L'article suivant explique les avantages d'avoir une monnaie locale ou alternative à la grandeur d'un village ou d'une région, à défaut d'avoir les principes du Crédit Social appliqués à la grandeur d'un pays. En effet, si un crash financier arrive du jour au lendemain, il est utile de créer dès maintenant parmi la population un réseau d'entraide et de solidarité, pour pouvoir se procurer et échanger les produits et services même en l'absence de monnaie nationale officielle.
par Juan Castro Soto
La théorie de la Démocratie Économique proposée par l'ingénieur écossais Clifford Douglas distribue de la nouvelle monnaie de manière à ce que la production et la consommation soient équivalentes. Elle est mise en pratique par des techniques simples connues aussi sous le nom de Crédit Social, promues plus tard par Louis Even. On peut diviser cette théorie en trois points :
1) Émission gratuite de nouvelle monnaie sans dette.
2) Distribution de dividendes gratuits aux consommateurs et aux producteurs.
3) Établissement d'un escompte pour les consommateurs, remboursé ou compensé aux vendeurs par la banque centrale.
Les propositions de Douglas concernant la distribution de nouvelle monnaie ne sont pas un caprice ni simplement une question de liberté ou de capacité. Elles s'expliquent par le fait que, techniquement et mathématiquement, il est impossible de consommer tout ce que le marché produit en ne percevant qu'un salaire, car sa valeur n'inclut pas le coût des intrants, tels que la technologie et les matières premières : le salaire correspond au travail et à rien d'autre. Par conséquent, les prix seront toujours supérieurs au pouvoir d'achat du salaire.
Douglas a expliqué cela par le théorème des prix « A+B », où A représente les salaires, B représente les autres coûts de production, et A+B le prix total d'une production donnée. Les salaires A ne pouvant acheter le total des prix (A+B), le Crédit Social comble ce manque de pouvoir d'achat.
Clifford Douglas et Louis Even prévoyaient d'appliquer cette démocratie économique aux niveaux national et international, en tant que nouveau système financier répondant aux besoins financiers des citoyens, dans un monde où, paradoxalement, les produits et services abondent.
Cependant, le monde est dominé par un système financier supranational qui empêche la mise en œuvre du Crédit Social, empêchant tout gouvernement d'émettre sa propre monnaie et de la distribuer gratuitement.
C'est ainsi que, dans la seconde moitié du siècle dernier, les monnaies locales ou alternatives, indépendantes des gouvernements, ont commencé à gagner du terrain. Elles ne sont pas issues de la théorie de Douglas, mais cherchaient plutôt des solutions à ce même manque de pouvoir d'achat
Pour les partisans de ces monnaies locales, un théorème n'était pas nécessaire pour prouver que la monnaie était insuffisante ; c'était un véritable axiome qui n'avait pas besoin de preuve ! Ils l'ont donc simplement créé, disons grossièrement, sans grande explication.
D'un côté, Douglas n'avait pas l'intention d'appliquer ses théories au niveau local ; de leur côté, les monnaies locales n'étaient pas familières avec les théories de Douglas cinquante ans plus tôt. Elles ne coïncidaient pas dans le temps.
Cependant, les théories de la démocratie économique ou crédit social ont beaucoup en commun avec les monnaies locales. En réalité, les monnaies locales mettent ces théories en pratique, ce qui constitue une base théorique très utile pour mieux comprendre leur fonctionnement.
Certes, les monnaies locales ne résolvent pas les problèmes d'un pays entier, mais elles améliorent la situation des petites communautés et peuvent se propager de plus en plus loin : il en existe déjà environ 5 000 dans le monde, et elles constituent un modèle et une pratique pour une économie plus juste à plus grande échelle à l'avenir.
Elles créent un réseau communautaire de confiance, de solidarité, de compréhension et d'entraide, avec des relations fraternelles plutôt que compétitives.
Examinons maintenant quelques caractéristiques qui permettent de classer la plupart des monnaies locales comme des expériences de démocratie économique ou crédit social.
1. Elles répondent à des besoins. — Les monnaies locales sont créées pour faciliter les échanges et le commerce, afin que les produits et services parviennent à ceux qui en ont besoin. C'est l'objectif principal de l'économie en général, tant pour la démocratie économique que pour les monnaies locales.
2. Libre émission de monnaie. — Les monnaies locales sont imprimées ou émises par une communauté de producteurs et de commerçants qui utilisent cette monnaie dans leurs transactions commerciales. Autrement dit, elles disposent de la souveraineté monétaire requise par le crédit social pour générer la monnaie dont elles ont besoin ; une souveraineté qui fait défaut aux gouvernements car ils dépendent de banques usuraires.
3. Sans dette ni intérêt. — Le Crédit Social et les monnaies locales ne s'obtiennent pas comme une dette bancaire devant être remboursée avec intérêt. Ils représentent une augmentation de la monnaie en circulation et du pouvoir d'achat. Les prêts bancaires, en revanche, génèrent une pénurie de monnaie, provoquant une hausse des prix pour rembourser ces dettes.
4. Dividende Social. — Comme le Crédit Social, les monnaies locales sont distribuées gratuitement à tous les participants, de manière équitable, les aidant à financer leur consommation ou leur production. Ou bien, elles sont distribuées à un coût inférieur à celui de la monnaie officielle. Cette distribution n'est pas basée sur un pourcentage de la production totale, comme pourrait l'être le Crédit Social, mais elle contribue à créer une société d'abondance lorsque le problème est une pénurie de monnaie.
5. Escompte compensé. — Les producteurs et les commerçants offrent souvent de meilleurs prix aux consommateurs par simple solidarité. Et cette compensation est obtenue par réciprocité. De plus, les produits et services deviennent plus accessibles en facilitant et en combinant les modes de paiement.
6. Fondé sur la confiance. — Les monnaies sociales et le Crédit Social rétablissent la confiance entre les individus et reconstruisent le tissu social. Mais l'aspect le plus important de la confiance va au-delà du fonctionnement de la monnaie locale comme instrument d'échange : c'est la confiance dans les personnes qui l'utilisent et l'acceptent.
7. Économie locale. — Les monnaies locales visent à renforcer l'économie locale. Elles ne sont pas destinées à exporter pour obtenir de l'argent ou des devises en échange de nos richesses ; elles visent à garantir que ces richesses soient consommées par les familles de la région.
8. Démocratie libre. — Le Crédit social présuppose que la nation dispose d'une véritable démocratie et décide de la mettre en œuvre ; ce qui est rarement le cas aujourd'hui. Les monnaies locales, en revanche, sont le fruit de véritables décisions démocratiques, où les acteurs ont la liberté d'innover et de s'organiser avec leurs propres mécanismes d'auto-gouvernance. Elles ne dépendent pas d'organisations extérieures aux participants qui prennent des décisions arbitraires ou contraires à la volonté commune. Elles ne dépendent pas non plus des conditions ou des obstacles imposés par un gouvernement.
9. À but non lucratif. — Le Crédit social ne crée pas de monnaie destinée à la spéculation ou à être vendue en bourse, comme le font de nombreuses monnaies numériques. Il en va de même pour les monnaies locales ou communautaires, car elles ne sont pas destinées à être achetées et vendues pour un gain monétaire, mais plutôt à échanger des biens et des services : elles sont un instrument facilitant et encourageant les échanges, et non une marchandise à vendre.
10. Chrétiennes en pratique. — La plupart des monnaies locales n'ont pas été créées pour appliquer des principes chrétiens et ne sont pas guidées par une quelconque religion. Cependant, et sans le vouloir, elles sont profondément chrétiennes, car elles se soucient du bien-être de tous les participants et ne visent ni à voler ni à asservir qui que ce soit. Elles créent un réseau communautaire de confiance, de solidarité, de compréhension et d'entraide, privilégiant les relations fraternelles plutôt que la compétition.
Juan Castro Soto