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Les yeux sur Ottawa

le lundi, 01 février 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

On se rappelle que l'an dernier, lorsque M. Heaps proposait à Ottawa une résolution pour abaisser à soixante ans l'âge requis pour la pension de vieillesse, les honorables ministres déclarèrent qu'ils partageaient les mêmes sentiments humanitaires que lui, et qu'ils seraient heureux de pouvoir accepter la proposition, mais que le Canada manquait d'argent. À ce sujet, le député travailliste de Winnipeg faisait les remarques suivantes qui mettent en relief la stupidité d'une pénurie de monnaie quand il y a surabondance de produits :

"Mais je suppose que les mêmes honorables membres qui se disent favorables et sympathiques à cette idée vont soulever la même vieille question : Où va-t-on prendre l'argent ? Si le ministre de l'Agriculture était à son siège, je lui demanderais si nous avons assez dans ce pays, en fait de denrées alimentaires, pour donner une nourriture raisonnable à tous ceux qui ont soixante ans ou plus, et je crois que le ministre me répondrait qu'il y a plus qu'il faut pour cela. Puis, si je me tourne vers le ministre du Commerce et que mande : Avons-nous en ce pays assez de vêtements et de logement pour satisfaire tous les besoins raisonnables de nos gens de plus de soixante ans ? Je pense que je recevrais de l'honorable ministre la réponse que nous les avons, et de reste. Puis je me tournerais vers l'honorable ministre des Finances, que je vois à son siège, et je lui demanderais : Avez-vous assez de monnaie pour satisfaire les besoins de ceux qui ont atteint l'âge de soixante ans ? Et sa réponse sera un NON catégorique."

Il y a là contradiction. Assez de nourriture, de vêtements, d'abri dans notre dominion canadien pour satisfaire les besoins raisonnables de nos gens de soixante ans et plus — ceci sera sans doute admis par les membres du gouvernement — et cependant, quand on en vient à vouloir donner à ces gens de soixante ans et plus ces biens et services que la société organisée de ce pays est capable de produire, on vous dit que cela ne peut se faire, même si tout le monde le désire.

M. Hayhurst, député créditiste au fédéral, résumait la même chose en une phrase au cours de la discussion récente sur la motion Blackmore :

"Nous avons au Canada abondance de tout, excepté d'argent."

Le 9 mars 1936, c'était une résolution présentée à la Chambre pour l'octroi d'une pension aux 7343 aveugles du Canada. Mêmes onctuosités de discours, assaisonnées des remarques aussi déplacées que cocasses du député de Jacques-Cartier, puis même conclusion inexorable : Pas d'argent. (Une modeste pension de $500 par an à chaque aveugle eût signifié moins de 4 millions.)

Et cette année ?

Le gouvernement demande $33,000,000 de crédits pour la défense nationale contre des ennemis hypothétiques : a-t-il donc trouvé une nouvelle source d'argent ?

Le Canada n'est pas plus menacé que l'année dernière, mais le mot d'ordre est venu et les pilotes obéissent. On ne trouve pas, en six ans, le moyen de sortir de la crise, on est toujours à bout de monnaie, mais on n'hésite cependant pas à charger le budget d'un programme d'armement. Vienne une guerre, on ne sera pas embarrassé un seul jour pour la financer.

Il y a quelque chose de sinistre dans ce gouvernement international occulte qui jette les peuples les uns contre les autres, non pas par patriotisme, mais pour soutenir le système. Le monopole du crédit maintient une insuffisance de pouvoir d'achat dans tous les pays civilisés. Pour écouler son excédent de production, chaque pays cherche à forcer ses produits sur les marchés étrangers. Toutes les nations veulent une balance de commerce favorable, ce qui est à la fois impossible et stupide. Impossible, parce que toutes ne peuvent pas être créancières ; il faut des débiteurs pour qu'il y ait des créanciers. Stupide, parce que cela revient à vouloir exporter plus de richesse qu'on en importe, à sortir du pays plus de richesse qu'on en laisse y entrer : c'est donc en réalité appauvrir le pays, c'est faire cadeau d'une partie de la richesse du pays pour que les gens puissent acheter celle qui leur reste. (Nous reviendrons sur ces considérations dans un prochain cahier en parlant du commerce extérieur.)

La finance internationale pousse à la fabrication de munitions, sans doute pour le profit des monopoleurs des munitions, mais aussi pour empêcher les gens de se révolter contre le système, en faisant naître une sorte de prospérité passagère. Ceux qui travaillent aux munitions n'achètent pas, avec leur salaire, des canons, des obus ou des mitrailleuses, mais de la nourriture, des vêtements et d'autres biens consommables. (Est-ce en prévision de ces choses que le gouvernement plaça à la tête de la Commission nationale de l'Emploiement le président de la compagnie qui représente au Canada les intérêts Dupont de Nemours, alliés au monopole international des munitions ?) La fabrique de munitions augmente donc temporairement le pouvoir d'achat. Temporairement, car le capital engagé et les intérêts vont réclamer des retraits, des taxes, qui se traduiront par des hausses de prix et un nouvel abaissement du pouvoir d'achat. On parlera alors de cycles, périodiques inévitables !

Revenons à Ottawa. Cette question de l'orientation du Canada dans le sillage des nations guerrières est assez importante pour que le pays tout entier y porte attention. Combien de députés fédéraux, depuis que la question est sur le tapis, sont venus en entretenir leurs électeurs et demander leur avis. De qui donc sont-ils dé-pu-tés ? Sont-ils les porte-voix de leurs commettants ? S'ils consultaient ces derniers, quel pourcentage se déclarerait en faveur du projet ? Et pourtant, vous allez voir le vote dans quelques jours !

Au lieu de prendre l'avis du peuple qu'ils représentent, les députés prennent l'avis des chefs du parti, qui le prennent de qui ?

Une puissance internationale — celle de la finance — donne les ordres. Les gouvernements, eux, semblent avoir pour rôle de prouver aux peuples que ces ordres sont ce qu'il y a de mieux et de maintenir leurs administrés dans la soumission et le "saint aveuglement.” Voilà l'immense farce qu'on appelle démocratie et qui fait écrire à plusieurs que la démocratie a fait faillite. Il existe telle chose que la démocratie, mais elle n'a pas encore commencé à fonctionner, parce que le peuple n'a pas encore appris à se mêler de ses affaires. À ce point de vue, quand même le mouvement créditiste n'aurait pas fait autre chose que diriger le public vers l'étude de ses problèmes, il aura rendu un service inappréciable.

Savoureuse, malgré la note cynique qu'elle trahit, cette remarque d'un écrivain habitué à tremper sa plume dans l'encrier des gros intérêts : Aujourd'hui que le peuple prend conscience de ses problèmes et de son nombre, le libéralisme économique devra faire des concessions pour pouvoir se maintenir. Ce qui revient à dire : Après avoir exploité le public 100 pour cent, puisqu'il commence à comprendre, contentez-vous de 90 pour cent pour ne pas tout perdre.

On va donc dépenser des millions pour assurer le Canada contre ceux qui, de l'Europe Centrale ou de l'empire nippon, pourraient le convoiter demain ! Et contre ceux qui empêchent aujourd'hui les Canadiens de bénéficier des richesses du Canada, que fait-on ? L'ennemi du Canada n'est pas en Allemagne ni au Japon, il est bien plus près que cela de ceux qui règnent mais ne gouvernent pas à Ottawa.

Le grand homme d'état, Jefferson, le dénonçait, cet ennemi, déjà à l’œuvre à son époque :

"Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que les armées sur pied. Déjà elles ont élevé une aristocratie de l'argent qui lance le défi au gouvernement. Le pouvoir d'émission de la monnaie devrait être enlevé aux banques et remis au peuple, auquel il appartient de droit.”

Depuis les jours de Jefferson, les armées sur pied ont augmenté phénoménalement, mais la puissance bancaire plus encore. Et aujourd'hui, ce ne sont pas les soldats les mieux armés d'Europe ou d'ailleurs qui empêchent le cultivateur canadien de vendre ses denrées à l'ouvrier de la ville et l'industrie de la ville de vendre ses produits au cultivateur.

Et remarquez comment les deux grands partis s'entendent admirablement sur certains points ! Le “Canada" nous dit que Lapointe, après son discours "patriotique" fut félicité même par les Conservateurs ! De même, au cours de la discussion sur la motion Blackmore en faveur d'une monnaie nationale, où MM. Dunning et Rodgers, respectivement ministres des finances et du travail, se firent les gros champions du système qui soumet le travail à la finance, M. King se tut et M. Bennett remarqua (avec beaucoup de vérité d'ailleurs) que les chefs libéraux, après avoir cajolé le vote du peuple en promettant le monopole du crédit par le gouvernement, prêchent et font maintenant ce qu'il a toujours lui-même fait et prêché. Autrement dit : Le peuple veut une chose, vous la lui promettez pour obtenir un mandat, mais nous sommes tous parfaitement d'accord pour nous moquer de lui !.

Un journaliste se demande si King a manqué de sincérité en parlant en octobre 1935 ou en se taisant en janvier 1937. Il était peut-être sincère le soir du 14 octobre 1935, mais il oubliait qu'en accédant au pouvoir il livrait ses mains aux menottes. On le lui rappela vite en lui poussant Dunning aux finances et il n'est plus question pour lui de briser les chaînes qui l'entravent.

Il y a beaucoup de vérité dans cette phrase de notre premier-ministre fédéral prononcée récemment à Ottawa, que M. Bennett souligne comme vraie et qui, paraît-il, répète à peu près exactement ce qu'a dit un homme d'état anglais.

"Tous ont la même horreur de la guerre et admettent sa folie. Mais n'empêche que des forces sont à l’œuvre qui échappent au contrôle des peuples, des nations ou des continents et qui poussent à la guerre."

Oui, “des forces sont à l’œuvre” et la puissance qui les commande gouverne les gouvernements. Ce ne sont pas les armements qui vont la détruire ; elle est "plus forte que les armées sur pied” (Jefferson), et elle-même dicte la politique d'armements.

Dans son discours, Lapointe parle des "gangsters” possibles contre lesquels il faut nous protéger avant qu'ils nous atteignent. Mais les gangsters qui nous font le plus de mal et le mal le plus immédiat opèrent sous ses propres yeux. N'est-ce pas le chef belge Degrelle qui, pour exprimer à la fois leur nature et leur œuvre, les appelle des “banksters” ?

Les yeux sur Ottawa ! Si vous avez une mentalité Crédit-Social, vous saurez lire entre les lignes et deviner la puissance à l’œuvre entre les événements.

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