Parfois, certains créditistes, ardemment désireux de voir venir le soulagement de la multitude qui souffre, peuvent trouver que les réalisations tardent trop. Ils peuvent être portés au découragement, se laisser envahir par des pensées déprimantes, ou prêter la voix à des cabaleurs plus pressés de faire le mouvement les servir que de servir le mouvement.
Il suffit pourtant de regarder les faits en face : Qu'y avait-il, il y a dix ans, en fait, de Crédit Social, et qu'y a-t-il aujourd'hui ?
Il y a dix ans, qui donc parlait de Crédit Social dans notre province ? Qui analysait, expliquait et faisait comprendre au peuple la question de l'argent ?
On parlait bien d'agriculture aux cultivateurs, d'ébénisterie aux menuisiers, de pédagogie aux instituteurs. Et tout cela était parlait. Mais personne ne parlait jamais du système d'argent à un public qui ne peut pas faire deux pas sans argent et dont toutes les difficultés, dans tous les domaines, sont fortement chargées d'un problème d'argent.
Le changement est l'œuvre de moins de dix années, puisque c'est exactement en 1935 que parurent les premières phrases en français sur le Crédit Social dans la province de Québec. Et ce ne furent d'abord que des articles épars sur la nouvelle doctrine monétaire.
C'est à l'automne 1936 que commença la publication des petits Cahiers du Crédit Social, dont il y eut 16 numéros en trois années.
C'est de 1937 que datent les premières grandes assemblées publiques pour traiter du Crédit Social.
C'est de 1938 que le mouvement créditiste a pris quelque extension en Nouvelle-France.
Et depuis novembre 1939 avec le journal Vers Demain, depuis 1940 avec l'Institut d'Action Politique, le mouvement est sorti de son enfance avec une orientation bien définie.
Oui, en pleine guerre, malgré des obstacles de toutes sortes, résultant de la préoccupation des esprits, de l'affairement des activités de guerre, des déplacements d'hommes par la mobilisation ou les industries de munitions ; malgré des calomnies insidieuses montées systématiquement ; malgré les morsures de jaloux ; malgré le mouchardage organisé ; malgré des persécutions politiciennes, policières, et d'autres — malgré tout cela, le mouvement créditiste est incontestablement, de tous les mouvements de masse, celui qui a connu l'expansion la plus rapide en notre province.
C'est en Nouvelle-France que la doctrine vivifiante du Crédit Social a le mieux donné le plein de sa lumière et de sa flamme.
Une lumière et une flamme — de l'étude et du dévouement — voilà toute l'explication du magnifique développement du mouvement créditiste chez nous.
Et quelle pureté aussi ! Le mouvement créditiste en Nouvelle-France n'est point une organisation d'ambitieux plus ou moins vernis, en mal d'ascension politique. C'est une organisation intelligente de la masse elle-même — non pas seulement pour se donner des représentants dans les corps politiques, mais pour leur parler et leur rappeler qu'ils sont justement des représentants, et que derrière les représentants il y a les représentés.
Pour apprécier l'avancement du mouvement créditiste vers son objectif, il ne faut pas oublier, non plus, qu'il s'agit d'une entreprise gigantesque.
Une élite à former dans la masse, pour accomplir ce que l'élite traditionnelle, trop embourgeoisée ou trop encrassée, n'a pas su ou n'a pas voulu faire.
Dans les jugements : remplacer le prestige par la valeur ; le laisser-faire par l'action personnelle concertée avec l'action du voisin ; le travail pour la piastre par le dévouement au service d'un idéal.
Dans la politique : remplacer les organisations de candidats par les organisations d'électeurs ; remplacer la voix et la pression des passions et des puissances d'argent, par la voix et la pression des hommes et des femmes qui composent la société.
Dans l'économique : remettre la fin à sa place et les moyens à la leur ; remplacer la poursuite de l'argent par le service du consommateur ; puis assurer le moyen de pouvoir faire partir les commandes à la production, des familles où sont les besoins, et non pas d'officines où l'on considère l'humanité comme un laboratoire à expériences ou un champ d'exploitation.
Au lieu de juger que le mouvement créditiste prend du temps à gagner la masse, nous devons plutôt trouver qu'il s'en empare à un rythme sans précédent dans aucun mouvement de ce genre. C'est ce que savent d'ailleurs très bien les adversaires.
Le journal Vers Demain a des abonnés dans tous les comtés de Nouvelle-France. L'Institut d'Action Politique multiplie ses travailleurs et ses centres de rayonnement. En plusieurs endroits déjà, l'organisation de la masse du peuple, l'Union des Électeurs, est assez avancée pour donner du fil à retordre aux politiciens et aux embourgeoisés habitués à être considérés comme le Grand Sanhédrin de leur milieu.
Soyons donc fiers de notre mouvement et de notre organisation. Et gardons-nous de dévier et de rapetisser nos objectifs sous prétexte de les atteindre plus tôt.