Dans son numéro de février, la revue L'Action Nationale nous apporte deux articles qui traitent du travail. Le premier signé par le professeur François-Albert Angers, sauf erreur directeur de la revue, porte en coiffure un titre pompeux : "Les colonnes du temple croulent". L'autre est du Révérend Père Dugré, que connaissent bien tous les abonnés au "Messager du Sacré-Cœur". Son article se coiffe tout simplement, comme d'une calotte d'ouvrier : "La reconnaissance pratique de la dignité, des droits et des devoirs des travailleurs".
L'article de Monsieur Angers couvre 35 pages de la revue. Celui du Père Dugré, quinze.
Monsieur Angers a emprunté cet article au "Messager du Sacré-Cœur" comme corroboration de ses dires. En réalité, c'est plutôt une correction. Les deux se ressemblent comme un chien blanc peut ressembler à un chien noir.
Ce que le Père Dugré affirme du travail, pas un catholique ne songe à le contester. D'après M. Angers lui-même cet article est admirable. En ses quelques dix pages du "Messager", il dit mieux et plus que lui en ses soixante pages dans sa revue. Témoignage, certes, désintéressé qu'il est bon de noter.
Il semble bien que cet article, Monsieur Angers eût été fier de le signer. Mais il n'est pas aussi sûr que le Père Dugré eût consenti à l'échange.
On aborde avec une certaine crainte ce temple dont Monsieur Angers dit que les "colonnes croulent". Mais poussé par le démon de la curiosité, on se décide à y pénétrer.
Heureuse déception ! Après avoir parcouru tout le temple, au seuil de la sortie, on se retourne pour voir quelles sont ces "colonnes qui croulent". On les cherche en vain.
Et l'on constate que, malgré les efforts de Monsieur Angers, le temple dont les "colonnes croulent", c'est le sien. Il a mal regardé. Il n'a pas vu les trous et les lézardes qui ne cessent de s'agrandir dans le temple de la dictature économique. Il ne paraît pas voir que ses murs tombent en ruine et que leurs débris menacent d'écraser l'ossature économique du monde, ensevelissant tous les bobards qui ont bercé la jeunesse de Monsieur Angers comme celle de tant d'autres, trompent leur âge mûr et déforment leur esprit.
En vain, il cherche à s'armer de textes et de faits qu'il manie avec une grâce de Don Quichotte. Entre ses mains, textes et faits se changent en instruments de démolition.
Laissons-le s'escrimer de son mieux. Et, donnons-lui le crédit d'une sincérité un peu aveugle ou naïve. Le suivre en ses fuligineuses marches et contre-marches serait peine perdue.
Car, si Monsieur Angers a vu des colonnes qui croulent dans l'édifice que les Créditistes travaillent à bâtir, c'est qu'il y est entré de travers, traînant avec lui des demi-mensonges ou des affirmations qui ressemblent à des masques de mardi-gras.
Monsieur Angers paraît ignorer que, jamais au grand jamais, les Créditistes ont nié la loi du travail. Cette loi, ils la regardent portée par Dieu depuis les origines du monde, non comme un châtiment, mais comme un moyen de mettre en valeur les forces et l'intelligence humaines.
Le travail, eux aussi avec le Père Dugré, ils disent : c'est la vie ; la vie c'est du travail, de la production, du perfectionnement. Le travail est source de joie.. Ce qu'il a de pénible lui vient du péché, non de son Créateur.
Les Créditistes savent fort bien que s'il n'y a pas de travail, il n'y aura pas de production ; que s'il n'y a pas de production, le dividende est impossible. Car le dividende, c'est de la production qui resterait inutilisée et se perdrait ; c'est le partage du surplus, au même titre que chez les actionnaires d'une compagnie qui fonctionne avec des profits.
Hélas ! pourquoi faut-il que tant de gens bien doués comme Monsieur Angers et d'autres ne veuillent pas admettre que l'on prenne des moyens pour tirer le peuple de sa misère en lui fournissant une honnête aisance ; des gens qui ont des mouvements de révolte rien qu'à la pensée que le progrès puisse être mis au service du petit peuple et cesse de travailler contre lui ? Serait-ce que leurs manuels n'en parlent pas, que ce n'est pas officiel ?...
Pour ces gens-là, être pauvre, avoir par milliers des familles qui pourrissent dans des taudis, des enfants sous-alimentés, des pères de famille sans sécurité pour le pain quotidien, des jeunes gens sans avenir, et le reste et le reste, c'est une situation qui leur paraît normale. Est-ce que leurs livres ne parlent pas des cycles et n'ont pas des arguments en abondance pour les démontrer ?
De la fainéantise, fille des Secours Directs, ils ne se sont pas inquiétés pendant dix ans. Ce douloureux et déprimant spectacle n'a pas pu les émouvoir outre-mesure ; du moins, ils ne l'ont pas laissé voir. Peut-être leurs livres enseignent-ils que la chose est inéluctable, une nécessité comme la mort ?
Mais la fainéantise qu'il s'imagine voir sortir du Crédit Social, ce mauvais père dont les manuels ignoraient le nom, ils ont la frousse, ils s'en alarment. On dirait qu'ils en ont une peur qui leur donne la fièvre, tant ils disent de choses qui paraissent du délire.
En les lisant, on pense au petit gars qui criait qu'il allait enfourcher le poulain que devait mettre au monde la jument que son père n'avait pas encore achetée, et auquel petit gars son père flanquait une rude taloche en lui disant : "Que je te voie sur le poulains !"
Si ces savants professeurs se donnaient seulement la peine de regarder par la fenêtre, ils verraient peut-être qu'il existe des choses en dehors des livres officiels souvent pondus par la dictature économique, comme l'a démontré le Docteur Hamel, au cours d'une enquête sur l'électricité qui est à la veille peut-être, après des années, de donner des résultats.
Ils verraient que l'armée des Voltigeurs, des Créditistes, est loin d'être bâtie avec des paresseux et des "Belles aux bois dormants". S'ils consentaient à les approcher, ils rencontreraient des hommes au cœur de feu, inlassables, aussi vaillants qu'énergiques, prêts à tous les dévouements, s'attelant aux tâches les plus pénibles, avec une ténacité, une abnégation presque héroïques. Véritable armée, déjà plus nombreuse qu'on le croit, qui constitue une force intelligente et calme, capable de souffrir sans se plaindre, de subir sans abattement une défaite temporaire, comptant sur une victoire finale sans s'enorgueillir des progrès accomplis.
Tranquillisez-vous, Monsieur Angers. Reprenez le calme de vos jours et de vos nuits : Le Crédit Social n'est pas une école de fainéantise. Cessez de vous attarder sur cette note fausse.
Des paresseux, il y en a toujours eu. Il y en aura toujours. La paresse est un des péchés capitaux ; elle est de tous les temps, de tous les milieux.
Le régime actuel n'a-t-il pas les siens ? On les appelle les "viveurs", meute de repus, d'embourgeoisés, qui étalent avec leur insignifiance et sans vergogne l'insolence d'un luxe, fruit souvent des rapines paternelles, et sans pitié insultent à la misère des crève-faim, des enfants sous-alimentés, des familles entassées dans des caves, dormant sur le pavé, déshéritées de tout.
Même si le Crédit Social ne devait pas remédier à cet abominable état de société, qui n'a de chrétien qu'une façade badigeonnée de pratiques religieuses comme un visage et des lèvres de coquettes, il ne pourra certainement pas l'augmenter, ni rien ajouter à son scandale.
Cet état de "misères imméritées", admis par de savants économistes comme une nécessité, c'est lui qui menace de renverser les "colonnes du temple" dans une mare de sang. N'est-ce pas déjà commencé ? En vérité, le mal peut-il devenir plus profond qu'il est apparu pendant dix ans ? Aveugles qui ne voient rien !
L'ambition des Créditistes, ce pourquoi ils consentent d'être souvent bafoués, c'est d'ordonner la société aux nécessités de tous, mais plus particulièrement des familles nombreuses. Ils veulent que pour elles finissent l'abandon, la misère, la faim, l'abjection d'avoir respecté les lois de la vie. Bien loin de pousser à la fainéantise les Créditistes veulent une société où il y aura de la production en abondance, par les bras ou par les machines, afin d'assurer les plus gros dividendes possibles.
Ils veulent procurer à tous une nourriture saine, abondante, frugale, mais appétissante et réconfortante.
Ils veulent que tous, et surtout les familles nombreuses, puissent se vêtir, se chausser, se coiffer décemment, proprement, chaudement sans luxe, mais joliment.
Ils veulent enfin que l'homme ne soit pas attelé du matin au soir, sans autre répit qu'une petite heure pour manger ; que les enfants ne cessent pas de fréquenter l'école pour compléter, trop jeunes, le salaire insuffisant de leur père ; que les femmes et les jeunes filles n'aillent pas s'étioler dans les usines, au grave détriment de la vigueur morale et physique d'elles-mêmes et de leurs descendants.
Ils veulent que le travail de nuit réponde seulement à une vraie nécessité et ne soit pas imposé par la cupidité d'un capitalisme inhumain, égoïste, "dur, implicable et cruel" dit Pie XI. Oui, pourquoi donc travailler la nuit, quand le travail du jour suffirait amplement aux besoins de tous ?
En un mot, les Créditistes veulent la fin du régime des meurt-de-faim en face de l'abondance, la disparition des taudis, foyers de tuberculose, la guérison des cœurs ulcérés, l'apaisement des âmes en révolte parce que le salaire ne suffit pas à assurer la vie de la famille, parce que le chômage forcé paralyse, atrophie leurs facultés, leurs forces dans une inaction exaspérante.
Est-ce trop de demander une augmentation du pouvoir d'achat, afin que les produits ne périssent plus sur les tablettes ou dans les hangars, ne soient pas jetés à l'eau ou brûlés ; que le Gouvernement ne commette plus ce crime imbécile de payer des millions pour empêcher les agriculteurs de l'Ouest de semer du blé ; que les usines puissent écouler leurs produits et que les agriculteurs trouvent preneurs pour leurs récoltes.
Quand l'ouvrier se verra l'associé d'une vaste entreprise de production, quand il comprendra qu'au lieu d'être un éternel brimé, un éternel-opprimé, un misérable rouage, il est devenu, ce qu'il doit être, un compagnon, un frère ; que son travail lui assurera une part des bénéfices, des dividendes, songez avec quel cœur il ira en chantant au travail, soit à l'usine, soit aux champs, partout, selon les circonstances, ses aptitudes, ses goûts, et selon les nécessités.
Telle est la fainéantise que veulent organiser les Créditistes. Elle sera moins malfaisante à coup sûr que la fainéantise imposée par la dictature économique et le chômage. Utopie que de rêver une telle organisation ?...
Sans doute le Crédit Social n'étant pas une panacée, les conséquences du péché originel demeurent. Il restera toujours des êtres déchus pour justifier les prisons et les pénitenciers ; des orphelins, des malades, des infirmes et de lointaines missions à évangéliser, — vastes champs ouverts à la charité par l'aumône.
Ainsi sera organisée socialement, par le Crédit Social, la parole de Jésus : "Aimez-vous les uns les autres". Ce ne sera plus le lot des individus, mais la participation de tous.
Oui, quand tout le monde aura ce qu'il lui faut pour vivre, les haines seront moins fréquentes, moins vives, moins tenaces.
Et il y aura la "Paix du Christ dans le Christ". Souhaitons de voir se lever de tels jours. UN FAINÉANT