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La lèpre économique de l’inflation

Louis Even le mercredi, 01 janvier 1969. Dans Crédit Social

La hausse constante des prix

Le problème de la hausse des prix — et conséquemment la baisse du pouvoir d'achat — fait les manchettes des bulletins de nouvelles ces dernières semaines, avec un taux d'inflation approchant les 5% par année au Canada, et même un peu plus élevé aux États-Unis, ce qui ne s'était pas vu depuis près de 20 ans. Le prix de l'énergie, et particulièrement celui de l'essence, est en hausse de 47,1 % depuis un an, les prix des biens de consommation, surtout les aliments comme la viande et le lait, continuent d'augmenter. Et avec les interruptions dans la chaîne d'approvisionnements, entraînant une réduction ou même absence de plusieurs produits sur le marché, on peut s'attendre à voir les prix augmenter davantage en 2022.

L'inflation est donc un problème sérieux, surtout pour ceux qui ont un revenu fixe qui n'augmente pas nécessairement avec la hausse des prix. Et ceux qui obtiennent des augmentations de salaires ne font qu'entraîner une hausse subséquente des prix, leurs patrons devant augmenter les prix de leurs produits pour pouvoir verser ces augmentations de salaires ou une augmentation des taxes, s'il s'agit d'employés du gouvernement.

Les gouvernements et économistes actuels semblent peiner à venir à bout de ce problème de la hausse des prix, et même à donner une définition exacte de ce qu'est l'inflation. Voici ce qu'écrivait Louis Even à ce sujet en 1969, et qui est plus vrai que jamais en 2022 :

par Louis Even

Qu'est-ce que l'inflation ?

Dans tous les pays, on se plaint de l'inflation. Tous les gouvernements cherchent et essaient des mesures pour guérir leur économie de l'inflation. Leurs mesures sont de moins en moins efficaces. L'inflation persiste.

Mais au juste, en quoi consiste l'inflation ? On trouve encore dans les dictionnaires la vieille définition : « L'inflation est une émission démesurée de papier-monnaie ». Ce qui voudrait signifier que pour tuer l'inflation, il faut diminuer la circulation de papier-monnaie, en imprimer moins et en retirer de la circulation par des taxes ou autrement.

Comme le crédit financier remplace de plus en plus le papier-monnaie dans les transactions commerciales, on attribue l'inflation à une trop libre émission de crédit financier par des prêts bancaires, et l'on recommande une restriction du crédit. On ordonne une hausse du taux d'intérêt pour décourager les emprunteurs.

Ces mesures ne venant pas à bout de l'inflation, le gouvernement fait appel au peuple, à des pratiques volontaires d'austérité. L'inflation persiste.

Une autre définition de l'inflation, plus récente et moins terne que celle du dictionnaire, a été employée dans des articles de revues traitant de questions économiques. Elle dit : L'inflation, c'est trop d'argent courant après trop peu de produits (et parallèlement : La déflation, c'est trop de produits en face de trop peu d'argent).

Mais qui donc va, soutenir que l'inflation actuelle dans nos pays développés est due à une insuffisance de produits en face de trop de pouvoir d'achat ?

Et pourquoi donc dénonce-t-on l'inflation ? En quoi l'inflation nous fait-elle mal ? Elle nous fait mal parce qu'elle hausse le coût de la vie. L'inflation, c'est la vie chère.

C'est cette définition-là de l'inflation que vous donnera l'homme ordinaire, l'homme qui est bien plus affecté par les faits que par les théories. Si vous lui dites : L'inflation, la vie chère, est due à ce que vous avez trop d'argent dans votre porte-monnaie, il vous trouvera timbré ; s'il juge que ça en vaut la peine, il vous rétorquera carrément : Non, monsieur, l'inflation n'est pas dans mon porte-monnaie, elle est dans les prix. Un porte-monnaie gonflé, ça se supporte ; mais des prix gonflés, ça fait mal.

L'inflation dont tout le monde se plaint, c'est cela : l'inflation des prix. Et prétendre corriger l'inflation en traitant les porte-monnaie au lieu de traiter les prix, c'est ne rien corriger. C'est plutôt empirer le mal.

Si votre traitement consiste à ôter de l'argent de la circulation, en prétextant qu'il y en a trop, vous avez deux moyens : des taxes plus élevées ou des prix plus élevés. Mais les prix plus élevés, c'est justement parce qu'ils sont déjà trop élevés que l'on crie à l'inflation. Et des taxes plus élevées, surtout payées par ceux qui produisent et ceux qui vendent, ceux-ci s'en dédommageront en haussant leurs prix de revient, ce qui aggravera le mal que vous prétendez corriger.

Un virus bien portant

Vous ne tuerez pas le virus bien portant de la montée des prix, tant que vous ne sortirez pas du système. En face de prix qui grimpent, il faut du pouvoir d'achat qui grimpe. Pour hausser le pouvoir d'achat sans baisser les prix, il faut distribuer plus d'argent aux consommateurs. Or, le système ne distribue d'argent que moyennant la participation à la production : par des salaires aux employés ou des dividendes aux actionnaires, et tout cet argent entre dans les prix. C'est la spirale ascendante bien connue.

Les gouvernements et leurs économistes constatent bien que leurs efforts, leurs mesures d'austérité, leurs sermons aux citoyens ne viendront pas à bout de l'inflation. Résignés, ils cèdent du terrain : l'inflation, disent-ils, l'inflation des prix, serait acceptable, si les prix se contentaient de grimper aux taux de 1 ou 2 pour cent par an.

C'est absurde. Même à ce taux, calculez ce que seraient les prix dans 10 ou 20 ans, comparés à ce qu'ils sont aujourd'hui.

D'ailleurs, les forces inflationnistes, inhérentes au système financier actuel, resteraient-elles longtemps à ce taux réduit ? Elles se rient passablement des désirs des gouvernements, des prévisions et des calculs de leurs conseillers économiques, comme de tous les charlatans du système.

Comptabilité erronée

L'inflation, l'inflation des prix, provient de ce que le présent système financier n'est pas en accord avec les faits réels de la production ou de la consommation. La comptabilité monétaire du système est fausse. Et seule une comptabilité intègre corrigerait l'inflation sans nuire aux intérêts légitimes de personne. Une comptabilité monétaire intègre, une comptabilité conforme aux réalités, c'est ce que ferait la mise en application des données financières exposées par l'ingénieur-économiste C. H. Douglas, il y a un demi-siècle, et connues sous le nom de Crédit Social (ne pas confondre avec le système de contrôle de la Chine communiste), ou démocratie économique. Si elle avait été faite, cette réforme aurait évité aux peuples bien des avatars.

Le seul fait de la hausse des prix est une attestation de la fausseté du système. Si le système financier était conforme au réel, non seulement n'aurait-on pas de prix inflationnistes, mais au contraire un abaissement graduel des prix, à mesure que le progrès dans les techniques et procédés de production augmente et facilite la production.

Le coût authentique d'une production doit bien signifier ce qu'il faut y consacrer de temps, d'efforts, de dépenses d'énergie et ce que réclame la récupération de ces énergies. Si la comptabilité des prix à payer pour cette production n'est pas en accord avec ce coût réel, elle est faussée et restera faussée tant qu'une rectification n'y sera pas apportée.

Supposez le cas d'une économie primitive, où un entrepreneur en transport de matériaux n'aurait comme moyens de livraison que ses bras et ses jambes. Il transportera une certaine quantité sur une certaine distance en un temps donné. Mais voici qu'en heures libres, il invente et construit une brouette. Cela va lui permettre, disons, de tripler son rendement, en transports sans augmenter ses heures d'ouvrage, peut-être même en les diminuant.

Donc, par unité de poids et de distance, trois fois moins de temps, trois fois moins d'efforts, trois fois moins de dépense d'énergie, trois fois moins de fatigue. La brouette est bonne, disons, pour une dizaine d'années : elle n'entrera donc dans le coût réel de son transport annuel que, pour un dixième de ce qu'elle lui aura coûté en temps, en efforts, en dépenses d'énergie.

Si la comptabilité des prix reflète exactement le coût réel en temps, efforts, dépenses d'énergie, le prix du transport par tonne et par mille devrait être seulement le tiers de ce qu'il était auparavant, plus la très minime usure de la brouette pour cette unité de transport.

En va-t-il ainsi dans le présent système ? Le progrès multiplie le rendement dans tous les domaines de la production : diminue-t-il parallèlement les prix ? La réponse est non : c'est exactement le contraire qui arrive. La comptabilité est faussée, archi-faussée. Elle l'est tout au long du cycle de production et n'est rectifiée nulle part.

Quand nous disons « comptabilité fausse », cela ne veut pas dire que les opérations de comptabilité soient mal faites, que les comptables la faussent. Oh non. La comptabilité du prix de revient, par exemple, totalise très exactement toutes les dépenses faites en cours de production.

Ce qui fausse le coût réel, c'est que les éléments financiers sur lesquels portent les opérations des comptables ne sont pas conformes aux réalités physiques de la production. Si le progrès physique dans les facteurs de production permet d'en doubler le rendement par homme-heure, il n'est pas conforme à la réalité d'en charger au même prix l'unité de production. Ce prix devrait plutôt être coupé en deux.

Comment donc justifier des prix deux fois, trois fois plus élevés qu'il y a 50 ans ? Est-ce que la production est devenue deux fois, trois fois plus lente ou plus difficile ? C'est exactement le contraire, et gouvernements, conseillers économiques et financiers devraient se voiler la face de honte à la vue de cette monstruosité à laquelle ils ont contribué.

Système déboussolé

Il y a plus d'une cause à cette disparité entre le réel et le financier. L'une d'elles, qui empoisonne tout l'organisme économique, c'est que le système et ses règlements d'ordre financier ont fait perdre de vue la véritable fin du système économique, qui est de fournir les biens pour satisfaire les besoins humains. On a fait des activités économiques, dans la pratique, une course à l'argent. De sorte que l'économie est régie en fonction de l'argent.

La production est axée non pas sur les besoins humains, mais sur ce qu'elle rapporte, en argent. Si la satisfaction des besoins entre comme nécessité dans la poursuite de l'argent, tant mieux, mais c'est secondaire, c'est seulement comme sous-produit de la poursuite de l'argent. La réussite s'évaluera, non pas tant d'après les besoins qu'elle a satisfaits, mais d'après l'argent qui en aura résulté.

Autrement dit, on donne à l'argent, qui n'est en définitive qu'une comptabilité, la priorité sur l'humain, sur le service de l'homme. Une entreprise industrielle, commerciale ou agricole, qui ne ferait que satisfaire des besoins humains peut très bien faire faillite dans un système ancré sur l'argent ; alors qu'une entreprise ne servant qu'à fournir des engins de destruction, ou à pourrir des esprits et salir des cœurs, pourra prospérer parce que l'argent lui affluera.

Financement inflationniste

Il y a aussi le mode de financement de la production — modalités qui peuvent diverger, mais qui toutes réclament plus d'argent qu'elles n'en mettent en circulation. Non pas qu'un profit légitime soit illicite : il est pour l'entrepreneur ou le bailleur de fonds ce qu'est le salaire pour l'ouvrier. Il peut y avoir exagération, comme il y a exagération, formidable même, chez les salariés. Mais raisonnable ou exagéré, ce supplément de montants non distribués entre dans les prix. La disparité entre le réel physique de la production et son expression financière s'accroît d'autant. D'autant aussi, l'insuffisance de pouvoir d'achat. Et comme le pouvoir d'achat ne provient, dans le système, que de l'argent distribué par le canal de la production, les engagés de la production réclameront de nouvelles hausses de salaires, hausses qui, à leur tour, entreront dans les prix de revient.

Un mal non corrigé en fait naître un autre. Un faux remède peut empoisonner au lieu de guérir. On ne rectifie pas une fausse comptabilité, on ne la rend pas intègre par l'adjonction d'un autre élément de fausse comptabilité. Où est, en effet, l'intégrité dans des hausses de salaires, alors que le temps et l'effort fournis ne sont pas plus grands, qu'ils sont souvent moindres ? Comparez la situation d'aujourd'hui avec celle d'il y a un demi-siècle : semaines de travail raccourcies et salaires triplés ! Et l'on se lamente devant l'inflation des prix !

Refus du Crédit Social

Si l'on savait reconnaître, comme l'enseigne le Crédit Social, que le progrès, qui rend la production plus abondante, n'est pas gagné par ceux qui l'utilisent, que c'est un héritage communautaire, transmis par les générations et croissant encore parce qu'on ne commence pas à zéro ; si, de plus, on admettait que ce capital réel, héritage commun, entre comme facteur prépondérant dans la production moderne, on exprimerait fidèlement cette réalité en distribuant à tous les membres de la société, à titre de capitalistes par héritage, un dividende périodique sur la production qui en résulte.

Ce dividende augmenterait graduellement à mesure du progrès, alors que l'argent distribué en salaires devrait plutôt diminuer à mesure que diminuent les heures d'ouvrage encore nécessaires pour mettre en œuvre le capital communautaire. Un tel dividende à tous, distribué directement par un mécanisme approprié, ne passerait pas par le canal de la production et n'entrerait pas comme les hausses de salaires dans la comptabilité des prix de revient.

Mais si vous ne voulez pas de modifications au présent système capitaliste ; si vous ne voulez considérer comme capitalistes que ceux qui financent la production avec de l'argent créé par eux ou pour eux, ou aussi bien avec de l'argent volé ou arraché du public par des prix forts ; si vous voulez considérer le système financier actuel comme divin et intouchable et n'imputer l'inflation qu'à la population qui en souffre, alors, battez-vous contre l'inflation tant que vous voudrez, vous ne l'enterrerez pas ; c'est plutôt elle qui vous enterrera, et peut-être dans un effondrement, peut-être dans un communisme dictatorial (en 2022, on dirait grand reset) salué bêtement comme une économie de rechange à un capitalisme vicié.

Le Crédit Social, qui reconnaît et traite chaque membre de la société comme un capitaliste, est certainement la meilleure arme économique à opposer aux prétentions des propagateurs du communisme. Le Crédit Social garantirait la sécurité économique dans un pays capable de répondre aux besoins normaux de toute sa population. Et cette sécurité respecterait pleinement la liberté des individus. Elle libérerait aussi les personnes du souci absorbant du pain quotidien, permettant à l'homme de profiter de cette libération pour se livrer à d'autres fonctions humaines que la seule fonction économique. À son épanouissement culturel ou spirituel, à des activités libres, à des œuvres d'aide ou d'apostolat, etc.

Les faits doivent commander

Mais le Crédit Social est-il vraiment à l'abri de l'inflation, avec ses distributions de dividendes non liées à l'emploi ?

Entretenir cette crainte serait mal comprendre le rôle de l'argent dans un système faisant de l'argent le reflet fidèle des réalités.

Le dividende social sur un héritage commun reflète une réalité, puisqu'une bonne partie de la capacité de production est due à l'existence de cet héritage. Entrent aussi dans la capacité de production les ressources naturelles, qui n'ont été produites par personne, mais sont une gratuité du Créateur mises à la disposition de tous les hommes de tous les temps. Quel citoyen en est vraiment plus qu'un autre le propriétaire ?

La fonction essentielle d'un organisme économique sain est, répétons-le, de fournir et livrer des biens répondant aux besoins normaux de la population, besoins privés et besoins publics. S'il fait cela, où est l'inflation ? Où est l'inflation des prix quand ce sont les faits qui gouvernent le comportement de la finance ?

Le but des trois propositions financières énoncées par C. H. Douglas est justement, selon ses termes mêmes, de faire du système financier un mécanisme assez souple pour se plier au réel. Un système qui puisse suivre l'économie dans tous ses développements, jusqu'à n'importe quel degré de mécanisation, de motorisation ou d'automation. Un système financier de service, et non pas d'entraves ou de domination.

Prix allégés et ajustés

La comptabilité du prix de revient continuerait de se faire comme aujourd'hui, par l'addition de toutes les dépenses encourues en cours de production. Dépenses qui seraient diminuées par unité de production, à mesure que le progrès réduit la nécessité de labeur humain. Le dividende à tous prendrait une place de plus en plus considérable dans la composition du pouvoir d'achat, sans entrer dans le prix de revient.

Les prix seraient aussi allégés du fardeau des taxes, dans la mesure où une économie adéquatement financée, selon les propositions du Crédit Social, n'aurait plus besoin des mains ni du nez du gouvernement. Dans son ensemble, d'ailleurs, un organisme économique avec finance créditiste donnerait congé au gouvernement pour une multitude de fonctions qui ne sont pas de son rôle propre, mais qui seraient assumées respectivement par des personnes responsables, des familles responsables, des associations libres, compétentes et responsables.

Mais que deviendrait l'argent distribué, tant en dividendes qu'en salaires ? — Cet argent retournerait à sa source par la consommation. Consommation par l'achat de produits de consommation courante ; consommation par l'usure de biens durables, d'ordre privé ou d'ordre public ; consommation par l'emploi de matériaux dans la production, etc.

Toute production est faite pour la consommation, ou bien elle ne servirait à rien et devrait être détruite, ce qui serait de la consommation sans but, un pur gaspillage.

Le Crédit Social finance automatiquement toute production et fait payer toute consommation. Et c'est là qu'intervient l'ajustement des prix pour ne faire payer que le prix de la consommation, et non pas celui de la production. Le producteur touche son prix comptable de revient, mais le consommateur bénéficie d'une opération qui ajuste le prix de revient selon le rapport de la consommation totale du pays à la production totale du pays. Le système monétaire assoupli y pourvoit.

Nous expliquerons davantage ce mécanisme dans l'article suivant (en page 30).

Louis Even

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