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De l'argent sans intérêt pour développer le pays

Louis Even le jeudi, 01 octobre 1959. Dans Crédit Social

Lorsqu'une municipalité construit un aqueduc, ou pose un système d'égouts, ou pave ses rues, elle crée dans le pays une richesse nouvelle, elle développe un secteur du pays. De même la construction d'écoles, d'hôpitaux, d'églises, de ponts, etc., constitue un enrichissement, un développement. De même l'ouverture de nouvelles terres à la culture, l'installation de nouvelles usines de production, etc., etc.

Deux productions possibles en même temps

La capacité moderne de production est telle qu'un pays comme le nôtre peut procéder à ces développements sans pour cela diminuer la production de ce qu'on appelle des biens de consommation : nourriture, vêtements, meubles, réfrigérateurs, moulins à laver, etc. C'est même quand on emploie des gens à construire des routes, des ponts, des écoles, des aqueducs, que l'autre production devient plus abondante, parce que les produits s'écoulent mieux.

Mais le conseil municipal qui a besoin d'un aqueduc hésite souvent, attend, remet à plus tard, alors qu'il y a bien des matériaux et bien des bras disponibles, simplement parce qu'il manque d'argent. La production courante peut mettre de l'argent en circulation, mais jamais plus qu'elle en inscrit dans ses prix. Avec l'argent distribué par la production courante, on ne peut pas payer plus que la production courante. Il faut donc d'autre argent pour mobiliser la capacité de production qui reste disponible pour les développements.

Taxer la population pour les développements, ou demander à la population d'épargner et de prêter son argent pour les développements, pouvait avoir du sens au temps où la capacité de production, plus limitée, n'était pas capable de faire les deux choses à la fois : entretenir le flot de produits courants et construire du nouveau. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Puisqu'on peut faire les deux à la fois, et que ça va même mieux quand on fait les deux à la fois, il faut pouvoir financer les deux à la fois.

Avec de l'argent nouveau

Donc, pour les développements, de l'argent nouveau. C'est ce que Douglas, fondateur du Crédit Social, exprime ainsi :

« Que les crédits nécessités pour financer la production n'aient à provenir de l'épargne, mais qu'ils soient des crédits nouveaux se rapportant à de la production nouvelle. »

D'ailleurs, lorsque les corps publics veulent absolument procéder à des développements devenus urgents, alors que la population n'a pas de quoi les payer, ils recourent à des emprunts ; et ces emprunts ne proviennent pas toujours de l'épargne. Pour l'expansion économique, il faut une expansion monétaire, il faut donc une augmentation d'argent. Et cette augmentation est de l'argent nouveau.

Or, l'argent nouveau ne provient ni du ciel, ni du sol, ni des mines, ni du gouvernement. Il provient uniquement du système bancaire.

« Le vice du système, c'est que l’argent nouveau soit traité par les banques comme leur propriété, et elles ne le mettent en circulation qu'en le grevant d'une charge d'intérêt qui crée des dettes collectivement impayables. »

Le vice du système

Il faut bien que l'argent nouveau commence à quelque part. Et comme le gros de l'argent moderne consiste en argent de comptes, en comptabilité, il est tout à fait convenable que des comptables experts, comme le personnel des banques, soient chargés de l'opération qui met au monde des crédits nouveaux, de l'argent nouveau.

Le mal, c'est que cet argent nouveau soit traité par les banques comme leur propriété, et elles ne le mettent en circulation qu'en le grevant d'une charge d'intérêt qui crée des dettes collectivement impayables.

Si vous, personnellement, étiez chargé par la société de créer, par une méthode ou une autre, l'argent nouveau dont la société a besoin, vous vous considéreriez comme un simple agent de la société, et non pas comme le propriétaire de l'argent émis par vous à la demande de la société. Vous pourriez réclamer des honoraires pour votre travail, mais pas la propriété de l'argent, pas le droit de le prêter à vos conditions, en exigeant un intérêt en rapport avec le volume de l'argent et la durée de sa circulation. L'imprimeur chargé par la Banque du Canada d'imprimer une certaine quantité de papier-monnaie pour argent de poche (moins de cinq pour cent de l'argent total) ne se considère pas comme propriétaire de ces billets. Il est payé pour son travail, mais l'argent nouveau n'est pas sa propriété et il n'en conditionne pas la mise en circulation.

Pourquoi le banquier, créateur autorisé du crédit qui sert d'argent, s'en considère-t-il comme propriétaire ? Pourquoi exige-t-il qu'on lui rapporte, après usage, plus d'argent qu'il en a livré à la circulation, alors qu'il est le seul à livrer ainsi de l'argent nouveau à la circulation ?

Le résultat de cet accaparement et de cette exigence, c'est que tout l'argent ainsi mis en circulation, à l'état de dette, doit retourner à sa source plus gros qu'il en est sorti. C'est une condition nettement impossible. Ainsi les emprunteurs de l'argent nouveau qui réussissent à extraire de la circulation, pour la banque, plus d'argent qu'ils en ont emprunté, ne le font qu'en rendant la condition plus difficile pour d'autres. Collectivement, encore une fois, c'est une situation impossible. D'où les dettes perpétuelles sur les épaules des gouvernements, des autres corps publics, des institutions, des entreprises industrielles, des commerçants, des individus. Si demain les créateurs d'argent exigeaient le rappel de tout l'argent libéré par eux, avec les intérêts accrus, tout l'argent du pays y passerait et la somme des dettes serait loin d'être éteinte.

Le Crédit Social dénonce ce système qui place l'humanité en servitude envers les créateurs d'argent. Servitude d'autant plus injustifiable que c'est la population elle-même qui, par sa compétence, son travail, son savoir acquis, l'exploitation des richesses naturelles de son pays, donne de la valeur à l'argent, quelles que soient la nature et la forme de cet argent.

Ce système est faux, frauduleux et en désaccord avec la réalité économique. Le vol peut être légalisé par les privilèges ainsi consentis aux banques, mais il reste quand même le vol d'un bien qui appartient fondamentalement à la société elle-même.

Pour de l'argent sans intérêt

C'est pourquoi les créditistes demandent que les développements du pays soient financés par de l'argent sans charge d'intérêt. La Banque du Canada, propriété des Canadiens, devrait être l'organisme chargé d'y voir. Elle pourrait très bien s'entendre avec les banques à charte pour cette opération, moyennant compensation pour leurs services, évitant ainsi d'avoir à établir ses propres succursales partout. La technique est affaire de choix en vue de l'efficacité. Mais ceux qui développent le pays ne doivent pas être punis pour le service qu'ils rendent à la nation.

Les développements nouveaux ne doivent pas obliger la population à les payer à ceux qui ne les font pas. Mais que ces développements soient financés par des crédits nouveaux ; que ces crédits nouveaux soient des prêts sans intérêts ; que les remboursements ne comprennent que le montant du prêt, échelonnés sur un nombre d'années correspondant à la durée prévue des projets réalisés, on aura alors une finance en accord avec les réalités, en même temps qu'un service au lieu d'une dictature.

Il est inadmissible d'avoir à payer une école 1.000.000 $ quand sa construction a coûté 600.000 $. Les 600.000 $ aux fournisseurs de travail, des matériaux, de la conduite des travaux, etc., sont justes. Mais pourquoi les 400.000 $, ajoutés rien que pour avoir obtenu du système financier la permission de construire ?

Pourquoi une église, dont la construction coûte 2.000.000 $, aura-t-elle été payée plus de 4.000.000 après le trentième ou quarantième versement annuel ?

Pourquoi la construction d'un hôtel de ville coûtant 800.000 $ pour les constructeurs, doit- elle en plus donner 700.000 $ au système de finance ?

Pourquoi une municipalité doit-elle payer son aqueduc trois fois et demie : une fois à ceux qui l'ont construit, et deux fois et demie au système de finance ?

Et que d'autres ! Toutes les municipalités, toutes les commissions scolaires, toutes les fabriques paroissiales, tous les hôpitaux peuvent vous fournir des exemples de cet ordre. Les gouvernements aussi. Et l'industrie aussi. Quand il s'agit de corps publics, la servitude aux financiers se paie par des taxes qui ne donnent rien à la population, ajoutées aux taxes qui peuvent lui fournir des services. Et quand il s'agit de l'industrie, la servitude envers le système financier se paie dans les prix, une partie seulement du prix servant à payer le produit reçu, et l'autre partie n'étant qu'un tribut au système avec rien en retour.

N'est-il pas temps de mettre fin à ce vol ? On fulmine contre l'inflation qui fait monter les prix — et on a raison. Mais où l'inflation commence-t-elle, sinon dans ces charges d'intérêts imposées à ceux qui produisent ?

Des prêts sans intérêt

Lorsque les créditistes abordent les échevins, leurs maires ou d'autres hommes publics pour les inviter à demander des prêts sans intérêt pour financer des projets physiques, il leur arrive parfois d'entendre l'objection : « Comment cela, je ne pourrais plus prêter mon argent profitablement ! »

Faisons d'abord une distinction entre l'argent gagné (c'est le cas de l'objecteur) et l'argent nouveau (la création de crédit par les banques). Dans le premier cas, le possesseur de l'argent gagné peut en faire ce qu'il veut : s'en servir pour acheter, ou le déposer à sa caisse populaire ou à sa banque, ou le cacher sous son matelas, ou le donner à des œuvres, ou le prêter à qui veut bien lui en emprunter, et aux conditions convenues librement par eux. Mais dans l'autre cas, celui de l'argent nouveau, ce n'est pas de l'argent gagné par celui qui le crée ; il ne lui appartient pas ; de quel droit veut-il en tirer de l'intérêt ?

L'argent, d'ailleurs, n'a pas été inventé pour faire d'autre argent. La fécondité de l'argent, chose antinaturelle, devenue pour le capitalisme financier un dogme sacré, a empoisonné la vie économique. Elle a fait de la finance une fausse représentation des réalités. Elle a fait des activités économiques la poursuite de l'argent, au lieu de la poursuite propre à répondre aux besoins. Elle a fait de la production une servante de la finance quand le contraire devrait avoir lieu. Elle a fait du citoyen un taxé, un endetté quand ce n'est pas un totalement dépouillé, un déraciné ou un tueur face à d'autres tueurs dans des guerres dont les financiers sont les seuls gagnants. v

(Article publié pour la première fois dans Vers Demain du 1er octobre 1959.)

Louis Even

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