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Les créditistes dans le domaine municipal

Louis Even le samedi, 15 janvier 1944. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Le 1er février, il y aura des élections municipales dans plusieurs villes de la province de Québec. Dans quatre d'entre elles, à Rouyn, Malartic, Val d'Or et Drummondville, l'Union des Électeurs se met en branle pour pousser dans le conseil muni­cipal le plus possible de créditistes.

Cette action surprend certains observateurs — observateurs qui ne sont pas activement liés au mouvement créditiste. La Frontière de Rouyn a même consacré un éditorial à critiquer cette déci­sion.

Évidemment, les créditistes, lorsqu'ils veulent prendre des décisions pour avancer leur cause, ne vont pas demander conseil à ceux qui ne s'intéres­sent que peu ou point à son succès.

"C'est mettre la politique à l'hôtel-de-ville," crient des scandalisés.

Si la politique est le service du bien commun, il en faut à l'hôtel-de-ville comme dans toutes les administrations publiques.

Si la politique est le service d'intérêts particu­liers, il n'en faut ni là ni dans les parlements.

Les créditistes croient poursuivre le bien com­mun, et non pas les intérêts de particuliers ou de clans, et ils attendent encore qu'on leur prouve le contraire.

Ils ont assez bien défini leur but dans la double formule :

En économique, le Crédit Social, pour servir la masse des consommateurs.

En politique, l'Union des Électeurs, pour faire servir la masse des citoyens.

Une division des électeurs, un groupe particulier de citoyens, pourrait avoir une vision bornée. La masse des électeurs, l'Union des Électeurs, si elle s'occupe d'elle-même, s'occupe de tous les électeurs.

Et pour atteindre leur but, le service de tous dans l'économique et la politique, les créditistes vont prendre tous les moyens légitimes à leur dis­position, à mesure qu'ils en seront capables.

S'ils échouent dans certaines tentatives : c'est simplement parce qu'ils ne sont pas assez forts, parce que leur doctrine n'est pas assez connue, pas assez universellement reçue — pas parce qu'elle n'est pas bonne, ni parce que le moyen essayé n'est pas bon.

* * *

Mais, est-ce que le fait de se donner des conseils municipaux instaurerait le Crédit Social au pays ? Pas du tout. Nul créditiste renseigné ne s'illusionne à ce point. Ce ne sont pas les conseils municipaux qui feront une législation créditiste.

Mais tous les créditistes savent aussi une chose. C'est que la voix d'un homme reste une voix isolée ; tandis qu'un conseil municipal peut parler au nom de toute une corporation.

Et si, dans la province, des centaines de conseils municipaux demandent aux gouvernements supé­rieurs, au nom des dizaines de mille familles des corporations dont ils sont les officiers, une législa­tion pour l'homme et non plus pour la piastre, les gouvernements supérieurs feraient moins facile­ment la sourde oreille.

Dans toutes les dix années de crise d'avant-guerre, combien de conseils municipaux, pourtant aux prises avec des problèmes résultant d'une finance idiote, combien de conseils municipaux ont élevé publiquement la voix pour réclamer une finance plus conforme aux faits ? La Frontière peut-elle nous en nommer ?

Les créditistes croient qu'en face d'un désordre de cette envergure, tous ceux qui se taisent, soit par ignorance, soit par embourgeoisement, soit par égoïsme, méritent au moins d'être relégués à leurs fauteuils privés.

S'il y a des gens qui se contentent de voir dans les administrations, même municipales, de simples machines à taxer et à dépenser les deniers publics, ils permettront aux créditistes d'entretenir une perspective plus complète.

*    *    *

Les créditistes sont essentiellement démocrates et essentiellement décentralisateurs. C'est pourquoi ils ont un grand rôle à remplir dans le domaine municipal.

Quelques notions sur la municipalité et la cor­poration aideront à comprendre cette remarque.

Une municipalité, c'est une division du comté, de la province. Une division territoriale. La muni­cipalité n'est pas une population, c'est un territoire.

La population qui habite la municipalité cons­titue, elle, une corporation. Ce mot-là, corporation, implique quelque chose de vivant, un corps orga­nisé. Et, en effet, la corporation, l'ensemble des citoyens qui habitent une même municipalité, constitue une personne légale. La corporation s'administre elle-même. C'est là, dans la corpora­tion voyant à sa propre administration, qu'il faut chercher la plus belle forme de démocratie.

Les pouvoirs centralisés loin du peuple sont toujours plus dictatoriaux, plus dépourvus d'âmes, plus insensibles aux aspirations du menu peuple, plus sourds aux plaintes de ceux qui souffrent dans leur petit coin, plus indifférents à ceux qui se débattent dans des problèmes quotidiens, que les gouvernements locaux, en contact direct avec la masse.

Aussi, croyons-nous que le petit gouvernement de la corporation locale devrait intéresser au su­prême degré tous les amants de la démocratie. On devrait s'appliquer à obtenir le plus d'autonomie possible, le plus de pouvoirs juridiques possible pour ces gouvernements locaux, au lieu de tout faire dépendre d'une capitale où la majorité des citoyens ne peut jamais mettre le pied. Puis voir à ce que ces administrations locales disposent des moyens financiers nécessaires pour que les pro­blèmes locaux se règlent localement.

Qui peut mieux réclamer dans ce sens que les créditistes, les créditistes qui savent très bien ce qu'il faut pour qu'une administration puisse régler les problèmes de sa juridiction ?

* * *

Donc, dans notre pays, on a conservé ces admi­nistrations démocratiques des corporations par les corporations elles-mêmes, c'est-à-dire de la popu­lation locale par la population locale elle-même, là du moins où le gouvernement de Québec ne les a pas encore supprimées pour y substituer sa tutelle, ses gérants.

Mais, pour qu'une corporation s'administre elle-même avec ordre, il faut bien qu'elle choisisse dans son milieu des officiers à qui elle confie l'exécution de ses volontés. Elle surveillera ces officiers après les avoir nommés ; elle assistera à leurs délibérations une fois ou deux par mois, elle sera mise au courant de leurs décisions et de leur administration. Ce qui ne peut pas se faire avec les mandataires éloignés à Québec ou à Ottawa.

Ces officiers, élus par la corporation et chargés de l'administration locale, forment le conseil mu­nicipal : maire et échevins ou conseillers. Ils font, au nom de la corporation, tout ce que la corpora­tion est autorisée à faire, d'après sa charte ou d'après le code municipal.

Remarquons ici que, partout où les corporations ont perdu leurs droits et où le gouvernement pro­vincial les traite en mineures, c'est toujours pour des problèmes d'argent. L'absence d'argent est le grand assassin des libertés démocratiques.

Qui peut mieux dénoncer cet assassin, que les créditistes qui connaissent parfaitement son ob­jectif et sa technique ?

À remarquer aussi que, chaque fois que le gou­vernement provincial rogne ainsi des droits muni­cipaux, à cause, dit-il, d'une administration finan­cière défectueuse, l'opération se fait en blâmant les hommes qui avaient la confiance de leurs con­citoyens — jamais en blâmant les contrôleurs de l'argent, qui rendent les piastres rares et l'adminis­tration impossible.

Les conseils créditistes auront là un service à rendre. Comme administrateurs, ils ne seront ni meilleurs ni pires que les autres ; mais, le cas advenant, ils sauront qui blâmer et le faire avec toute la force de la voix autorisée d'une corporation d'êtres intelligents et renseignés.

Les corporations sont, en général, régies par le Code Municipal. On ne peut parcourir ce volume sans être drôlement édifié de voir comment on fait consister toute administration à savoir extraire des piastres de la poche des contribuables.

Tout au long, aussi, l'importance est bien plus donnée à la fortune, à la propriété au moins, qu'aux personnes.

Exemple — Pour être éligible aux fonctions de maire ou de conseiller, trois conditions :

1° Être du sexe masculin. Cela veut dire à peu près la moitié des têtes intelligentes qui constituent la corporation.

2° Savoir lire et écrire, quand bien même ce ne serait pas très couramment ni très lisiblement. Dans notre pays, Dieu merci, cela n'exclut pas beaucoup de personnes aujourd'hui.

3° Posséder une propriété foncière, libre d'hy­pothèques pour au moins une valeur de $300 (dans les villes, le chiffre est plus élevé).

Ce 3° est le grand éliminateur, au moins dans les villes, où les conditions économiques, que les gou­vernements respectent scrupuleusement, diminuent de plus en plus le nombre de propriétaires, et où les propriétaires qui tiennent sont souvent ceux qui bénéficient le plus du système.

Des hommes de talent, de vision, de dévoue­ment, des hommes qui entraînent leurs concitoyens dans l'étude de la chose publique, se trouvent ex­clus des charges municipales. Ils ont le talent et la vertu, mais ils n'ont pas la piastre : au rancart ! D'autres n'ont ni talent ni vertu, mais ils ont la piastre : éligibles !

Quelles que soient les bonnes intentions qui ins­pirèrent ces règlements, et si justifiés qu'ils aient pu être à l'origine, nous constatons qu'aujourd'hui, dans les villes au moins, ils créent une situation monstrueuse. Tout régime qui donne plus de poids à la piastre qu'à l'homme est, à notre avis, un régi­me monstrueux.

N'en déplaise au rédacteur de La Frontière, nous croyons qu'il est grand temps que les créditistes profitent du peu de possibilités qui leur restent, pour mettre les pieds dans les administrations mu­nicipales et réclamer, d'une voix autorisée, un régi­me moins valet de la piastre et plus respectueux des valeurs humaines.

*    *

Que les créditistes réussissent ou ne réussissent pas, ou qu'ils ne rencontrent qu'un succès partiel, dans leur action municipale du 1er février pro­chain, ils continueront de se fortifier et de grossir leur arsenal.

Le rédacteur de La Frontière a raison de dire que les citoyens choisissent leurs officiers municipaux en raison de la confiance qu'ils ont en eux. C'est justement ce qui porte des créditistes à se chercher des officiers municipaux créditistes. C'est aussi ce qui les portera à entrer dans les commissions sco­laires. Mais c'est un autre chapitre qu'il faudra écrire sur cet autre domaine. Nous y viendrons, comme nous reviendrons sur les affaires munici­pales.

Louis Even

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