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L'industrie n'existe pas pour fournir de l'emploi

Louis Even le mercredi, 01 janvier 1997. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

— Confusions des fonctions Demande-t-on du poisson à un mineur, ou du minerai à un pêcheur ? - L'industrie a pour but de fournir des produits, et non pas de fournir de l'emploi La formule de l'embauchage intégral conduit au matérialisme et au gaspillage. ―

Dernièrement, notre Premier Ministre du Québec, Lucien Bouchard, a fait appel aux industriels de la province pour l'aider à créer des emplois, dans le but de régler la crise du chômage.

Il s'est fait répondre à la radio par son ancien ami, l'ex-député bloquiste et avocat comme lui, Jean Lapierre : "L'industrie n'existe pas pour créer des emplois !"

Notre fondateur, Louis Even, présentait un article, coiffé justement de ce titre, dans Vers Demain du premier octobre 1951, pour tenter de débloquer les cerveaux du temps qui, à la suite des communistes, hurlaient pour le plein emploi. Voici donc cet article de Louis Even, brillant de logique, qui fait bondir notre intelligence de satisfaction, mais qui nous démontre aussi que les professeurs d'université de notre époque, loin d'être au pas du progrès, n'ont pas fait avancer d'un centimètre leurs élèves, en la matière. Ils sont encore à l'ère d'avant même la charrue et le bœuf, pour réclamer des emplois, quand il faudrait réclamer des dividendes pour distribuer l'abondance fournie par le progrès. En économie, les cerveaux d'aujourd'hui sont aussi bloqués qu'en 1951, puisque notre Premier Ministre nous arrive encore avec cette même ritournelle des syndicats gauchistes : « Créer des emplois pour régler le chômage », alors que le progrès désembauche les ouvriers en plus grand nombre et plus rapidement que les emplois créés. Ce serait plus logique de demander à Ottawa de créer de l'argent pour distribuer l'abondance, M. Bouchard.

T.Tardif

par Louis Even

 

Perversion des fonctions et des moyens

Combien déconcertant, sinon dégoûtant, de voir des gens intelligents perdre le sens des fins et des moyens ! C'est de plus en plus commun de nos jours. Aussi, comme on patauge !

On n'a pas encore demandé à l'estomac de réfléchir, ni à la tête de digérer. Mais ça viendra, si l'on apprend à se comporter dans la conduite de son corps physique comme on se comporte dans la conduite du corps social.

Il est de braves gens ― même couronnés de diplômes ― qui veulent guérir la paresse, la luxure, ou d'autres vices capitaux, par des règlements financiers.

D'autres, par contre, vous envoient à la religion ou à la morale quand vous leur demandez du pain.

C'est la confusion des fonctions. Si on les suivait, on remplacerait le curé par un banquier, et le système économique par les sacrements.

Il ne faudra pas s'étonner si, demain, ils exigent que le pêcheur leur fournisse du minerai, et que le mineur extraie du poisson des entrailles de la terre.

Des gens sérieux prétendent établir la paix sur la terre en faisant des guerres. Six mille ans de fiascos ne suffisent pas pour leur faire changer de méthodes.

Des hommes qui occupent des positions de responsabilité dans le monde ouvrier croient, ou agissent comme s'ils croyaient pouvoir rejoindre les prix, par des hausses de salaires qui haussent les prix d'au moins autant. Aussi intelligent que le chien qui court après sa queue !

D'autres s'imaginent augmenter le nombre de logis à louer, en vilipendant, harassant et punissant ceux qui en bâtissent.

D'autres pensent freiner la montée du communisme en chargeant la propriété et l'entreprise privée de tous les péchés de la nation.

Le but de l'industrie

Dès qu'il y a accentuation de chômage, les accusations pleuvent contre l'industrie, surtout contre l'entreprise privée :

"L'entreprise privée a démontré qu'elle est incapable de fournir de l'emploi à tout le monde. Donc il faut supprimer l'entreprise privée, et confier la production et l'emploi à l'État."

Comme si l'industrie, privée ou coopérative, ou même nationalisée, avait pour fonction d'employer les gens !

Le but de l'industrie ― agricole ou manufacturière ― n'est pas du tout de donner de l'emploi. Son but, c'est de fournir des produits. Elle n'existe pas pour embaucher ; elle existe pour produire.

Quand l'industrie alimente la production, quand elle renouvelle les stocks aussi vite qu'ils s'écoulent, elle accomplit très bien sa fonction. Ne lui demandons pas autre chose.

L'industrie est même d'autant plus perfectionnée qu'elle fournit plus de produits avec moins de dépenses d'énergie et de matériel.

N'est-ce pas pour diminuer la part du labeur humain dans la production que sont inventées les machines, que sont perfectionnés les moyens de production ? Être intelligent, l'homme essaie, tant qu'il peut, d'enrôler à son service des énergies extra-humaines, afin de conserver les siennes pour l'usage qu'il lui plaît.

Une industrie parfaite serait celle qui fournirait tous les produits matériels réclamés par les besoins des hommes, sans exiger aucun labeur humain. Chaque personne disposerait alors de tout son temps, de toutes ses forces, de toutes ses facultés, pour des poursuites moins matérielles.

Sans doute que l'industrie productive n'en viendra jamais là ; mais, plus elle s'en approche, plus l'humanité doit lui être reconnaissante.

Parce qu'il n'est ni un castor, ni un singe, l'homme s'efforce d'obtenir le maximum de résultats avec le minimum d'efforts.

Pourquoi donc reprocher à l'industrie de remplir les magasins sans occuper tous les bras ? Ne convient-il pas plutôt de l'en féliciter, puisqu'elle place les richesses devant nous à meilleur compte ?

Si l'industrie refusait la production qui lui est commandée, alors qu'elle est capable de la fournir, Oh ! alors il faudrait blâmer l'industrie. Mais quand a-t-on vu le producteur refuser des commandes qu'il est capable de remplir ?

L'industrie exécute ce qu'on lui demande. Elle obéit fidèlement aux commandes qu'elle reçoit. Peut-elle faire mieux ?

La production serait à blâmer si elle refusait de produire le nécessaire pour tout le monde et donnait la priorité au luxe pour quelques-uns. On a parfois voulu lui faire ce reproche ; mais même alors, ne fait-elle pas qu'obéir aux commandes ? Est-ce à la production qu'il faut s'en prendre si personne ne lui commande du pain, quand quelques-uns lui commandent du superflu ? Le mal n'est-il pas du côté de la commande, plutôt que du côté de l'exécution ?

Si ceux qui ont besoin de pain n'ont pas le moyen de passer des commandes à la production, faut-il s'en prendre à la production, ou bien au système économique qui ne sait pas mettre les premiers moyens de commande à la disposition des besoins essentiels ?

"Mais sans emploi, pas de salaires !"

Mais, dira-t-on, si l'industrie n'emploie pas tout le monde, elle ne donne pas de salaires à tout le monde. Comment les hommes sans emploi vivront-ils ?

Ce problème ne regarde pas l'industrie. Elle n'existe pas plus pour distribuer des salaires que pour donner de l'emploi. Elle existe uniquement pour fournir les produits réclamés par les besoins.

Il est vrai qu'aujourd'hui, avec notre présent régime économique, le droit aux produits est lié uniquement à la participation personnelle à la production. Le stimulant au travail (le salaire) est le seul ou principal agent de distribution des produits. C'est encore une confusion des fonctions. La fonction de produire relève de l'industrie ; la fonction de distribuer relève de la société. Ce sera le sujet d'un prochain article.

Mais dès aujourd'hui, notons que ce règlement, qui veut qu'on soit employé pour avoir droit aux produits, est en contradiction directe avec le progrès. Le progrès tend à remplacer les énergies humaines par des énergies autres qu'humaines : il enrichit ainsi l'homme de toutes les énergies épargnées pour son usage personnel. Pourquoi faut-il que ce réel enrichissement en fasse un être économiquement dépourvu ? La réalité est belle, mais le résultat économique est faux.

Si les biens ne sont pas plus faciles à obtenir lorsqu'ils sont plus faciles à produire, ce n'est pas à l'industrie qu'il faut s'en prendre, mais au règlement qui lie la distribution des produits à l'emploi. Ce règlement est visiblement incompatible avec le progrès qui s'efforce de supprimer l'emploi. Faut-il blâmer le progrès et l'industrie progressive ? Ou bien faut-il changer un règlement devenu désuet ?

En style d'ingénieur, le Major Douglas, ingénieur lui-même et fondateur de l'école du Crédit Social, écrivait dans son premier ouvrage sur le sujet, en 1919 :

"Pour tout procédé donné, le nombre d'unités de temps-énergie exigées pour un rendement donné est bien défini... Par le recours à des procédés qui utilisent des unités temps-énergie autres qu'humaines, pliées à son service, l'homme sauve des unités de temps-énergie humaines. Il en devient d'autant plus riche, dans le sens réel du terme, en ce qu'il contrôle l'usage à faire du stock qui lui reste... Tout procédé amélioré doit donc, par le fonctionnement d'un système économique approprié, diminuer les unités de temps-énergie demandées à la communauté. Ou, pour l'exprimer d'une autre manière, toute amélioration de procédé doit PAYER UN DIVIDENDE À LA COMMUNAUTÉ. (Economic Democracy, page 102.)

Poursuite de l'embauchage intégrale

Le malheur, c'est que le présent système économique n'est pas approprié. Il continue d'exiger l'emploi pour avoir droit aux produits. Il est réactionnaire au progrès.

Et comme le progrès est inarrêtable, on cherche à concilier les deux inconciliables en provoquant de nouveaux besoins matériels. On a peur d'un homme libre ; on préfère un homme toujours avide de nouveaux besoins. On excite ces nouveaux besoins. C'est anti- évangélique, autant qu'anti-humain.

On paie grassement la publicité qui cherche à développer de nouveaux besoins. On considère comme bienfaisant pour la communauté, non pas le perfectionnement qui épargne le temps et les énergies de l'individu, mais la création de nouveaux besoins qui continueront d'accaparer le temps et les énergies de l'individu pour la production matérielle.

La poursuite de l'embauchage intégral cultive ainsi le matérialisme. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles on constate un développement parallèle du progrès moderne et du matérialisme, quand c'est le contraire qui devrait avoir lieu. On pervertit le progrès, en l'empêchant d'accomplir ce qui serait son meilleur rôle : celui de soustraire de plus en plus l'individu à l'embauche pour la production matérielle ; ou, à son choix, la possibilité pour l'individu de consacrer librement les énergies ainsi épargnées à aider des frères humains moins favorisés.

Remarquons que l'embauchage intégral a fleuri en Russie, sous un régime communiste et matérialiste.

La poursuite de l'embauchage intégral conduit aussi au gaspillage. Gaspillage de temps, d'énergies, de matériel, de force motrice, de tout ce qui entre dans une production matérielle dont le monde pourrait fort bien se passer.

On sabote ainsi, à une vitesse de plus en plus endiablée, des ressources destinées par le Créateur à la satisfaction des besoins normaux des hommes, même des générations qui doivent nous succéder. La folie du sabotage atteint son paroxysme en temps de guerres ou de préparatifs de guerre, quand on produit directement pour détruire hommes et choses. L'embauchage intégral touche alors son sommet. C'est en même temps l'épanouissement du règne de la matière : les bombes sont reines, et les vies humaines ne comptent plus.

Une formule meilleure

Tous ces désordes se tiennent. Ils s'enchaînent. Ils se présentent comme une nécessité, parce qu'on refuse de modifier le moyen financier de distribution.

Le remède est tout indiqué dans la phrase citée de Douglas :

"Toute amélioration dans les procédés de production doit payer un dividende à la communauté."

À la communauté. Donc à tout le monde. Pas seulement aux embauchés, puisque l'amélioration a justement effet de « désembaucher » en remplaçant les unités de temps-énergie humaines pour leur équivalent extérieur.

«Tout perfectionnement » engendrerait un dividende à tous. Donc : remplacement graduel du régime de salaires par un régime de dividendes, à mesure que le progrès dégage la production de l'apport du labeur humain.

Régime de dividendes, permettant à l'individu de se livrer à des activités libres au lieu d'activités forcées, au service de besoins factices, provoqués exprès pour maintenir l'embauchage.

Louis Even

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