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Les ruades d'un professeur aveugle

le mercredi, 15 mars 1944. Dans La vie créditiste

F.-Albert Angers et le R. P. Dugré

Dans son numéro de février, la revue L'Action Nationale nous apporte deux articles qui traitent du travail. Le premier signé par le professeur François-Albert Angers, sauf erreur directeur de la revue, porte en coiffure un titre pompeux : "Les colonnes du temple croulent". L'autre est du Ré­vérend Père Dugré, que connaissent bien tous les abonnés au "Messager du Sacré-Cœur". Son arti­cle se coiffe tout simplement, comme d'une calotte d'ouvrier : "La reconnaissance pratique de la di­gnité, des droits et des devoirs des travailleurs".

L'article de Monsieur Angers couvre 35 pages de la revue. Celui du Père Dugré, quinze.

Monsieur Angers a emprunté cet article au "Messager du Sacré-Cœur" comme corroboration de ses dires. En réalité, c'est plutôt une correction. Les deux se ressemblent comme un chien blanc peut ressembler à un chien noir. 

Ce que le Père Dugré affirme du travail, pas un catholique ne songe à le contester. D'après M. Angers lui-même cet article est admirable. En ses quelques dix pages du "Messager", il dit mieux et plus que lui en ses soixante pages dans sa revue. Témoignage, certes, désintéressé qu'il est bon de noter.

Il semble bien que cet article, Monsieur Angers eût été fier de le signer. Mais il n'est pas aussi sûr que le Père Dugré eût consenti à l'échange.

Où sont les colonnes qui croulent ?

On aborde avec une certaine crainte ce temple dont Monsieur Angers dit que les "colonnes crou­lent". Mais poussé par le démon de la curiosité, on se décide à y pénétrer.

Heureuse déception ! Après avoir parcouru tout le temple, au seuil de la sortie, on se retourne pour voir quelles sont ces "colonnes qui croulent". On les cherche en vain.

Et l'on constate que, malgré les efforts de Mon­sieur Angers, le temple dont les "colonnes crou­lent", c'est le sien. Il a mal regardé. Il n'a pas vu les trous et les lézardes qui ne cessent de s'agran­dir dans le temple de la dictature économique. Il ne paraît pas voir que ses murs tombent en ruine et que leurs débris menacent d'écraser l'ossature économique du monde, ensevelissant tous les bo­bards qui ont bercé la jeunesse de Monsieur An­gers comme celle de tant d'autres, trompent leur âge mûr et déforment leur esprit.

En vain, il cherche à s'armer de textes et de faits qu'il manie avec une grâce de Don Quichot­te. Entre ses mains, textes et faits se changent en instruments de démolition.

Laissons-le s'escrimer de son mieux. Et, don­nons-lui le crédit d'une sincérité un peu aveugle ou naïve. Le suivre en ses fuligineuses marches et contre-marches serait peine perdue.

Car, si Monsieur Angers a vu des colonnes qui croulent dans l'édifice que les Créditistes travail­lent à bâtir, c'est qu'il y est entré de travers, traî­nant avec lui des demi-mensonges ou des affir­mations qui ressemblent à des masques de mardi-gras.

Travail et Crédit Social

Monsieur Angers paraît ignorer que, jamais au grand jamais, les Créditistes ont nié la loi du tra­vail. Cette loi, ils la regardent portée par Dieu de­puis les origines du monde, non comme un châti­ment, mais comme un moyen de mettre en valeur les forces et l'intelligence humaines.

Le travail, eux aussi avec le Père Dugré, ils di­sent : c'est la vie ; la vie c'est du travail, de la pro­duction, du perfectionnement. Le travail est sour­ce de joie.. Ce qu'il a de pénible lui vient du péché, non de son Créateur.

Les Créditistes savent fort bien que s'il n'y a pas de travail, il n'y aura pas de production ; que s'il n'y a pas de production, le dividende est impossi­ble. Car le dividende, c'est de la production qui resterait inutilisée et se perdrait ; c'est le partage du surplus, au même titre que chez les actionnai­res d'une compagnie qui fonctionne avec des pro­fits.

Hélas ! pourquoi faut-il que tant de gens bien doués comme Monsieur Angers et d'autres ne veuillent pas admettre que l'on prenne des moyens pour tirer le peuple de sa misère en lui fournissant une honnête aisance ; des gens qui ont des mouve­ments de révolte rien qu'à la pensée que le pro­grès puisse être mis au service du petit peuple et cesse de travailler contre lui ? Serait-ce que leurs manuels n'en parlent pas, que ce n'est pas offi­ciel ?...

Pour ces gens-là, être pauvre, avoir par milliers des familles qui pourrissent dans des taudis, des enfants sous-alimentés, des pères de famille sans sécurité pour le pain quotidien, des jeunes gens sans avenir, et le reste et le reste, c'est une situa­tion qui leur paraît normale. Est-ce que leurs li­vres ne parlent pas des cycles et n'ont pas des ar­guments en abondance pour les démontrer ?

De la fainéantise, fille des Secours Directs, ils ne se sont pas inquiétés pendant dix ans. Ce dou­loureux et déprimant spectacle n'a pas pu les émouvoir outre-mesure ; du moins, ils ne l'ont pas laissé voir. Peut-être leurs livres enseignent-ils que la chose est inéluctable, une nécessité comme la mort ?

Mais la fainéantise qu'il s'imagine voir sortir du Crédit Social, ce mauvais père dont les manuels ignoraient le nom, ils ont la frousse, ils s'en alar­ment. On dirait qu'ils en ont une peur qui leur donne la fièvre, tant ils disent de choses qui pa­raissent du délire.

En les lisant, on pense au petit gars qui criait qu'il allait enfourcher le poulain que devait mettre au monde la jument que son père n'avait pas en­core achetée, et auquel petit gars son père flan­quait une rude taloche en lui disant : "Que je te voie sur le poulains !"

Pas des fainéants, ces créditistes !

Si ces savants professeurs se donnaient seu­lement la peine de regarder par la fenêtre, ils ver­raient peut-être qu'il existe des choses en dehors des livres officiels souvent pondus par la dictatu­re économique, comme l'a démontré le Docteur Hamel, au cours d'une enquête sur l'électricité qui est à la veille peut-être, après des années, de don­ner des résultats.

Ils verraient que l'armée des Voltigeurs, des Créditistes, est loin d'être bâtie avec des paresseux et des "Belles aux bois dormants". S'ils consen­taient à les approcher, ils rencontreraient des hom­mes au cœur de feu, inlassables, aussi vaillants qu'énergiques, prêts à tous les dévouements, s'at­telant aux tâches les plus pénibles, avec une téna­cité, une abnégation presque héroïques. Véritable armée, déjà plus nombreuse qu'on le croit, qui constitue une force intelligente et calme, capable de souffrir sans se plaindre, de subir sans abatte­ment une défaite temporaire, comptant sur une victoire finale sans s'enorgueillir des progrès ac­complis.

Tranquillisez-vous, Monsieur Angers. Reprenez le calme de vos jours et de vos nuits : Le Crédit Social n'est pas une école de fainéantise. Cessez de vous attarder sur cette note fausse.

Les paresseux n'ont pas attendu le dividende

Des paresseux, il y en a toujours eu. Il y en au­ra toujours. La paresse est un des péchés capitaux ; elle est de tous les temps, de tous les milieux.

Le régime actuel n'a-t-il pas les siens ? On les appelle les "viveurs", meute de repus, d'embour­geoisés, qui étalent avec leur insignifiance et sans vergogne l'insolence d'un luxe, fruit souvent des rapines paternelles, et sans pitié insultent à la mi­sère des crève-faim, des enfants sous-alimentés, des familles entassées dans des caves, dormant sur le pavé, déshéritées de tout.

Même si le Crédit Social ne devait pas remédier à cet abominable état de société, qui n'a de chré­tien qu'une façade badigeonnée de pratiques reli­gieuses comme un visage et des lèvres de coquettes, il ne pourra certainement pas l'augmenter, ni rien ajouter à son scandale.

Cet état de "misères imméritées", admis par de savants économistes comme une nécessité, c'est lui qui menace de renverser les "colonnes du temple" dans une mare de sang. N'est-ce pas déjà commen­cé ? En vérité, le mal peut-il devenir plus profond qu'il est apparu pendant dix ans ? Aveugles qui ne voient rien !

L'ambition des Créditistes

L'ambition des Créditistes, ce pourquoi ils con­sentent d'être souvent bafoués, c'est d'ordonner la société aux nécessités de tous, mais plus particuliè­rement des familles nombreuses. Ils veulent que pour elles finissent l'abandon, la misère, la faim, l'abjection d'avoir respecté les lois de la vie. Bien loin de pousser à la fainéantise les Créditistes veu­lent une société où il y aura de la production en abondance, par les bras ou par les machines, afin d'assurer les plus gros dividendes possibles.

Ils veulent procurer à tous une nourriture sai­ne, abondante, frugale, mais appétissante et ré­confortante.

Ils veulent que tous, et surtout les familles nom­breuses, puissent se vêtir, se chausser, se coiffer décemment, proprement, chaudement sans luxe, mais joliment.

Ils veulent enfin que l'homme ne soit pas attelé du matin au soir, sans autre répit qu'une petite heure pour manger ; que les enfants ne cessent pas de fréquenter l'école pour compléter, trop jeunes, le salaire insuffisant de leur père ; que les femmes et les jeunes filles n'aillent pas s'étioler dans les usines, au grave détriment de la vigueur morale et physique d'elles-mêmes et de leurs descendants.

Ils veulent que le travail de nuit réponde seule­ment à une vraie nécessité et ne soit pas imposé par la cupidité d'un capitalisme inhumain, égoïste, "dur, implicable et cruel" dit Pie XI. Oui, pour­quoi donc travailler la nuit, quand le travail du jour suffirait amplement aux besoins de tous ?

En un mot, les Créditistes veulent la fin du ré­gime des meurt-de-faim en face de l'abondance, la disparition des taudis, foyers de tuberculose, la guérison des cœurs ulcérés, l'apaisement des âmes en révolte parce que le salaire ne suffit pas à assu­rer la vie de la famille, parce que le chômage forcé paralyse, atrophie leurs facultés, leurs forces dans une inaction exaspérante.

Est-ce trop ?

Est-ce trop de demander une augmentation du pouvoir d'achat, afin que les produits ne périssent plus sur les tablettes ou dans les hangars, ne soient pas jetés à l'eau ou brûlés ; que le Gouvernement ne commette plus ce crime imbécile de payer des millions pour empêcher les agriculteurs de l'Ouest de semer du blé ; que les usines puissent écouler leurs produits et que les agriculteurs trouvent preneurs pour leurs récoltes.

Est-ce possible ?

Quand l'ouvrier se verra l'associé d'une vaste entreprise de production, quand il comprendra qu'au lieu d'être un éternel brimé, un éternel-op­primé, un misérable rouage, il est devenu, ce qu'il doit être, un compagnon, un frère ; que son travail lui assurera une part des bénéfices, des dividendes, songez avec quel cœur il ira en chantant au tra­vail, soit à l'usine, soit aux champs, partout, selon les circonstances, ses aptitudes, ses goûts, et selon les nécessités.

Ce temple n'est pas si mauvais !

Telle est la fainéantise que veulent organiser les Créditistes. Elle sera moins malfaisante à coup sûr que la fainéantise imposée par la dictature économique et le chômage. Utopie que de rêver une telle organisation ?...

Sans doute le Crédit Social n'étant pas une pa­nacée, les conséquences du péché originel demeu­rent. Il restera toujours des êtres déchus pour jus­tifier les prisons et les pénitenciers ; des orphelins, des malades, des infirmes et de lointaines missions à évangéliser, — vastes champs ouverts à la cha­rité par l'aumône.

Ainsi sera organisée socialement, par le Crédit Social, la parole de Jésus : "Aimez-vous les uns les autres". Ce ne sera plus le lot des individus, mais la participation de tous.

Oui, quand tout le monde aura ce qu'il lui faut pour vivre, les haines seront moins fréquentes, moins vives, moins tenaces.

Et il y aura la "Paix du Christ dans le Christ". Souhaitons de voir se lever de tels jours. UN FAINÉANT

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