M. J.-Ernest Grégoire est à compléter une tournée qui l'a poussé jusqu'à Vancouver, à 3,000 milles de Québec. Sur son retour, il va sans doute arrêter une couple de jours au Manitoba.
Si c'est à titre de vice-président national de l'Association Créditiste du Canada que M. Grégoire est allé jusqu'à la côte du Pacifique, il en a aussi profité pour porter aux créditistes des Prairies et de la Colombie le message des créditistes de Nouvelle-France. Ce fut le point saillant, la substance même de ses trois principaux discours : le premier à la fête créditiste de Calgary, en Alberta ; le second à une assemblée publique à Edmonton, le dernier à la capitale provinciale de la Colombie, Vancouver.
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Quel message M. Grégoire a-t-il porté à l'Ouest ?
D'abord un message d'amitié. "Plus que de l'amitié, a-t-il dit, car le Crédit Social crée un véritable lien familial entre les créditistes de partout. Et ce lien est indestructible."
Puis, M. Grégoire a parlé du Québec, de l'Union Créditiste des Électeurs, de sa politique, de ses réalisations actuelles et de son programme. Il a expliqué les causes probables de l'insuccès de nos candidats à l'élection du 8 août dernier. Il a exposé la situation politique actuelle dans la province de Québec, où les vieux partis ont encore de l'emprise, et où les nouveaux groupes politiques poussent du soir au matin.
M. Grégoire a dit aux créditistes de l'Ouest pourquoi l'Union Créditiste des Électeurs ne s'emballe pas pour l'action électorale, et pourquoi, par contre, elle fait pratiquer avec ardeur la politique de pression.
Pour faire face aux puissantes machines politiques des vieux partis, puis pour distinguer entre la répétition de la politique de l'anneau dans le nez des électeurs par des partis soi-disant nouveaux et la méthode réellement nouvelle et démocratique d'un peuple qui surveille son gouvernement et en exige du service, il faudra une plus grande maturité politique chez les électeurs.
Citons ce passage lumineux du discours de M. Grégoire :
"Le degré de maturité des électeurs, nécessaire pour vaincre tant d'obstacles et naviguer au milieu de tant de confusion, ne nous semble pas atteint. Il le sera bien seulement quand les électeurs se seront rendus compte qu'eux-mêmes, et non pas les candidats, doivent être les principaux acteurs en politique.
"Ce serait une grave erreur pour nous, les créditistes du Québec, de faire de l'élection le but de notre mouvement. Ce serait, premièrement éloigner de toute approche par le Crédit Social ceux qui sont attachés à quelque étiquette politique. En second lieu, dans notre propre organisation, cela placerait immédiatement au premier plan les éléments moins sérieux qui ne s'agitent que lorsqu'ils croient pouvoir obtenir la notoriété ou de l'avancement politique personnel à la faveur d'un nouveau mouvement ; par contre, les véritables éducateurs politiques du peuple, ceux qui mettent du nouveau et de l'idéal dans les têtes, seraient rejetés à l'arrière-plan comme des rêveurs et des utopistes, ils n'auraient plus aucun moyen d'action et l'on assisterait à une nouvelle poussée d'égoïstes et d'ambitieux sous la bannière du Crédit Social".
"D'ailleurs, un mouvement qui ne pense qu'en terme d'élection ne fait bien jouer l'accélérateur que lorsqu'une élection est en vue ; dès le lendemain de l'élection, les activités ralentissent ou cessent même tout à fait.
"Attacher le sort du Crédit Social au sort d'une élection, dans la province de Québec, ce serait creuser la tombe du Crédit Social dans cette province."
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M. Grégoire explique qu'il parle pour la province de Québec, non pas pour les autres provinces, et ajoute immédiatement :
"Nous, du Québec, sommes cent pour cent avec vous, de l'Alberta, avec vous, de la Colombie, pour un parlement créditiste à Ottawa. Et pour un parlement créditiste à Québec aussi bien. Et nous désirons, comme vous, que ce soit le plus tôt possible.
"Nous sommes enclins à penser, comme vous, qu'une législation créditiste ne peut bien venir que d'un parlement créditiste, ou au moins d'un parlement fortement noyauté de députés créditistes.
"Mais la question devient : Comment peut-on le mieux obtenir un parlement créditiste ? En courant à des échecs répétés aux polls, ou bien en élevant d'abord graduellement l'électorat à un degré où les puissantes influences des machines électorales perdront leur effet ?
"Nous croyons et les faits le démontrent — que l'électorat du Québec est encore incapable de résister victorieusement à l'aristocratie du pouvoir, de l'argent, du prestige, des influences, qui pèse si lourdement sur les masses et fonctionne à capacité en temps d'élection.
"Nous croyons que les électeurs devront d'abord apprendre qu'ils peuvent briser cette force s'ils s'unissent pour des résultats. Cette union pour des résultats ne s'acquiert pas sans pratique. Elle ne s'acquiert certainement pas au milieu du déchaînement des passions en campagne électorale. Il y faut de l'exercice préalable.
"Les électeurs doivent d'abord faire leur éducation politique, par la pratique répétée d'actes politiques. Pas par une croix à la mine de plomb tous les quatre ans ; mais par des actes précis et raisonnés, en vue d'un objectif concret. Des actes dans le domaine politique, qui feront comprendre aux électeurs que la commande des objectifs est leur propre affaire, et que c'est eux, en définitive, qui détiennent le pouvoir dans un régime démocratique fonctionnant adéquatement.
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"C'est pourquoi, dans Québec, nous nous organisons pour la politique de pression. La même organisation servira évidemment pour la politique d'élection ; lorsque le temps sera venu.
"La politique de pression peut être exercée en tout temps, et dans tous les domaines, le municipal, le provincial, le fédéral, selon les sujets et selon les juridictions. Mais, pour une pression concertée et efficace, il faut évidemment de l'organisation.
"La politique de pression porte avec elle une grande valeur pédagogique, ce qu'on ne peut pas aussi bien dire de la politique d'élection.
"Dans une élection, votre candidat est ou élu ou battu. S'il est élu, tout va bien. Mais s'il est battu, tout va mal, et ça peut vous prendre quatre ou cinq ans avant de pouvoir essayer de nouveau.
"Dans la politique de pression, il y a toujours un certain degré de succès. D'abord, les électeurs
qui exercent la pression ont conscience d'être ceux qui donnent des coups et non pas, comme toujours, ceux qui les reçoivent : c'est déjà un point. Puis, si les coups sont bien dirigés, il y a une réaction de la part de ceux qui les reçoivent : c'est encore là un autre degré de succès ; on a conscience de sortir quelqu'un de sa quiétude et de l'oubli de ses électeurs. Il peut aussi y avoir des résultats tangibles, au moins partiels, si les électeurs, ainsi encouragés, tiennent bon.
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"Ces pratiques sont vivifiantes et contribuent à fortifier des gens qui étaient très faibles. Les électeurs prennent confiance en eux-mêmes et se laisseront moins dominer par les politiciens.
"Le jeu est très attrayant. Nos créditistes du Québec qui y ont mordu sont de plus en plus enthousiastes. Ils trouvent que, dans ce domaine au moins, ils ne seront pas paralysés ou roulés, comme ils sont trop exposés à l'être par les puissantes organisations des partis politiques le jour de l'élection.
"Les vieux partis ont, en effet, des organisations formidables pour les élections. Mais ils n'en ont pas pour la politique de pression. Ils ne peuvent pas en avoir là, à moins qu'ils changent complètement leur esprit et se fassent les serviteurs des intérêts du peuple. La bataille alors serait gagnée.
"Mais ils n'en ont pas. Nous sommes les seuls acteurs dans la politique de pression. Nous y avons donc le champ libre, sans concurrence.
"Puis il y a du savoureux dans la politique de pression. Il y en aura certainement d'ici quelques mois. Nos députés ne sont pas habitués à ce genre de traitement. Déjà quelques-uns reçoivent des lettres épicées. Nous avons, en effet, dans notre organisation un corps d'Épistoliers. Les Épistoliers sont des créditistes qui s'engagent à écrire au moins une lettre par semaine, pour faire pression sur quelqu'un pour quelque chose d'intérêt public. Cette pression de francs-tireurs prépare à l'action plus collective, sur une plus grande échelle, dès que la force à pression sera prête et que les besoins surgiront.
"Tout cela, du domaine de la politique de pression, tend à former de vrais hommes avec ce que j'appellerais des enfants actuels en politique. Nous espérons ainsi pouvoir atteindre, avant longtemps, l'étape de développement, de force, de maturité politique, où nous pourrons affronter avec succès n'importe quelle situation, même dans l'arène électorale."
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M. Grégoire a expliqué où en sont actuellement la propagande et l'organisation créditistes dans la province de Québec. Il a fait un bel éloge de la direction de l'Union Créditiste des Électeurs.
Puis il a profité de l'occasion pour faire remarquer que le Crédit Social unit sur un terrain commun, sur le terrain des besoins communs, donc sur un terrain voulu par le Créateur lui-même. Nul ne peut se soustraire aux besoins communs. Et le Crédit Social est la formule pour garantir à tous, grâce aux avantages de la vie en société, la possibilité de satisfaire au moins les premiers besoins, communs à tous.
Mais, cette union ne signifie nullement la disparition des entités propres. Il n'y a pas besoin de détruire des éléments pour les unir avantageusement. Au contraire, plus les éléments sont forts, sains et vigoureux, plus il est possible d'avoir un tout fort, sain et vigoureux.
"Un Canadien français, dit M. Grégoire, restera un Canadien français dans l'Association Créditiste du Canada ; et le Crédit Social devrait seulement lui permettre de mieux développer les qualités de sa race. De même, le Canadien des Prairies. De même celui de la Colombie-Britannique. De même pour les Anglais de Grande-Bretagne. De même pour les Allemands.
"Le Crédit Social unit les hommes, quels que soient leur credo, leur race ou leur langage. Il les unit, mais il ne les supprime pas."
"Aussi, faut-il louer l'Association Créditiste du Canada d'avoir respecté, dans sa structure et sa constitution, la parfaite autonomie des organisations créditistes provinciales."