois, on pourra remplacer l'affiche "Dans cette maison, on doit $8000", par l'affiche : "Dans cette maison on a droit à $80 de dividende par mois."