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La Démocratie Économique vue à la lumière de la doctrine sociale de l’Église

Alain Pilote le vendredi, 01 août 2025. Dans Crédit Social

Le capitalisme doit être corrigé

On a vu à la fin de l'article précédent la citation de saint Jean-Paul II qui dit que le capitalisme libéral n'était pas parfait, et avait besoin d'être corrigé. Par contre, tout n'est pas à rejeter dans le capitalisme ; dans  son encyclique Centesimus Annus, saint Jean-Paul II reconnaît les mérites de la libre entreprise, de l'initiative privée et du profit : 

« Il semble que, à l'intérieur de chaque pays comme dans les rapports internationaux, le marché libre soit l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins. Toutefois, cela ne vaut que pour les besoins 'solvables', parce que l'on dispose d'un pouvoir d'achat, et pour les ressources qui sont 'vendables', susceptibles d'être payées à un juste prix. Mais il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché. C'est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoins humains fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas les hommes qui souffrent de ces carences. »

Au contraire, loin de souhaiter la disparition de la propriété privée, l'Église souhaite plutôt sa diffusion la plus large possible pour tous, que tous soient propriétaires d'un capital, soient réellement « capitalistes » :

« La dignité de la personne humaine exige normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l'usage des biens de la terre ; à ce droit correspond l'obligation fondamentale d'accorder une propriété privée autant que possible à tous.... (Il faut) mettre en branle une politique économique qui encourage et facilite une plus ample accession à la propriété privée des biens durables : une maison, une terre, un outillage artisanal, l'équipement d'une ferme familiale, quelques actions d'entreprises moyennes ou grandes. » (Jean XXIII, Mater et Magistra, nn. 114-115.)

La Démocratie économique, ou Crédit Social, avec son dividende à chaque individu, reconnaîtrait chaque être humain comme étant un véritable capitaliste, propriétaire d'un capital, cohéritier des richesses naturelles et du progrès (les inventions humaines, la technologie).

Ce dividende est basé sur deux choses : l'héritage des ressources naturelles, et les inventions des générations passées. C'est exactement ce que saint Jean-Paul II écrivait en 1981 dans son Encyclique Laborem Exercens, sur le travail humain (n. 13) : 

« L'homme, par son travail, hérite d'un double patrimoine : il hérite d'une part de ce qui est donné à tous les hommes, sous forme de ressources naturelles et, d'autre part, de ce que tous les autres ont déjà élaboré à partir de ces ressources, en réalisant un ensemble d'instruments de travail toujours plus parfaits. Tout en travaillant, l'homme hérite du travail d'autrui. » 

Un double héritage donc, pas seulement des richesses naturelles, don de Dieu à tous les hommes, mais aussi du progrès, des inventions. Dans son encyclique Centesimus Annus de 1991, saint Jean-Paul II écrivait (n. 32) : 

« En mettant à la disposition de la société des biens nouveaux, tout à fait inconnus jusqu'à une époque récente, la phase historique actuelle impose une relecture du principe de la destination universelle des biens de la terre, en en rendant nécessaire une extension qui comprenne aussi les fruits du récent progrès économique et technologique. »

Le capitalisme a été vicié par le système financier

Ce que l'Église reproche au système capitaliste, c'est que, précisément, tous et chacun des êtres humains vivant sur la planète n'ont pas accès à un minimum de biens matériels, permettant une vie décente, et que même dans les pays les plus avancés, il existe des milliers de personnes qui ne mangent pas à leur faim. C'est le principe de la destination universelle des biens qui n'est pas atteint : la production existe en abondance, mais c'est la distribution qui est défectueuse.

Et dans le système actuel, l'instrument qui permet la distribution des biens et des services, le signe qui permet d'obtenir les produits, c'est l'argent. C'est donc le système d'argent, le système financier qui fait défaut dans le capitalisme. 

Les maux du système capitaliste ne proviennent donc pas de sa nature (propriété privée, libre entreprise), mais du système financier qu'il utilise, un système financier qui domine au lieu de servir, qui vicie le capitalisme. Le Pape Pie XI écrivait dans son encyclique Quadragesimo Anno, en 1931 : « Le capitalisme n'est pas à condamner en lui-même, ce n'est pas sa constitution qui est mauvaise, mais il a été vicié. »

Ce que l'Église condamne, ce n'est pas le capitalisme en tant que système producteur, mais, selon les mots du Pape Paul VI, le « néfaste système qui l'accompagne », le système financier :

« Ce libéralisme sans frein conduit à la dictature à bon droit dénoncée par Pie XI comme génératrice de 'l'impérialisme de l'argent'. On ne saurait trop réprouver de tels abus, en rappelant encore une fois solennellement que l'économie est au service de l'homme. Mais s'il est vrai qu'un certain capitalisme a été la source de trop de souffrances, d'injustices et de luttes fratricides aux effets durables, c'est à tort qu'on attribuerait à l'industrialisation elle-même des maux qui sont dus au néfaste système qui l'accompagnait. Il faut au contraire en toute justice reconnaître l'apport irremplaçable de l'organisation du travail et du progrès industriel à l'œuvre du développement. » (Paul VI, Encyclique Populorum Progressio, sur le développement des peuples, 26 mars 1967, n. 26.)

Le vice du système : l'argent est créé par les banques sous forme de dette

C'est le système financier qui n'accomplit pas son rôle, il a été détourné de sa fin. (Faire les biens joindre les besoins.) L'argent ne devrait être qu'un instrument de distribution, un signe qui donne droit aux produits, une simple comptabilité.

L'argent devrait être un instrument de service, mais les banquiers, en se réservant le contrôle de la création de l'argent, en ont fait un instrument de domination : Puisque le monde ne peut vivre sans argent, tous —gouvernements, compagnies, individus — doivent se soumettre aux conditions imposées par les banquiers pour obtenir de l'argent, qui est le droit de vivre dans notre société actuelle. Cela établit une véritable dictature sur la vie économique : Les banquiers sont devenus les maîtres de nos vies, tel que le rapportait très justement encore Pie XI dans Quadragesimo Anno (n. 106).

« Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent et du crédit, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer. »

Aucun pays ne peut rembourser sa dette dans le système actuel, puisque tout argent est créé sous forme de dette : tout l'argent qui existe vient en circulation seulement lorsqu'il est prêté par les banques, à intérêt. Et chaque fois qu'un prêt est remboursé, cette somme d'argent cesse d'exister, est retirée de la circulation.

Le défaut fondamental dans ce système est que lorsque les banques créent de l'argent nouveau sous forme de prêts, elles demandent aux emprunteurs de ramener à la banque plus d'argent que ce que la banque a créé. (Les banques créent le capital qu'elles prêtent, mais pas l'intérêt qu'elles exigent en retour.) Puisqu'il est impossible de rembourser de l'argent qui n'existe pas, la seule solution est d'emprunter de nouveau pour pouvoir payer cet intérêt, et d'accumuler ainsi des dettes impayables.

Cette création d'argent sous forme de dette par les banquiers est leur moyen d'imposer leur volonté sur les individus et de contrôler le monde :

« Parmi les actes et les attitudes contraires à la volonté de Dieu et au bien du prochain et les 'structures' qu'ils introduisent, deux éléments paraissent aujourd'hui les plus caractéristiques : d'une part le désir exclusif du profit et, d'autre part, la soif du pouvoir dans le but d'imposer aux autres sa propre volonté. » (Saint Jean-Paul II, encyclique Sollicitudo Rei Socialis, n. 37.)

Puisque l'argent est un instrument essentiellement social, la doctrine du Crédit Social, ou Démocratie économique, propose que l'argent soit émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit :

« Il y a certaines catégories de biens pour lesquelles on peut soutenir avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées. » (Pie XI, encyclique Quadragesimo Anno.)

Corriger le capitalisme par la Démocratie Économique

On vient de voir que le magistère de l'Église, par différentes déclarations des papes, demande une réforme des systèmes financiers et économiques, afin qu'ils soient mis au service de l'homme. L'Église présente donc les principes, mais n'offre pas de solution technique, ce n'est pas son rôle. C'est, par contre, le rôle de tous les fidèles, de tous les gens de bonne volonté, d'appliquer ces principes de façon concrète dans la vie en société, de travailler à la recherche de solutions concrètes et l'établissement d'un système économique conforme à l'enseignement de l'Évangile et aux principes de la doctrine sociale de l'Église. 

Or, à notre connaissance, aucune autre solution n'appliquerait aussi parfaitement la doctrine sociale de l'Église — et corrigerait le capitalisme de son vice financier — que la Démocratie économique de l'ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas, appelée aussi Crédit Social (mais pas le système de points et de contrôle de la Chine communiste, qui utilise le même nom, ce qui peut porter à confusion). 

C'est pourquoi Louis Even, grand catholique qui ne manquait pas de logique, lorsqu'il découvrit la Démocratie économique, ou Crédit Social, de Douglas, n'hésita pas un seul instant à se faire le grand propagandiste de cette solution, fonda à cette fin la revue Vers Demain, faisant souvent faire ressortir, dans ses articles, jusqu'à quel point la Démocratie économique appliquerait à merveille la doctrine sociale de l'Église, que ce soit le droit de tous aux biens matériels, la fin des dettes impayables pour les pays et les individus, et le respect de l'environnement

(Note : sur ce dernier point, lire l'article « La Démocratie économique mettrait fin au gaspillage des ressources » dans Vers Demain de mai-juin-juillet 2025, qui commente l'encyclique Laudato Si du pape François sur l'environnement.)

Christianisme appliqué 

Clifford Hugh Douglas a déjà dit que la Démocratie économique pouvait être résumée en deux mots : christianisme appliqué. Un autre qui était convaincu que le Crédit Social est le christianisme appliqué, qu'il appliquerait à merveille l'enseignement de l'Église sur la justice sociale, c'est le Père Peter Coffey, docteur en philosophie et professeur au Collège de Maynooth, en Irlande. Voici ce qu'il écrivait à un jésuite canadien, le Père Richard, en mars 1932 : 

« Les difficultés posées par vos questions ne peuvent être résolues que par la réforme du système financier du capitalisme, selon les lignes suggérées par le Major Douglas et l'école créditiste du crédit. C'est le système financier actuel qui est à la racine des maux du capitalisme. L'exactitude de l'analyse faite par Douglas n'a jamais été réfutée, et la réforme qu'il propose, avec sa fameuse formule d'ajustement des prix, est la seule réforme qui aille jusqu'à la racine du mal... ».

Un système économique sera bon ou non dans la mesure où il applique les principes de justice enseignés par l'Église. Certains diront que les Papes n'ont jamais approuvé publiquement la Démocratie économique, ou  Crédit Social de Douglas. En fait, les Papes n'approuveront jamais publiquement aucun système économique, telle n'est pas leur mission. Par contre, ils peuvent dire que telle ou telle solution n'a rien de contraire à l'enseignement de l'Église. 

Étude du Crédit Social par neuf théologiens

C'est ce qui est arrivé dans la province de Québec : lorsque Louis Even commença à répandre les principes du Crédit Social de Douglas au Canada français en 1935, une des accusations colportées par les Financiers était que le Crédit Social était du socialisme, ou du communisme. Alors, en 1939, les évêques catholiques du Québec chargèrent une commission de neuf théologiens d'étudier le Crédit Social en regard de la doctrine sociale de l'Église, pour savoir s'il était entaché de socialisme. Les neuf théologiens conclurent qu'il n'y avait rien dans la doctrine du Crédit Social qui était contraire à l'enseignement de l'Église, et que tout catholique était donc libre d'y adhérer sans danger. Voici quelques extraits de cette étude :

« La seule question à l'étude est la suivante : la doctrine du Crédit Social, dans ses principes essentiels, est-elle entachée de socialisme ou de communisme, doctrines condamnées par l'Église ; et par suite doit-elle être regardée par les catholiques comme une doctrine qu'il n'est pas permis d'admettre et encore moins de propager. 

La Commission a ensuite formulé en propositions les principes essentiels du Crédit Social. 

« Le but de la doctrine monétaire du Crédit Social est de donner à tous et à chacun des membres de la société la liberté et la sécurité économiques que doit leur procurer l'organisme économique et social. Pour cela, au lieu d'abaisser la production vers le niveau du pouvoir d'achat par la destruction des biens utiles ou la restriction du travail, le Crédit Social veut hausser le pouvoir d'achat au niveau de la capacité de production des biens utiles. » 

Il propose à cette fin : 

1. L'État doit reprendre le contrôle de l'émission et du volume de la monnaie et du crédit. Il l'exercera par une commission indépendante jouissant de toute l'autorité voulue pour atteindre son but. 

2. Les ressources matérielles de la nation représentées par la production constituent la base de la monnaie et du crédit. 

3. En tout temps, l'émission de la monnaie et du crédit devrait se mesurer sur le mouvement de la production de façon qu'un sain équilibre se maintienne constamment entre celle-ci et la consommation. Cet équilibre est assuré, partiellement du moins, par le moyen d'un escompte dont le taux varierait nécessairement avec les fluctuations mêmes de la production. 

4. Le système économique actuel, grâce aux nombreuses découvertes et inventions qui le favorisent, produit une abondance insoupçonnée de biens en même temps qu'il réduit la main-d'œuvre et engendre un chômage permanent. Une partie importante de la population se trouve ainsi privée de tout pouvoir d'achat des biens créés pour elle et non pas pour quelques individus ou groupes particuliers seulement. Pour que tous puissent avoir une part de l'héritage culturel légué par leurs prédécesseurs, le Crédit Social propose un dividende dont la quantité sera déterminée par la masse des biens à consommer. Ce dividende sera versé à chaque citoyen, à titre de citoyen, qu'il ait ou non d'autres sources de revenus. 

Il s'agit maintenant de voir s'il y a des traces de socialisme dans ces propositions. 

Concernant le point 1 (l'émission de la monnaie) : Cette proposition ne paraît pas comporter de donnée socialiste ni être contraire à la doctrine sociale de l'Église. L'affirmation est basée sur les passages suivants de l'Encyclique Quadragesimo anno. 

Le Pape (Pie XI) dit : « Il y a certaines catégories de biens pour lesquels on peut soutenir avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains des personnes privées. » 

On y lit encore : « Ce qui à notre époque frappe tout d'abord le regard, ce n'est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l'accumulation d'une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d'un petit nombre d'hommes, qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils administrent à leur gré. » 

« Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement nul ne peut plus respirer. » 

Vouloir changer un tel état de choses n'est donc pas contraire à la doctrine sociale de l'Église.... La monnaie n'étant, dans le système du Crédit Social, qu'un instrument d'échange dont le cours sera rigoureusement réglé par la statistique de la production, la propriété privée demeure intacte ; voire la monnaie et le crédit seraient peut-être moins qu'aujourd'hui dispensés selon le bon plaisir de ceux qui les contrôlent. Réserver à la collectivité la monnaie et le crédit n'est donc pas opposé à la doctrine sociale de l'Église. 

La Commission répond donc négativement à la question : « Le Crédit Social est-il entaché de socialisme ? » Elle ne voit pas comment on pourrait condamner au nom de l'Église et de sa doctrine sociale les principes essentiels de ce système, tels qu'exposés précédemment. 

Ce rapport des théologiens n'avait pas fait l'affaire des financiers, et en 1950, un groupe d'hommes d'affaires chargèrent un évêque du Québec (Mgr Albertus Martin du diocèse de Nicolet) d'aller à Rome pour obtenir du Pape Pie XII une condamnation du Crédit Social. De retour au Québec, cet évêque fit rapport aux hommes d'affaires : « Pour avoir une condamnation du Crédit Social, ce n'est pas à Rome qu'il faut aller. Pie XII m'a répondu : "Le Crédit Social créerait dans le monde un climat qui permettrait l'épanouissement de la famille et du christianisme." »

Alain Pilote

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