EnglishEspañolPolskie

Crédit Social et autonomie

Louis Even le dimanche, 01 octobre 1944. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Léopold Richer écrivait dans "Le Devoir" du 20 septembre :
"L'Alberta, depuis qu'elle est devenue créditiste, est franchement autonomiste."
Pourquoi est-ce depuis qu'elle est devenue crédi­tiste que cette province est franchement autono­miste? Pourquoi, sinon parce que la philosophie créditiste est essentiellement décentralisatrice.
L'autonomie sur toute la ligne
Qu'est-ce que l'autonomie? C'est le droit de s'ad­ministrer soi-même, de se faire ses propres lois, ses propres règlements.
Le Crédit Social est pour l'autonomie, non seu­lement de la province, mais aussi de la municipali­té, de la famille, de la personne, évidemment cha­cune dans son ordre, chacune dans sa juridiction.
C'est même cela qui fait la grande différence, la différence énorme entre le Crédit Social et les di­verses formes de socialisme. Les deux veulent une réforme qui assure la sécurité économique, la sa­tisfaction des besoins temporels; mais le Crédit Social veut que chaque personne conserve le droit de disposer d'elle-même, tandis que le socialisme fait des plans pour que l'État dispose des per­sonnes.
Autonomie et discours
Dans notre province, il est assez coutumier de revendiquer le respect de l'autonomie provinciale. On a même au pouvoir à Québec, aujourd'hui, un parti politique qui se déclare grand champion de l'autonomie provinciale. Nous nous en réjouissons. Mais servira-t-il beaucoup de sonner du clairon autour de l'autonomie provinciale, si l'on accepte dans la pratique un régime financier qui par sa na­ture est essentiellement centralisateur? Et si les rè­glements, les décrets du régime financier centrali­sateur dominent toute vie économique, les discours les mieux étayés, les efforts les plus sincères n'a­boutiront pas à grand'chose.
Partez de la personne. Dites à la personne qu'on lui reconnaît le droit de disposer d'elle-même, d'or­ganiser elle-même sa propre vie, de choisir sa car­rière, d'accepter ou de refuser les conditions de travail qu'on lui offre. Tout cela est très bien. Mais si cette personne ne possède aucun titre aux pro­duits qui lui permettent, de vivre sur la terre, et si pour obtenir des titres aux produits elle doit pas­ser par des conditions contraires à sa volonté, tou­te l'autonomie que vous lui avez reconnue devient un vain mot.
Montez à la famille. Appelez la famille la cellule essentielle de la société. Dites aux parents qu'ils sont les maîtres chez eux. Rappelez à qui voudra vous entendre que la famille doit pouvoir s'épa­nouir. Tout cela est fort beau. Mais, s'il n'y a rien sur la table, et si les droits aux produits ne sont pas en rapport avec le nombre de bouches à nour­rir, mais en rapport avec un travail imposé, à des conditions imposées, toute votre autonomie fami­liale va à l'eau.
L'autonomie provinciale
Il n'en vas pas autrement pour l'autonomie pro­vinciale. Nous avons certainement, nous de la pro­vince de Québec, un pays riche de choses et riche de population, riche aussi d'idéal. Mais, lorsque des dizaines de mille jeunes gens et presque autant de pères de familles étaient réduits à se priver de tout en face de richesses inutilisées, pendant les dix années inoubliables de 1929 à 1939, où était l'auto­nomie provinciale? Où était le droit pour la provin­ce de faire ses propres lois pour mettre la richesse de la province à la disposition des citoyens de la province?
Qu'est-ce qui s'opposait à placer les produits du sol, de la forêt, des rivières, de la mer et des mines, au service des familles dénuées des choses les plus essentielles? Qu'est-ce qui entravait cette action de la part du gouvernement : l'hygiène, la morale, la religion, ou bien le manque d'argent?
Voici une province avec des produits capables de satisfaire les besoins de deux fois ses trois mil­lions d'habitants. Sur ces trois millions, deux mil­lions vivent plus ou moins modestement, l'autre
million reste dans les privations. Si la province n'a pas le droit de faire une loi pour que le troisième million tire sur la production accumulée suffisante pour plus que le total de la population, où est l'au­tonomie de la province?
Si la province ne peut atténuer la situation qu'en prenant sur la part des deux millions pour donner quelque chose au troisième million, tout en laissant se gaspiller la surabondance qui attendait, où est l'autonomie de la province?
Une question d'argent?
Vous en faites une question d'argent, nous dira-t-on.
Ce n'est pas nous qui en faisons une question d'argent, c'est le système qui en fait une question d'argent. Si le gouvernement chargé du bien com­mun n'avait à faire face qu'aux réalités — aux biens en face des besoins, — ce ne serait pas une question d'argent, mais une question d'hommes et de choses. La solution serait facile.
Mais les règlements de la finance compliquent toute la situation et paralysent les gouvernements les plus férus d'autonomie provinciale. Les hom­mes sont là. Les besoins sont avec les hommes, par­ce que le Créateur l'a voulu ainsi. Les produits sont en face des hommes parce que la Providence et les producteurs y voient. Mais, entre les produits et les besoins, d'après un règlement reçu, il faut l'ar­gent. Or, la présence ou l'absence d'argent ne dé­pend ni du Créateur ni des producteurs.
Et tant qu'un gouvernement sera aux prises avec l'absence d'argent, sans le droit ou sans la volonté d'y voir, l'autonomie n'existe ni pour le gouverne­ment paralysé, ni pour la famille privée, ni pour l'individu qui acceptera n'importe quoi pour ne pas mourir de faim.
Qui est-ce qui fait de l'autonomie provinciale une question d'argent? Est-ce que toutes les luttes autour de l'autonomie provinciale, sous un régime qui n'est point du tout créditiste, ne pivotent pas sur le droit de taxer et de conditionner les distri­butions des fonds ainsi prélevés?
Le fédéral n'intervient pas dans notre pratique de la religion, dans nos programmes scolaires, dans notre manière de parler, de prier ou de chanter, de construire nos maisons, de cultiver nos fermes, d'é­riger nos clôtures. Nous ne nous plaignons de rien de cela.
Mais qu'il s'agisse d'assurance-chômage, d'assu­rance-maladie, d'impôt sur le revenu, de tout ce qui entraîne le pompage d'argent, là commencent les difficultés, et l'on crie : Autonomie provinciale!
L'attitude créditiste
Si le Crédit Social a rendu l'Alberta autonomis­te — nous ne disons pas autonome, parce que le Crédit Social n'est pas encore appliqué même en Alberta — c'est parce que le Crédit Social veut jus­tement la démocratisation de l'argent et non sa concentration; parce qu'il réclame bien plus un gouvernement qui distribue l'argent qu'un gouver­nement qui extrait l'argent.
Si le gouvernement fédéral n'intervenait dans les provinces que pour leur remettre de l'argent, sans leur imposer la manière de l'employer, dirait-on qu'il empiète sur l'autonomie provinciale?
Et si les gouvernements provinciaux distribu­aient de l'argent aux familles selon les besoins en face des biens, sans imposer des conditions à la fa­mille pour l'usage de cet argent, est-ce que la fa­mille ne pourrait pas commencer à goûter l'auto­nomie?
Mais un régime créditiste ferait-il cela?
C'est bien de cette manière que les chefs crédi­tistes canadiens conçoivent l'exercice des préroga­tives fédérales sur la régie de l'argent et du crédit.
Au gré des provinces elles-mêmes
Si nous avions un gouvernement créditiste à Ot­tawa, il verrait à ce que les émissions d'argent ou de crédit soient en rapport avec les produits en face des besoins. Mais, au lieu d'employer lui-même ces émissions, il les distribuerait en blocs aux gouver­nements provinciaux, proportionnellement aux po­pulations des provinces, laissant les gouvernements provinciaux libres d'en disposer à leur gré.
Un gouvernement provincial créditiste ferait sans doute cette distribution de la manière créditis.te : dividendes directs ou indirects. Un gouverne­ment provincial C.C.F. pourrait préférer enrégi­menter ses citoyens et distribuer les émissions en salaires pour des entreprises publiques.
L'autonomie provinciale serait respectée. Quant à l'autonomie de la famille et de la personne, elle serait respectée dans les provinces créditistes; elle serait ignorée dans les provinces socialistes. C'est au peuple de chaque province à voir à ses propres destinées.
Quant aux taxes, sous un régime créditiste, elles n'ont leur raison d'être que pour assainir le pou­voir d'achat, pour enlever des excédents là où il y en a, là où ces, excédents cancérisent l'économie. Ce n'est plus une opération douloureuse, mais un traitement bienfaisant.
Responsabilités respectives
Dans un régime bien compris, où l'argent ne conduit plus et ne domine plus, c'est en bas, et non en haut, que se font les administrations de détail.
Dès que la famille peut faire une chose elle-mê­me, pourquoi faudrait-il que le gouvernement mu­nicipal, provincial, ou fédéral intervienne? Et que ne peut pas faire la famille pour solutionner ses propres problèmes, lorsque l'argent n'est plus l'obs­tacle?
Lorsque la province peut faire une chose elle-même, pourquoi faudrait-il que le fédéral inter­vienne? Et que ne peut faire une province avec toutes ses ressources en hommes et en choses, lors­que l'argent n'est plus un obstacle?
La principale fonction d'un gouvernement supé­rieur, c'est d'enlever les obstacles, pour que les ad­ministrations inférieures puissent elles-mêmes voir à leurs affaires. Le principal obstacle est d'ordre financier, et c'est la principale fonction du fédéral de faire disparaître cet obstacle. Cela fait, ses in­terventions ne seront pas souvent requises.
Nous lisions un jour dans le Social Crediter, que la principale mission d'un député fédéral au Cana­da ne devrait pas être de faire des discours sur les systèmes, sur l'économie, sur les techniques, sur les méthodes. Sa principale mission devrait être de di­re au gouvernement d'Ottawa : Mêlez-vous donc de vos affaires et laissez les provinces se mêler des leurs.
Les créditistes comprennent cela, parce que, pour les créditistes, l'obstacle financier n'a pas sa raison d'être. Quant aux obstacles physiques, aux obstacles de production de biens et de services, ils n'existent pratiquement pas en temps normal. L'administration d'une province devient donc une chose aisée qui peut se passer du fédéral.
Une suggestion
Si l'Honorable Duplessis veut réellement une province autonome, qu'il jette un coup d'oeil vers le Crédit Social, nous serons des plus heureux de l'appuyer. Des milliers et des milliers de créditistes de la province de Québec seront heureux de l'ap­puyer. L'appuyer, pour réclamer du fédéral un sys­tème financier en rapport avec les faits. L'appuyer, pour l'établissement dans la province de Québec de succursales du Trésor Provincial qui permettraient des réalisations, comme en Alberta, en attendant que la conquête d'Ottawa soit achevée.
Ce serait le meilleur moyen pour son gouverne­ment d'obtenir des renouvellements de mandat sans avoir à mendier l'appui des trusts. Comme en Alberta où, le 8 août dernier, le gouvernement cré­ditiste recevait un nouveau mandat pour la troi­sième fois consécutive en neuf ans.
LOUIS EVEN

Louis Even

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com