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Le Dividende Refusé

Louis Even le mercredi, 01 septembre 1976. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

L'homme a appris bien des choses. Malgré sa faiblesse physique relative, il a triomphé des fauves, transformé des forêts en champs fertiles, subjugué les rapides les plus violents, les cataractes les plus puissantes. Il attelle les vents, la vapeur, le fluide électrique, les gaz comprimés, pour franchir les mers, sillonner sa planète en tous sens. Celle-ci ne le retient même plus esclave de sa surface il s'élance dans les cieux. Des yeux et du doigt, il commande des forces mille fois supérieures à la sienne. Sa pensée est à peine exprimée qu'elle a fait le tour de la terre. Roi ! roi de la création... et cependant esclave, esclave de sa propre créature, d'un système qui est son œuvre et qui l'enchaîne !

Roi, l'homme, quand dans ses villes les plus modernes, des humains désespérés et humiliés végètent dans des taudis, que les jeunes gens sortis de ses collèges voient expirer leurs enthousiasmes devant la détresse de leurs parents et le spectre des secours directs ! Roi, l'homme, avec des enfants sous-alimentés, mal habillés, mal chaussés, quand ses fabricants de produits alimentaires, de vêtements et de chaussures battent le pavé en quête d'ouvrage ! Roi, l'homme, quand devant ses montagnes de produits et, à côté ses abîmes de besoin, il ne trouve rien mieux à faire qu'à saboter sa propre production, décréter la mort de ses animaux, la destruction de ses récoltes !... Aurait-il donc hérité de la couronne de Nabuchodonosor ?

Voyez la sagesse de ses décrets un peu partout dans son royaume :

“États-Unis — En 1933 le stock de coton aux États-Unis était de 14 millions de balles. Les perspectives de la nouvelle récolte donnaient 17 millions de balles. On a donc payé les agriculteurs pour arracher les plants d'un quart de la surface plantée.

“Hollande — Les prix de certaines denrées sont tellement abaissés à cause de consommateurs sans argent, que les agriculteurs, ne pouvant même plus en payer le transport, préfèrent les détruire.

“Rio-de-Janeiro — Conformément au plan préconisé par l'Institut National du Café, on alimente des locomotives avec des grains de café. — De mars à décembre, on a jeté à la mer 7,750,000 sacs de café.

"New-York — En un an, on a tué et incinéré 6,200,000 porcs et 220,000 truies. Dans la même année, on a décrété la destruction de 2,000,000 tonnes de maïs.

"Los Angeles — 40,000 gallons de lait sont jetés chaque mois aux égouts. — Le programme de réduction de 15% de la production laitière et beurrière a décidé la mort de 600,000 vaches.

“Orégon — La moitié de la récolte de poissons de la vallée de la Roque a été jetée aux chiens.

“Karchekan — On vient de jeter à l'eau 40,000 saumons.

“Ceylan–30,000 tonnes de thé ont été jetées à la mer.

"Tunisie — Pour faire suite au décret du 12 juillet 1934, les viticulteurs tunisiens ont arraché 5600 hectares de vigne, ce qui représente à peu près les dix pour cent des vignobles de ce pays.

“Paris — Les décrets-lois pour décongestionner les marchés du vin et du lait ont décidé la mort de 286,000 vaches et l'arrachage de 150,000 hectares de vigne. (Et c'est le contribuable, déjà trop pauvre pour acheter le vin et le lait, qui doit financer ces destructions ordonnées par son gouvernement !)

Paris — Les 20,000,000 quintaux de blé que la récolte de 1934 a laissés en trop, sont rachetés aux paysans pour être dénaturés à l'éosine et au bleu de méthylène.

“Californie — Dans le seul mois d'août, on a jeté à la mer 1,500,000 oranges. On a laissé pourrir sur pied la récolte de 10,000 hectares de fraisiers et on a arraché 80,000 pêchers encore de bon rendement.

"Londres — 50,000,000 livres de viande ont été détruites officiellement en 1934, les marchés (pas les maisons du Pays de Galles ou des faubourgs de Londres) en étant encombrés.

___

"On calcule que, depuis 1933, l'humanité civilisée laisse se perdre ou détruit une quantité de produits capable de nourrir et de vêtir convenablement plus de trente millions d'hommes.”

(“Vu," 30 mai 1936)

* * *

Pourquoi ces destructions ? Et pourquoi le ralentissement général de l'industrie ? Est-ce parce que les hommes, les femmes et les enfants sont rassasiés de tous ces produits ? Personne n'osera le soutenir. Le consommateur est dans le besoin, mais il n'a pas d'argent !

Un dividende distribué aux consommateurs aurait permis l'écoulement et la jouissance de ces richesses. Il n'eût fait de tort à personne ; il eût semé le contentement et le bonheur dans des millions de foyers où règnent la misère et le découragement. Pourquoi refuse-t-on ce dividende ?

Pourquoi diminuer systématiquement la production vers le niveau du pouvoir d'achat, au lieu de hausser le pouvoir d'achat au niveau de la production ? Qui profite de ce non sens ? Quelle est la force qui empêche l'homme de s'adapter à l'âge d'abondance ? Lui qui a dompté les forces de la nature, ne peut-il secouer des chaînes qui ne tiennent que par son consentement ?

"La machine a fait naître l'abondance en quelques années. C'est une figure nouvelle ; l'humanité ne la reconnaît pas, car elle ne l'a jamais vue. Elle l'appelle stupidement "la crise.”. La question n'est pas de produire moins ; la question est de distribuer davantage... Il n'y a pas de surproduction quand cinquante millions d'êtres meurent de faim : s'il y a des gens qui manquent de tout quand on produit 'trop', comment feront-ils pour avoir quelque chose quand on produira moins ?" (Jacques Duboin.)

* * *

La mentalité "disette... privation... travail dur... lutte pour la vie... triomphe du plus fort..." règne encore dans des têtes pourtant intelligentes, comme en font preuve les vieux clichés qu'on vous sert en toutes occasions par parole et par écrit.

Il y a moins de trois semaines, j'exposais à un auditoire la doctrine du Crédit Social. J'avais à peine mentionné l'octroi de dividende qu'un brave homme sentit la révolte dans son esprit et s'écria : “Non, non ; il faut que les hommes apprennent à travailler dur pour gagner leur pain..." Assurément, celui-là doit se réjouir quand, lorsque le pain surabonde trop facilement, on fait travailler les hommes pour le détruire !

Le dimanche suivant, au cours d'une conversation, ou mieux d'une discussion sur le même sujet, un homme d'une position respectable, qui a fait beaucoup d'études et dispose de beaucoup de temps et de facilité pour continuer, remarquait : "Ces théories pourraient passer dans un pays riche, mais pas dans un pays pauvre comme le Canada."

Pays de pauvres, peut-être, le Canada ; mais pays pauvre, c'est une une autre affaire !

Et cela me rappelle qu'au cours des débats parlementaires de la dernière session à Ottawa, à un député créditiste qui parlait de la production gaspillée, un député vieille école (ou qui ne connaît d'autre école que les tréteaux politiques) objectait : “Ce sont là mots vides de sens. Il n'y a pas de production gaspillée au Canada !"

Voilà un homme qui représente le peuple, qui fait partie des assises de la nation, et qui n'a pas encore compris le sens du chômage de centaines de mille Canadiens, de la fermeture de nos usines, de l'arrêt de nos machines ! La production arrêtée, paralysée quand des milliers de familles réclament des produits, ce n'est pas un gaspillage ! Gaspillage de richesses matérielles et gaspillage de valeurs humaines. Dans votre propre comté, Monsieur le député, il y a une foule d'hommes et de jeunes gens dont les muscles et l'esprit s'ankylosent parce que l'industrie ne veut pas d'eux, parce que les produits de l'industrie ne se vendent pas, parce que, pour vous soumettre à un système que vous ne comprenez probablement pas, vous refusez au consommateur le dividende que réclame votre confrère mieux renseigné ou moins ficelé que vous.

Il y a gaspillage lorsqu'il y a arrêt dans la production possible avant que le consommateur soit satisfait. Et non seulement gaspillage, mais immolation de l'homme. On immole le consommateur sur l'autel d'une finance idiote et cruelle.

"La différence entre la production actuelle et la production possible représente le prix payé par le peuple pour maintenir les institutions financières actuelles. "Il devrait être clair pour tous, aujourd'hui, que toute restriction de la production aboutit à appauvrir la société, tant que cette restriction touche à des produits qui répondent à des besoins non satisfaits. "Ce qu'il faut, c'est une injection de pouvoir d'achat suffisante pour commander l'écoulement de tous ces biens et services. La limite ne doit être dictée que par nos ressources, notre main-d’œuvre notre outillage et notre technologie." (Harold Lœb, dans “The Chart of Plenty.")

Le dividende national réclamé par le Crédit Social est justement la distribution du pouvoir d'achat qui manque pour acheter la production aujourd'hui gaspillée ou délibérément restreinte. Tant qu'il y aura des besoins non satisfaits en face de ressources inexploitées, de machines arrêtées et d'ouvriers sans emploi, c'est que le consommateur n'aura pas. touché son dividende ou ne l'aura touché qu'en partie.

Louis Even

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