Indépendamment des nationalités, indépendamment des régimes de gouvernement ou des partis politiques, les hommes se divisent de plus en plus nettement en deux camps.
Il y a :
D'une part, le camp des forces qui, en politique, en économique et en finance, ont comme objectif l'asservissement ultime du peuple ;
D'autre part, le camp de ceux qui combattent pour la liberté complète et la sécurité économique de tous et de chacun.
D'une part, ceux qui veulent un monde moulé, moulé dans des modèles tracés par eux, évidemment ;
D'autre part, ceux qui pensent que chaque personne doit pouvoir organiser librement sa propre vie.
Les mouleurs d'humanité, s'ils ne sont pas légion, occupent tout de même beaucoup de place, au sein même de nos démocraties.
Les plans pour la guerre sont faits par les chefs militaires ou par des pouvoirs civils gouvernant à coups de décrets-lois, ou à coups de règlements édictés par des commissions souveraines.
Ces règlements-là, on les accepte, parce que c'est la guerre. Mais qui donc, ayant encore un peu le sens de la liberté, voudrait la continuation du régime des réglementations et de la bureaucratie actuelle après la guerre ?
Pourtant, il n'est plus question que de cela. Perpétuer, consacrer, amplifier encore les plans obligatoires. C'est pour le bien de la masse, dit-on ; c'est pour la sécurité sociale, c'est pour ne pas retomber dans le chaos d'avant-guerre, c'est pour assurer du pain à tous.
Des plans pour assurer du pain aux hommes. Vous croyiez l'assurance du pain dans l'abondance de blé ? Pas du tout. Du blé, on en a eu à pleins élévateurs, et des foules manquaient de pain.
Le pain ne sort plus des champs de blé, il doit sortir des bureaux où l'on fait des plans.
Les politiciens de tous les partis vont frapper aux mêmes portes des mêmes hommes à plans, demander le même carcan qui devra être la condition du pain dans le beau monde d'après-guerre. Sans doute que les mêmes maîtres financiers, le même gouvernement invisible, donne les ordres.
S'agit-il du gouvernement tory d'Angleterre ? Il va demander un Beveridge à l'École Économique de Londres, la pépinière par excellence des experts en plans.
S'agit-il du gouvernement de Mackenzie King ? Il va demander un Docteur Marsh à la même École Économique de Londres, pour tracer les mêmes plans pour l'étiquette libérale d'Ottawa que pour l'étiquette conservatrice de Londres.
S'agit-il du gouvernement combiné d'Australie ? Il s'adresse lui aussi à l'École Économique de Londres, et on lui donne le Docteur Coombs.
Est-ce le gouvernement démocrate de Washington ? Il lui faut bien un peu du cerveau de l'École Économique de Londres, et voici le Docteur Burns pour rédiger le plan de la National Recovery Planning Board. Planning Board, cela veut dire justement "bureau à plans". C'est une institution établie exprès pour faire des plans pour la vie des Américains.
Quant à nos C. C. F., ils sont par essence des hommes à plans. Dès 1935, la C. C. F. canadienne éditait sa somme doctrinale. Elle l'appelait : Social Planning for Canada. "Planisme social pour le Canada". Et, le croiriez-vous ? le docteur Léonard Marsh, aujourd'hui chargé par le gouvernement King de faire des plans pour le Canada, fut bel et bien l'un des auteurs du Social Planning for Canada de la C. C. F. ! Il est entraîné !
C'est ce manuel qui nous dit bien carrément, à la page 226 :
"Le prix à payer pour cette organisation est naturellement la cession d'une certaine mesure d'indépendance d'action."
Et à la page 494 :
"Les propositions de restauration économique exposées dans ce livre, si elles sont acceptées, fortifieront nécessairement deux des tendances déjà discutées : l'accroissement du pouvoir exécutif, aux dépens du pouvoir législatif, puis une plus grande pratique du gouvernement par des experts indépendants."
Gouvernement par des experts non mandatés par le peuple, par des experts sortis de l'École Économique de Londres ou des directorats des banques : des Beveridges ou des Normans ; des Marsh ou des Gordons ; des Burns ou des Baruchs.
Les partis politiques ne se font plus mutuellement la lutte que pour amuser la galerie, pendant que les promoteurs de plans et les financiers, la main dans la main, combinent leur jeu dans les coulisses.
Ces derniers le confessent eux-mêmes parfois dans la littérature destinée à leurs intimes. Tel cet aveu de l'organe des banquiers américains, le Bankers'Magazine du 26 avril 1934 :
"En divisant les électeurs par un système de partis politiques, nous pouvons les faire dépenser leurs énergies sur des questions de peu d'importance. Et nous, par une action discrète, nous pouvons nous assurer ce qui fit l'objet de plans si soigneusement tracés et si habilement exécutés."
La crise, la misère généralisée, l'affamation des masses par le manque d'argent, a fait la multitude saluer la guerre comme un soulagement. Et la guerre, le régime des enrégimentations et des décrets, forme le climat idéal pour établir un vaste système de planisme mondial. C'est d'ailleurs la remarque d'un des grands promoteurs de la conduite du monde par des plans, Israël Moïse Sieff :
"Seule la guerre ou la menace de guerre, disait-il, pourra bien créer une atmosphère favorable pour le lancement de l'Angleterre dans un planisme de quelque ampleur."
Et la guerre est venue, et les plans lèvent comme des champignons sur du fumier.
Et tous ces plans d'experts respectent immanquablement le système financier qui fait l'humanité dépendre des contrôleurs de l'argent et du crédit. Aussi les plans et leurs auteurs ont-ils bonne presse.
Ces plans existent sans doute surtout pour empêcher les hommes de se débarrasser de la tutelle financière. Débarrassés de cette tutelle, ils n'auraient plus besoin de personne pour leur faire des plans.
Rendez l'argent abondant comme le blé. Puis mettez cet argent dans les maisons où l'on a besoin de farine. Et dites-nous, après cela, s'il faudra aller chercher à Londres un expert pour dresser un plan d'achat et un plan d'emploi de la fleur par les femmes du Canada !
Lorsque l'argent poussera comme la nourriture, comme les vêtements, comme les chaussures, comme le bois de chauffage ou de construction, comme les services offerts par nos éducateurs, nos médecins et nos professionnels ; lorsque l'argent poussera dans chaque pays au régime des produits et des services du pays, nous n'aurons que faire des Beveridge, des Marsh, des Burns, des Coombs, ni de toutes ces méninges à plans qui n'ont encore jamais songé à faire le moindre plan pour débâtarder l'argent à sa naissance.
Les créditistes ont horreur du planisme et des hommes à plans, même si ces derniers décorent leur planomanie du beau nom d'économie dirigée.
Les créditistes sont des démocrates et des amants de la personne humaine. Ils croient que nul ne peut faire un meilleur plan pour un homme que cet homme lui-même. Qu'on commence donc par enlever l'obstacle qui empêche chaque personne normale de voir elle-même à l'organisation de sa propre vie.
Le monde d'hier, le monde d'avant la guerre était, dans nos démocraties, un monde de liberté affichée, mais un monde où il fallait surtout ramper pour avoir le droit de manger. Liberté sans pain — liberté que l'affamé sacrifie sans trop de larmes.
Après avoir sué, saigné et joué dangereusement aux canons pendant cinq années pour enfanter un monde nouveau, personne ne voudra revenir au monde de la liberté sans pain.
Mais faudra-t-il entrer dans un monde de pain sans liberté ? Dans un monde où l'on devra regarder au tableau noir, chaque matin, les conditions tracées par des experts pour avoir droit au pain de la journée ?
C'est à ce monde de pain sans liberté, à ce monde de sécurité moyennant le carcan, que nous conduisent aujourd'hui nos gouvernements et leurs comités de préparation d'après-guerre. Un peu moins violemment, mais aussi sûrement que le ferait un gouvernement socialiste ou communiste.
Il y a une autre solution : La liberté AVEC le pain. La liberté sans carcan. C'est la solution des créditistes.
C'est le seul monde qui convienne à une époque d'abondance et à des sociétés majeures.
Mais seuls, les créditistes ont la formule pour distribuer l'abondance sans enchaîner, parce que seuls, ils ont l'audace de réclamer un dividende pour tous et pour chacun. Et seuls, ils savent unir les électeurs, au lieu de les diviser en partis, pour délier les gouvernements.
Les créditistes ne veulent plus des chaînes des banquiers ; mais ils n'accepteront pas plus les chaînes des gouvernements.
Ce ne sont pas les créditistes, par exemple, qui vont demander au gouvernement de faire l'argent d'après le progrès, mais, de distribuer cet argent par les travaux publics. Comme si le progrès devait se traduire en embauchage au service du gouvernement.
Que signifierait, d'ailleurs, un progrès distribué par des travaux publics, pour le vieillard, pour la mère de famille, pour la jeune fille, pour le malade, pour l'enfant au berceau ? Que signifierait-il même pour des hommes valides, sinon les casernes civiles sur la voirie ou dans d'autres services provinciaux ou fédéraux où l'on n'a son pain qu'à condition de fermer sa bouche ?
Pourquoi tant vous casser la tête, messieurs les faiseurs de plans ? Au lieu de prendre sur vous la lourde charge de dire au pays quoi produire, regardez donc simplement ce que le pays produit. Au lieu de vous mettre dans la peau de tout le monde pour dire aux familles ce qu'elles doivent acheter, mettez donc simplement dans les familles un droit d'achat en rapport avec les produits qui viennent sans que vous ayez à vous en occuper. Puis laissez faire — tout le monde va être content et vous pourrez reposer en paix.
Les créditistes comprennent cela, parce qu'il savent ce que c'est que l'argent, et ils ont décidé depuis longtemps que l'argent doit plier devant l'homme et devant les réalités. Quant à ceux qui prennent, l'argent pour un dieu et un maître, c'est du petit catéchisme qu'ils ont besoin, plus une leçon d'arithmétique, et ils deviendront créditiste à leur tour.