Un correspondant d'Arvida nous écrit que les congédiements d'employés des usines d'aluminium jettent une ombre sur les foyers de la région. C'est comme si le spectre d'avant-guerre allait faire sa réapparition.
"Aurons-nous des dividendes pour acheter la bonne production de notre pays une fois que l'on cessera de fabriquer des munitions ? demande-t-il. Ou va-t-on laisser le peuple dans ses besoins en face de produits qui attendent ou qui peuvent se multiplier, comme pendant la crise ? Si l'on revient à cette stupidité d'avant-guerre, on risque de voir éclater la révolte qui gronde déjà dans bien des cœurs."
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D'après un rapport publié dans "Metallurgia" de juillet 1944, avant la guerre, le Canada et les États-Unis produisaient en tout 547 millions de livres d'aluminium par année. Ce fut la production de 1937.
En 1941, cette production atteignait 1,030 millions de livres. En 1943, elle s'élevait à 3,374 millions de livres, soit plus de six fois la production d'avant-guerre.
Le gouvernement des États-Unis a cessé de placer des commandes d'aluminium au Canada, parce que la production des États-Unis est elle-même devenue excédentaire. L'industrie américaine a même réduit sa production d'aluminium à la moitié de sa capacité maximum. La production canadienne a, du fait, diminué d'un quart.
Mais voici que l'Angleterre, à son tour, diminue ses commandes, et la production canadienne d'aluminium devra tomber à moins de la moitié de son rendement actuel.
C'est ce que déclare une communication de la compagnie d'Arvida, pour expliquer les nouveaux renvois d'employés, le 15 novembre.
À Shawinigan, le personnel de l'aluminium a diminué. À Arvida aussi, et considérablement. Ailleurs aussi.
Quand, la "bénédiction" de la guerre menace de finir ; le monde menace de revenir à la situation absurde des privations en face de l'abondance.
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À Québec, ce sont les chantiers maritimes qui diminuent leurs activités, parce que le "bienfait" des coulages de bateaux par les sous-marins allemands a pratiquement cessé. Les figures s'allongent au lieu de se réjouir.
La compagnie Morton n'employait dans ses chantiers que 150 hommes avant la guerre. Sous l'essor de la guerre, elle poussa l'embauchage jusqu'à 2,700 salariés. Aujourd'hui, le nombre a baissé à 1,400. Et ce n'est pas la fin :
"Quiconque croit qu'il n'y aura pas d'autre mise-à-pied quand la guerre prendra fin est plus optimiste que cette compagnie," écrit Robert W. Morton, gérant des Chantiers Maritimes de Québec, Limitée.
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Sous les règlements du système actuel, les hommes qui perdent leur emploi perdent toute source de revenu.
Moins d'argent pour acheter. Et pourtant, y a-t-il pour cela moins de choses à vendre ? Lorsque cinq mille hommes cessent de faire de l'aluminium pour la guerre, lorsque mille autres cessent de construire des corvettes, y a-t-il pour cela un minot de blé de moins ou une paire de chaussures de moins dans le pays ?
Au contraire, moins il y a d'hommes employés dans les usines de guerre, plus il en reste de disponibles pour augmenter la production utile du pays. Oui, mais pour qu'ils travaillent à augmenter la production utile du pays, il faut d'abord que la bonne production actuelle trouve acheteur ; or, elle perd des acheteurs du fait que des ouvriers perdent leur emploi de guerre.
Il n'y a aucun rapport entre les réalités et les règlements qu'on impose aux consommateurs. Ce n'est pas la construction de corvettes ou d'avions militaires qui produit de la nourriture ou des habits. Mais ceux qui construisent des corvettes ou des avions ont de l'argent pour acheter la nourriture et les habits faits par les autres. Cesse cette construction de guerre, ils ne peuvent plus acheter la nourriture et les habits, et tout le monde est puni.
Ne trouve-t-on pas cet arrangement boiteux ?
Les "orthodoxes" nous disent que le pouvoir d'achat est toujours égal aux prix des produits. Qu'on le dise donc aux ouvriers mis à pied à Arvida, à Québec et ailleurs. Les mêmes prix sont devant eux, mais ils n'ont plus le même argent dans leurs poches.
Il y aurait une solution : remplacer les cadeaux de guerre aux Allemands par des cadeaux de biens utiles aux Canadiens. Les créditistes appellent cela un dividende national à tous. Mais c'est contraire aux règlements de l'orthodoxie !
Des cadeaux pour tuer, oui, ça va, et le plus le mieux, nous dit-on depuis cinq ans. Mais des cadeaux pour permettre de mieux vivre, il paraît que c'est immoral !
Quelqu'un, qui se croyait intelligent, nous disait en janvier 1939 : "Votre Crédit Social ? Allons donc ! Il n'y a rien comme une bonne petite guerre pour amener la prospérité." Il l'a eue, sa bonne petite guerre.
Mais, maintenant que la "bonne petite guerre" achève, va-t-on attendre une bonne petite révolution pour s'apercevoir qu'il y a quelque chose dans les "règlements orthodoxes" qui n'est pas en rapport avec les réalités ?