1. — Le progrès dans la production
L'inventeur a mis au monde une machine nouvelle. Elle répond à son dessein. Il en est justement fier. L'inventeur n'a certainement pas conçu cette machine pour diminuer la production, ni pour rendre la production plus difficile. Au contraire, c'est pour obtenir plus avec moins de travail. Il a réussi. Il s'en réjouit : "Grâce à cette machine, dit-il, des hommes travailleront moins dur, et ils auront quand même autant de choses à leur disposition, même davantage. Des générations, avant moi, ont augmenté les connaissances de l'humanité ; j'ajoute ma petite part, et toute l'humanité peut en profiter. C'est son héritage social que je lui aide à exploiter."
2. — La machine remplace les hommes
La machine est faite pour soulager, pour remplacer le labeur humain. Et, en effet, voyez ces hommes qui quittent le chantier où ils suaient et peinaient. Ils s'en vont avec leur pic et leur pelle, parce que l'entrepreneur a maintenant mieux que le pic et la pelle. La machine, avec moins d'employés pour la conduire, va faire plus et mieux que ces hommes avec leurs pics, leurs pelles et leurs muscles. Réjouissez-vous donc, fils de la civilisation : l'acier va travailler à votre place. Pendant que vous vous reposerez, les choses sortiront du travail de la machine, aussi bonnes et plus abondantes qu'elles sortaient du travail de vos mains.
3. — Pas de salaires, pas d'achats
Mais ces hommes qui maniaient pic et pelle, et qui sont maintenant en congé parce que la machine fait le travail à leur place, s'appellent chômeurs. Ils n'ont plus de salaires. Et, sous notre régime actuel, la fin du salaire, c'est la fin du pouvoir d'achat. Nos hommes et leurs familles ont les mêmes besoins, et les mêmes produits sont devant eux, plein les magasins. Mais les hommes ne peuvent acheter, ils se désolent. Les marchands ne vendent pas, ils se désolent également. Les produits s'accumulent ; et parce que les produits s'accumulent, d'autres hommes seront congédiés de leur emploi et seront aussi sans salaires. On appelle cela une crise.
4. — Deux citoyens argumentent
Paul — Tu as l'air en diable, Jacques !
Jacques — Pour cause. Cette machine-là, c'est Satan qui l'a inventée.
Paul — Mais non. C'est un homme intelligent, pour rendre l'ouvrage plus facile.
Jacques — Tellement facile que nous n'avons plus rien à faire, vous et moi. Cette machine nous vole notre salaire ; je voudrais la voir mise à la fonderie.
Paul — Pourtant, puisque la machine travaille à notre place, nous devrions être mieux. Un homme qui a un serviteur est mieux que s'il n'en avait pas.
Jacques — Mais nous n'avons plus de salaire pour acheter.
Paul — C'est vrai. Mais, au lieu de casser la machine, bien inventée pour produire, pourquoi ne pas inventer une nouvelle manière, mieux adaptée, pour distribuer les produits qui remplissent les magasins ?
5. — La nouvelle manière
Elle est inventée, la nouvelle manière de distribuer les produits. Voyez ces trois hommes venus au magasin pour acheter. Avec quoi achètent-ils ? L'un d'eux, rien qu'un, a un salaire. Mais tous les trois ont un dividende. Le salaire, on sait ce que c'est : ça va à celui qui a un emploi. Le dividende, ça va à ceux qui ont un capital qui rapporte. Or tous ces hommes ont un dividende, ceux qui travaillent comme ceux qui ne travaillent pas. Pourquoi ? Parce que, dans le pays, on a jugé que la science appliquée qui fait naître les machines est un héritage commun, grossi de génération en génération. Et tout le monde est héritier de cet héritage commun. Puisque cet héritage commun produit, et produit beaucoup, tous reçoivent un dividende. Celui qui a dividende et salaire achète davantage ; mais tous, avec le dividende, achètent au moins une partie des produits. La récompense au travail est maintenue, mais le droit de tous à l'héritage commun est reconnu.
6. — Et l'activité règne
Les salaires de quelques-uns et les dividendes de tous font les produits décoller des étagères. Le marchand, heureux, place des commandes. Les employeurs, heureux, offrent plus d'emploi, même avec plus de machines. Les dividendes empêchent la production d'arrêter tant que les besoins ne sont pas satisfaits. Le dividende — voilà donc, dans notre monde moderne, la meilleure assurance contre la privation. L'assurance-chômage, avec ses contributions obligatoires, diminue le pouvoir d'achat et hâte la venue du chômage. Le dividende donne de l'argent au lieu d'en enlever : il active la production, mécanisée ou non. Qui donc ose dire que le dividende du Crédit Social ferait des paresseux et appauvrirait le pays ? C'est le contraire : c'est l'absence du dividende qui fait le chômage et rouille bras et cerveaux. Le dividende active la production, en même temps qu'il assure un minimum de sécurité à tous, sans mordre sur la liberté, puisqu'il va à tous sans exception.