Texte de la 14ème causerie de l'Union des Électeurs à la radio. L'auteur n'est pas un fervent du planisme à la Gordon.
Les partisans de l'économie dirigée disent que l'économie dirigée a fait ses preuves pendant la guerre et qu'elle est un succès.
Voyons donc comment se manifeste l'économie dirigée du temps de guerre, qu'est-ce qu'il y a dans le système économique, différent d'avant la guerre.
Avant la guerre, il n'y avait pas de commission des prix. Il y en a une, maintenant : vous savez, la commission à M. Donald Gordon, qui possède tant de pouvoirs.
Avant la guerre, il n'y avait pas de bureau du Service Sélectif. Il y en a un maintenant.
Et tout cela, c'est de l'obligatoire. Il est surprenant comme, depuis que nous nous battons pour la liberté, on nous en a infligé des choses obligatoires : assurances-chômage obligatoires ; enregistrement national obligatoire ; service militaire obligatoire ; service sélectif obligatoire ; plafonnement obligatoire ; coupons obligatoires ; école obligatoire ; etc., etc., et on en prépare d'autres. Avec des commissions pour y voir.
Le 1er septembre dernier, le bottin des organisations gouvernementales de guerre étalait avec orgueil une liste de 105 commissions, bureaux, comités, dont la plupart sont justement des bureaux pour diriger les activités économiques du Canada.
On a, certes, une économie dirigée. La production est dirigée. Le transport est dirigé. La distribution est dirigée. Dirigés par qui ? Par les bureaucrates des 105 commissions, dont chaque règlement comporte des sanctions rigoureuses.
Économie dirigée à coups de décrets, à coups de menaces, d'amendes et de prison. Répond-elle si bien aux aspirations du public, une économie dirigée qu'il faut imposer de cette manière ?
L'économie dirigée vous dit quoi produire, quoi ne pas produire ; quoi acheter, quoi ne pas acheter ; quelle quantité de chaque chose vous pouvez vous procurer dans tel temps déterminé ; combien de boutons vous pouvez faire placer à votre veston ; combien d'onces de thé ou de livres de sucre constituent le maximum pour chaque personne. L'économie dirigée vous défend de faire cadeau d'une part de votre ration, si vous en avez trop, à un voisin qui n'en a pas assez. Estomacs égaux ; digestion égale : les grands hommes des grands bureaux ont décidé cela.
L'économie dirigée contingente les approvisionnements, accorde ou refuse les permis de construire, d'améliorer ; elle fixe les prix, multiplie les formules à remplir pour acheter, pour vendre, pour travailler, pour se reposer. L'économie dirigée, dont on vante l'efficacité, invente presque chaque jour de nouveaux détails pour encarcaner les producteurs comme les consommateurs.
L'économie dirigée peut être très amusante pour ceux qui la jouent, pour ceux qui la dirigent, mais elle est beaucoup moins attrayante pour les dirigés qui la subissent.
Nécessité de guerre, dira-t-on. Si l'on veut. Mais qu'on ne vienne pas nous dire qu'il est souhaitable de continuer cette économie dirigée après la guerre.
M. Cyrille Vaillancourt prononçait récemment, à Sorel, au Congrès provincial des Chambres de Commerce des Jeunes, un discours auquel la presse a donné une grande publicité. M. Vaillancourt, connu depuis des années comme officier supérieur des Caisses Populaires, fut fait, l'an dernier, conseiller législatif par le gouvernement Godbout. Puis le gouvernement fédéral, à son tour, nomma M. Vaillancourt conseiller français du tsar des prix et du rationnement, M. Donald Gordon.
Aussi Le Devoir, de Montréal, s'est-il demandé si c'est comme représentant des Caisses Populaires, ou comme conseiller législatif, ou comme fonctionnaire de l'économie bureaucratique de guerre, que M. Cyrille Vaillancourt prononça son étrange allocution à Sorel.
Un journal de Québec, plus admiratif que Le Devoir, trouve que M. Vaillancourt a exposé à Sorel une thèse chrétienne en se faisant le panégyriste de l'économie dirigée. Le gouvernement de Lénine, et après lui le gouvernement de Staline, sans doute plus chrétiens que les nôtres, n'ont attendu ni la guerre ni la thèse de M. Vaillancourt pour pratiquer ce genre d'économie. Qu'on rende donc hommage à Joseph Staline et aux plans de cinq ans, avant de rendre hommage à MM. Gordon, Vaillancourt et aux institutions bureaucratiques d'Ottawa.
Dans son discours M. Vaillancourt déclare :
"La guerre aura prouvé que l'économie dirigée est supérieure au libéralisme économique pour obtenir une production supérieure et mieux adaptée aux besoins réels et une répartition plus rationnée et plus équitable."
Sans vouloir nier le besoin d'une économie dirigée de quelques manière (et nous dirons bientôt par qui, selon nous, devrait être imprimée la direction), et sans vouloir défendre le libéralisme économique, on nous permettra une question : Où M. Vaillancourt a-t-il vu que l'économie dirigée à laquelle il participe ait produit plus de biens réels que l'économie d'avant-guerre ? Qu'elle fasse plus de canons, plus de bombes, plus d'engins meurtriers, très bien. Mais l'économie d'avant-guerre n'a jamais fait défaut pour produire tout le blé, tous les fruits, tous les légumes, tout le lait, tous les vêtements, toutes les chaussures, toutes les maisons qu'on lui a demandés.
La production non dirigée d'avant-guerre a produit tout cela, et en abondance. Et c'étaient des biens réels répondant à des besoins réels. Les biens étaient aussi visibles dans les vitrines que les besoins dans les maisons. Si les biens n'allaient pas aux besoins, ce n'était toujours pas parce que la production manquait.
M. Vaillancourt, est plus juste lorsqu'il dit :
"Si le génie de l'homme a maîtrisé la matière et les éléments, s'il a donné au monde une capacité et une excellence de production incroyables, il n'a pas encore mis sur pied un système qui permette à tout individu, grand ou petit, de jouir pleinement du fruit de ce génie créateur. Mettre la production au service du consommateur, voilà l'aspect le plus pressant de l'économie d'après-guerre."
Une capacité et une excellence de production incroyables — M. Vaillancourt admet donc que cela existe. Et cette production incroyable n'est aucunement le fait des bureaucrates d'Ottawa. Il reste, ajoute-t-il, à mettre sur pied un système qui permette à tous, grands ou petits, de jouir pleinement de cette production, fruit du génie humain.
Très bien. C'est justement ce système que l'Union des Électeurs réclame. Le système est tout trouvé, mais il n'est pas mis sur pied. Et ce système, avec son dividende national à tous, grands ou petits, remplacerait avantageusement, au moins en temps normal, en temps de paix et d'abondance, les 105 commissions et leurs sœurs cadettes à venir, des planificateurs d'Ottawa. Et sans besoin d'obligatoire, sans jouer ni d'amendes ni de prison.
Pendant la guerre, la production vendable est diminuée à dessein, pour faire place à la production de guerre. À cause de la rareté, il faut bien rationner. Et lorsqu'il est question de rationner, on trouve facilement des experts, on met vite un système sur pied. Le système bancaire a formé des artistes du rationnement. Si ces artistes étaient capables de tenir la population dans la privation en face d'une surabondance de produits, ils sont certainement capables de maintenir le rationnement en face d'une pénurie de produits. Aussi est-ce à la fraternité des banquiers qu'on a demandé le tsar du rationnement, le supérieur actuel de M. Vaillancourt.
Mais, comme M. Vaillancourt parle pour l'après-guerre, et comme il souhaite que l'économie dirigée continue de quelque manière après la guerre, regardons les faits d'une économie de paix, d'une production possible redevenue abondante.
Pour qui existent toutes ces bonnes choses offertes par la production ? Pour qui ? M. Vaillancourt le rappelle : pour les consommateurs. Qui donc est mieux capable de les diriger vers leur but que les consommateurs eux-mêmes ? S'il y a une direction à imprimer aux activités économiques, n'est-ce pas à ceux pour qui elles existent d'imprimer la direction ? Qui doit dire à la production quoi faire, au transport quoi transporter et où le faire parvenir — qui, sinon les consommateurs pour qui tout cela existe ?
Est-ce M. Gordon, ou M. Vaillancourt, ou quelque autre bureaucrate qui doit dire à la production quelles boîtes de conserves préparer pour Madame La verdure, quelles paires de chaussures fabriquer pour la famille Latulippe, quelle couleur de robe conviendra au goût de Mademoiselle Dumoulin ?
Si la production existe pour les consommateurs, c'est aux consommateurs que doit appartenir l'initiative de dicter des commandes à la production. À moins que l'on considère les hommes comme des animaux, incapables de choisir, incapables de discerner et exprimer leurs besoins. Et alors ce sont des experts en service d'écurie qu'il faudrait mettre à la direction de l'économie du pays.
Mais, diront nos amateurs de plans, est-ce que le chômage n'a pas arrêté, est-ce que la production ne bat pas son plein, depuis que le gouvernement a pris la direction de l'économique ?
La production bat son plein, non pas parce que le gouvernement ou ses commissions dirigent l'économie de guerre, mais parce que ceux qui passent des commandes à l'économie de guerre ont les moyens de payer ce qu'ils commandent. Cessez de payer, et vous verrez les résultats.
La production bat son plein, parce qu'il y a un consommateur qui paie. Ce consommateur de temps de guerre s'appelle l'État. Si le consommateur du temps de paix, qui s'appelle citoyen, a de l'argent pour payer, la production marchera aussi efficacement. Elle fournira des choses différentes de l'économie de guerre, parce que le consommateur payant aura d'autres goûts. L'économie sera alors dirigée, mais par le consommateur, par les hommes et les femmes du pays.
Les ménagères canadiennes n'ont pas besoin des faiseurs de plans pour leur dire ce qu'elles doivent demander pour leurs maisons. Et les exécuteurs des commandes, agriculteurs, industriels, commerçants, n'ont pas besoin des faiseurs de plans pour leur dire comment s'y prendre pour produire ce que les consommateurs commandent.
La seule chose essentielle qui ait manqué avant la guerre, c'est le moyen de payer entre les mains des consommateurs.
Le système actuel n'a aucun mécanisme pour équilibrer le moyen de payer, chez les consommateurs, avec le moyen de produire chez les producteurs. Plutôt que de s'appliquer à établir ce mécanisme, pourquoi préférer le régime des commissions, des rations, des plans ?
Seul, le mécanisme financier faisait défaut avant la guerre. Pourquoi vouloir diriger le reste, et pas celui-là ? Pourquoi ne parle-t-on pas un peu plus de monnaie dirigée et beaucoup moins d'économie dirigée ?
Pourquoi ne pas mettre l'argent en tutelle, au lieu de vouloir mettre en tutelle producteurs et consommateurs ?
Le discours de M. Vaillancourt s'ajoute à la litanie déjà longue des discours et des écrits qui parlent d'ordre nouveau et touchent à tout, excepté à la puissance qui crée et détruit l'argent, hypothèque tout progrès, régente l'univers et jette le monde des guerres dans les crises, des crises dans les guerres ?
Mais si ces messieurs se permettaient la moindre attaque contre les véritables désaxeurs de l'économie, occuperaient-ils jamais un siège au Conseil Législatif ? Auraient-ils la moindre chance d'entrer dans le conseil suprême qui décrète sans appel la ration quotidienne des Canadiens ? Seraient-ils invités à prononcer les discours de circonstances aux congrès des Chambres de Commerce ?