Dans notre belle province de Québec, et ailleurs, on a tellement l'habitude du laisser-faire et de l'avachissement que les créditistes étonnent par leur courage, leur audace et leur franc-parler.
Étonner est bien le mot qui convient pour décrire la réaction des éternels timorés, de la masse des peureux qui ont uniquement l'oreille faite aux louanges des partis politiques. Mais il faudrait dire que les créditistes choquent, si l'on pense aux grands personnages qui se scandalisent de la montée du Crédit Social et voient dans le mouvement une atteinte à leur prestige.
Aussi longtemps que la doctrine a sommeillé dans les livres, personne n'a songé à s'en offusquer ; mais qu'elle s'effeuille tout à coup à travers le monde, qu'elle éclaire les esprits et gagne les cœurs, voilà que toute une agitation se manifeste et qu'une vaste offensive, aux armes les plus variées, se prépare pour l'anéantir.
Qu'importe : ses adeptes élargissent de jour en jour leur trouée dans l'incompréhension et la mauvaise foi, sachant quel tribut il faut payer quand on a le front de troubler l'eau du ruisseau... ou la naïveté de se priver de boire par crainte de la troubler.
Un des grands personnages auxquels je faisais allusion tout à l'heure accusait mes amis de fanatisme, tout récemment. Certes, il n'est pas homme à proférer semblable reproche quand un compatriote réclame ses droits à Ottawa ; mais qu'on ose, par exemple, réclamer le droit de vivre convenablement dans une province pour laquelle Hitler donnerait toute la jeunesse allemande et sa propre chemise, le voilà qui sort les joyaux de son vocabulaire !
Le Crédit Social veut guérir le mal économique à sa racine. Il suffit de regarder de quel bois se chauffent ses ennemis véritables pour en avoir la preuve. Nulle autre doctrine économique, ancienne ou moderne, n'a fait tressaillir les banquiers à ce point.
Pourquoi alors un créditiste, convaincu de son affaire, s'amuserait-il à prolonger le système des cataplasmes, à rêver aux "beautés" du régime socialiste qu'on nous prépare, à discuter avec tous ceux qui lui tirent la manche, quand il voit son but clair comme un soleil et prometteur comme un arbre fruitier en pleine floraison ? Et depuis quand est-ce du fanatisme que d'aller droit son chemin et de rejeter les compromis ?
Oh, je sais ! Parce qu'un créditiste emploie ses beaux dimanches à répandre la doctrine autour de soi et souvent loin de son entourage ; parce qu'Un Tel va de maison en maison pour recueillir des abonnements et des oboles ; parce que Jean, après sa journée de travail, s'intéresse davantage au sort de ses voisins qu'à son lit ; parce que Paul se dépouille de sa gêne et se prend tout à coup à parler en public ; parce que Pierre, ce "maudit" chômeur devenu "maudit" colon, montre du doigt une société qui l'a foulé aux pieds ; parce qu'enfin les humbles qui ont vu la lumière luttent énergiquement contre les ténèbres, — les puissants, et ceux qui s'imaginent l'être, brandissent avec un semblant d'autorité la formule classique du "haro sur le baudet" !
Eh bien non, ce n'est pas du fanatisme que font les créditistes : c'est du nouveau, tout simplement. Et déjà les apôtres de l'engourdissement des masses lâchent leurs épithètes ! La chanson dit qu'il ne faut pas briser un rêve ; et la routine donc... ! À quoi ne s'expose-t-on pas en la brisant ?
Au fait, qu'appelle-t-on un fanatique ?
Est-ce un homme qui a le courage de ses opinions et les sème autour de lui par la force de ses arguments, ou bien si c'est un homme qui fait des choses déraisonnables pour prouver qu'il a raison ?
Est-ce un individu qui abat les préjugés à coups de logique, ou bien n'en est-ce pas un qui les attaque à coups de poing ?
Est-ce un propagateur qui obéit aux lois de son pays et propose l'usage intelligent du vote démocratique, ou bien n'est-ce pas plutôt celui qui fourbit des armes dans l'ombre et se prépare à mettre l'assassinat au service de ses idées ?
Pour moi, il me semble facile de distinguer entre les deux. J'appellerai des fanatiques les communistes de France qui se laissaient piétiner par la troupe au nom de Lénine. Fanatiques encore, les ouvriers de Montréal qui se couchaient récemment sur les voies ferrées pour empêcher leurs concitoyens de se rendre au travail, et cela au nom d'une Union peut-être pas meilleure qu'une autre. Fanatiques aussi, hélas, certains de nos pères qui se mouchaient réciproquement du poing pour souligner la grandeur du parti rouge ; et fanatiques, hélas ! certaines de nos mères qui s'arrachaient mutuellement les cheveux en l'honneur du parti bleu !
Mais les créditistes ? Allons donc ! Les trois cent mille du Québec n'ont encore cassé ni un nez ni une vitre, et seraient-ils un million qu'ils n'en feraient rien. Ils connaissent trop bien leurs adversaires pour terroriser des innocents et ils sont trop bien élevés pour agir en gangsters. Leur passion, c'est l'étude ; leur arme, c'est le vote ! Terrible perspective pour les financiers pompeurs et les politiciens pompeux !
Admettons un instant, pour faire plaisir à mon grand personnage du début, que les créditistes du Québec soient entachés de fanatisme. À ce compte-là, on pourrait trouver dans tous les cercles des gens pour le moins aussi galeux. Il suffirait de lancer le compliment à tout homme qui vit ses convictions.
Je pourrais, par exemple, traiter de fanatique l'individu qui vient me chanter les vertus des partis politiques en décadence, alors qu'en réalité je n'aurais devant moi qu'un intéressé, un ébloui ou un fidèle de la tradition familiale.
Je pourrais encore faire la remarque à un fervent de la coopération, puisqu'un coopérateur met tous ses espoirs dans cette doctrine. Je m'en garde. Voilà un homme qui désire autant que moi améliorer le sort de nos compatriotes, et je serais mal venu de lui faire injure s'il croit son remède plus efficace que le mien. À moi de l'inviter à lever les yeux vers de nouveaux horizons et à lui demander, à l'occasion, comment il peut prétendre distribuer l'abondance au moyen des miettes que les financiers laissent tomber de leur table.
Je pourrais encore... continuer la liste et, faire surgir de partout des fanatiques, au même titre que les créditistes ; mais en somme, si les mots ont encore un sens, le zèle outré ne se trouve à peu près nulle part, et l'on devrait bien laisser en paix ceux qui ont le courage de leurs opinions chez nous.
Dans quelques années, lorsque les grands et les petits personnages devront faire un choix définitif entre le socialisme et le Crédit Social, ils seront peut-être contents que les créditistes se soient démenés un peu plus que d'autres.
Que ceux qui prétendent sauver le système démocratique avec du prestige souvent mal acquis, des paroles incomprises, des bouquins invendus et des gants blancs, ne se fassent pas trop d'illusion : c'est dans les masses que le socialisme étend son emprise, et c'est par les masses qu'il sera combattu efficacement. Comment pourrions-nous nous fier à notre élite ? Elle est en partie gagnée à l'idée des contrôles d'État. Oui, déjà.
Créditistes, la lutte contre l'ignorance est dure ; la lutte contre la mauvaise foi sera cruelle ; la lutte contre la dictature financière deviendra implacable. Fi donc ! Nous avons survécu à tous les avis de décès, à toutes les épreuves, à tous les sacrifices. Survécu ? Nous avons fait beaucoup mieux que survivre, et notre élan prodigieux confond, bouleverse, enthousiasme, entraîne.
Pendant que d'aucuns s'attardent à nous prendre pour des utopistes, des imbéciles, des fanatiques, d'autres se disent : "Comme ils sont forts et comme ils se tiennent !", avec une envie imprécise de joindre nos rangs, tant il est vrai que la force en impose. Du cran, de l'ensemble, et voilà !
Du fanatisme dans tout ça ? Que non. C'est tout juste la reprise d'un vieux principe, à savoir que l'avenir est à ceux qui luttent. Avis aux adversaires qui cherchent à détruire toujours et ne bâtissent jamais !
TIGAS