Causerie donnée par M. J.-Ernest Grégoire, à CHRC, le dimanche 18 mars.
Vous écoutez la radio en ce moment. La radio est une technique. C'est une technique pour porter à une multitude de foyers la parole d'un orateur ou un programme d'artistes. Les auditeurs n'ont pas à sortir de chez eux. Ils peuvent même continuer à vaquer à leurs occupations de routine, tout en écoutant une voix à des centaines ou des milliers de milles de chez eux.
Voilà pour la technique.
Mais l'objectif ? L'objectif, le but, ne dépend pas du tout de la radio, mais bien de la volonté de celui qui l'utilise.
Si la sainte Vierge venait vous parler au micro, la radio vous transmettrait un message céleste, inspiré par un objectif divin. Si Satan venait vous parler au micro, la radio vous transmettrait un message infernal inspiré par un objectif diabolique.
Dans les deux cas, ce serait la même technique, au service de deux objectifs diamétralement opposés. Et cette technique serait aussi efficace dans les deux cas. Elle transmettrait aussi parfaitement les deux messages.
La valeur d'une technique se mesure uniquement par son efficacité. Ce n'est pas à la technique qu'il faut demander la rectitude des objectifs. L'objectif ne dépend pas de l'instrument, mais d'une volonté humaine.
Donc, l'objectif, c'est le but cherché. La technique, c'est l'ensemble des moyens pris pour l'obtenir.
Dans le système d'argent et de crédit contrôlé par les banques, il faut aussi savoir distinguer entre l'objectif et la technique. Et l'on pourra très bien admirer la technique, tout en détestant l'objectif.
L'objectif du système bancaire, c'est le bien des banquiers, que ce bien soit conforme ou contraire au bien commun.
La technique, c'est la structure de crédit édifiée autour des banques. Et cette technique est très efficace. Aussi atteint-elle parfaitement l'objectif de ceux qui la contrôlent : la domination de la vie économique par la finance.
Si l'on a à se plaindre du résultat, ce n'est pas la technique qu'il faut blâmer, mais ceux qui contrôlent l'objectif, ceux qui utilisent la technique pour atteindre ce résultat.
Par ceux qui contrôlent, il ne faut pas entendre ici les employés ou les simples gérants de banque. Pas du tout. Ces bons citoyens ne sont que de simples techniciens employés au fonctionnement du système. Ils n'imposent pas plus l'objectif, que la personne qui règle la transmission dans la chambre voisine du studio ne dicte le sujet de ma causerie.
Les contrôleurs du système de crédit, c'est le petit groupe de cerveaux sans religion, sans patrie, sans humanisme, qui déterminent le régime du crédit dans les pays civilisés. Ce sont ceux qui ont mis le monde en pénitence pendant dix années, en face de produits surabondants, et qui déversent le crédit à flot depuis que la haine est érigée en vertu et que les énergies des nations sont au service de la destruction et de la tuerie.
Évidemment, nous perdrions notre temps à demander à ces contrôleurs, et à ceux qui profitent de leur contrôle, de changer leur objectif. Autant demander à Lucifer de venir nous prêcher l'amour de Dieu.
Mais, nous pouvons très bien les éliminer graduellement du contrôle de notre vie économique, en bâtissant graduellement une structure de crédit indépendante d'eux ; en prenant leur technique, parce qu'elle est efficace, mais en substituant un objectif sain à leur objectif malsain.
La structure bancaire du crédit a un objectif bancaire. Si l'on veut un objectif social, il faut y substituer une structure sociale du crédit. C'est d'autant plus facile, que les éléments qui composent primordialement la structure du crédit prennent naissance dans la société elle-même, et non pas dans la banque.
Mais qu'est-ce que cette structure du crédit, érigée par les banques, et qu'il faudrait imiter en érigeant une structure sociale analogue ?
Au cours des deux ou trois derniers siècles, les hommes ont appris, en fait de monnaie, à se servir d'autre chose que les pièces d'or ou d'argent.
Les banques commencèrent par y substituer des billets de papier. Le changement ne s'est pas fait du jour au lendemain. Le billet donnait droit de se présenter à la banque en tout temps et d'en obtenir de l'or en échange. Mais, comme le billet circulait d'une main à l'autre, et de plus en plus longtemps, avant que quelqu'un vienne le rapporter à la banque pour avoir de l'or, les banquiers profitèrent de ce fait pour émettre beaucoup plus de billets qu'il n'y avait d'or dans leurs voûtes.
Prêtant aux gouvernements, ils firent sanctionner par loi leur nouvelle pratique. En cas de ruée sur les banques, comme il arriva en Angleterre en août 1914, le gouvernement vient à leur secours, en déclarant les billets monnaie légale et en supprimant le droit d'en réclamer de l'or.
C'est la confiance que les hommes se faisaient les uns aux autres, en passant ces simples billets de main à main, qui permit aux banquiers la multiplication de leurs billets. Cette confiance était un fait social ; mais les banquiers en ont profité plus que la société, puisque la multiplication des billets n'entrait en circulation que sous forme de prêts, donc de dettes au profit des banquiers, aux conditions qu'y mettaient les banquiers.
C'était déjà le crédit de la société approprié par les banques.
Mais elles ont fait un autre pas bien plus grandiose depuis. Avec l'extension de l'instruction, avec le développement des communications, avec la généralisation de la comptabilité et l'élargissement de la confiance mutuelle — faits sociaux encore — les banquiers ont pu substituer l'usage du chèque au transfert de billets, surtout dans les transactions importantes.
C'est certainement un progrès pour tout le monde, parce que l'usage du chèque dispense du besoin et du risque de porter de grosses sommes sur soi. Mais ce nouveau développement, social par excellence, a placé un pouvoir énorme entre les mains des banquiers. Le banquier est devenu le véritable monnayeur du pays.
En effet, celui qui reçoit un chèque en paiement de ses services ou de sa marchandise, trouve souvent plus pratique de déposer le chèque à son propre compte de banque, sans demander d'argent de métal ou de papier, et de payer, à son tour, ses propres dépenses au moyen de chèques. L'argent reste disponible chez le banquier.
D'autre part, si c'est un ouvrier ordinaire qui reçoit sa paie en chèque, il porte le chèque à la banque et demande de l'argent en échange, parce qu'il a divers achats à faire à diverses places, et le chèque ne peut pas être subdivisé en morceaux. Mais l'argent de l'ouvrier est vite rendu chez le marchand ou le propriétaire, et ceux-ci re-déposent cet argent à leur banque, où il va servir à répondre à d'autres chèques.
Les banquiers savent très bien que leur réserve en argent peut soutenir dix ou quinze fois sa valeur en circulation de chèques. C'est tellement reconnu, officiellement, que la loi fédérale des banques n'exige qu'une réserve de cinq pour cent.
Et voilà comment l'usage généralisé du chèque permet aux banquiers de créer par des prêts, et de supprimer par des remboursements, le moyen d'échange employé dans plus de 90 pour cent des transactions commerciales.
C'est cela la structure du crédit. Structure merveilleuse en elle-même, puisqu'elle ne se trouve point bornée par le volume de métal précieux disponible. Merveilleuse et souple, puisque, comme toute comptabilité, elle pourrait se mettre constamment au niveau des faits de la production. Elle l'a bien fait, et rapidement, pour la guerre.
Le mal, c'est que cette structure n'est édifiée que sous forme de dette de la part de la nation ou des citoyens qui bâtissent le pays. Cette structure est tellement arrangée que le volume du crédit en circulation est soumis en tout temps à l'action des banques. C'est une servitude pour la communauté et un instrument de domination pour les banques. Tout le crédit venant en circulation sous forme de prêts à rembourser avec intérêts, il arrive que tout le crédit, et plus que tout le crédit, est sous la souveraineté absolue des banques.
Si le crédit circule, ce n'est qu'à l'état de dettes et aux conditions de durée et de tribut qu'y mettent les banques. La respiration économique du pays est réglée par l'action des banques. Elles ont été magnanimes pour la spéculation fantastique et malsaine de 1925 à 1929 ; inexorables pour la déflation catastrophique et inhumaine de 1930 à 1939 ; souples jusqu'aux milliards pour financer la guerre — tout en bâtissant sur le dos du pays, pour des générations, une dette proportionnelle à la fécondité de leur plume.
Pourtant, dans cette structure du crédit, entièrement soumise à l'action des banques, qu'est-ce qui vient des banques, et qu'est-ce qui vient de la société ?
La base du crédit est dans la production, dans l'existence de consommateurs qui savent se servir de cette production, dans les ressources naturelles, dans les bienfaits de la température, dans le soleil et les pluies, dans la fécondité du sol et des animaux, dans l'intelligence de la population, dans le travail des bras et des cerveaux, dans la science appliquée, dans l'instruction, dans les inventions, dans la division avantageuse du travail, dans l'organisation de la société, dans la collaboration entre patrons et ouvriers, dans l'initiative privée ou coopérative, dans les communications et les échanges entre les hommes, dans les moyens de transport et d'entreposage, dans la confiance que les hommes se font les uns aux autres, dans l'honnêteté mutuelle, dans l'éthique, dans la loi, dans le droit reconnu, dans la civilisation elle-même.
C'est une base éminemment sociale. Tout cela est le fait de la communauté organisée et productive, pas le fait des banquiers.
Qu'est-ce que le banquier, lui, comme banquier, apporte dans la structure du crédit ? Si l'on met de côté son astuce, il apporte un livre, une plume, un coffre-fort, articles qu'il n'a même pas fabriqués, et son aptitude à tenir des livres.
Assurément, il apporte aussi l'art de prêter. Cet art est relativement facile. Même Séraphin l'avait appris. D'ailleurs, les Caisses Populaires ont démontré qu'il n'y a pas besoin de provenir d'une souche spéciale pour comprendre et exécuter judicieusement les opérations de prêts et de placements.
Si le peuple lui-même apporte tous les éléments qu'il faut pour bâtir une structure de crédit, pourquoi ne la bâtirait-il pas lui-même, au lieu d'en aliéner le soin, le contrôle et les avantages aux banques ?
C'est justement là l'objectif principal du système des Succursales du Trésor, tel qu'il fonctionne en Alberta depuis plus de six années, et tel que nous en voulons un adapté à notre belle et riche Nouvelle-France.
Les Maisons du Trésor existent pour permettre aux citoyens de la province de se servir du crédit de leur province dans leurs transactions d'achats et de ventes, sans le faire d'abord monnayer par les banquiers.
Il s'agit essentiellement d'une comptabilité interne, pour le commerce dans les limites de la province, en autant que les citoyens de la province voudront bien librement le préférer au système de comptabilité-dette des banquiers.