Le mardi, 4 avril, à neuf heures du matin, s'ouvrait, à la Salle Tudor de l'hôtel Royal-York, de Toronto, une Convention des créditistes de tout le Canada. Elle dura trois jours.
C'est la première Convention Nationale du mouvement créditiste. Huit provinces sur neuf y avaient des représentants. De l'ouest à l'est :
Colombie-Britannique 5 délégués
Alberta 42 délégués
Saskatchewan.. 4 délégués
Manitoba........................ 10 délégués
Ontario 22 délégués
Québec....................... 44 délégués
Nouvelle-Ecosse 1 délégué
Nouveau-Brunswick 2 délégués
Au total, 130 délégués. Cependant, l'Alberta n'avait droit qu'à 17 votes, parce qu'il ne s'y trouve que 17 comtés fédéraux. Il n'y avait donc que 103 délégués avec droit de vote.
La plus forte délégation fut celle de la province de Québec. Sur les 44 délégués de cette province, 42 étaient accrédités par l'organisation formée autour du journal Vers Demain, l'Union des Électeurs Créditistes.
La Convention choisit l'honorable Lucien Maynard pour occuper le fauteuil présidentiel. L'honorable Maynard est un Canadien français de l'Alberta, ministre, procureur-provincial dans le cabinet de cette province.
Du commencement jusqu'à la fin, les deux langues — le français et l'anglais — ont été sur un pied d'égalité, chacun parlant dans la langue qui lui convenait et chacun obtenant dans sa propre langue les explications qu'il désirait.
Toutes les pièces — motions, amendements, résolutions, constitution, plateforme, formules de nominations — étaient produites, séance tenante, dans les deux langues, au moins verbalement.
D'ailleurs, l'entente la plus parfaite a régné du commencement à la fin sur le but à atteindre : l'instauration d'un régime créditiste, la soumission de la finance à l'homme pour remplacer la soumission de l'homme à la finance. Ce qui n'a pas empêché chacun de faire valoir son point de vue, même avec véhémence, sur les grandes lignes de conduite à prendre pour y mieux arriver.
Tout ce qui n'était pas du Crédit Social proprement dit a été écarté avec soin. Pas une note impérialiste, pas une allusion religieuse ou raciale n'a terni les discussions au cours des trois journées.
La matinée du mardi fut occupée par l'enregistrement des délégués ; l'ouverture officielle par M. Hansell, président du Comité qui avait préparé la Convention ; le chant Ô Canada ; la nomination de l'Honorable Maynard comme président de la Convention, et le choix des membres des divers comités.
Un délégué de chaque province représentée siégeait dans chaque comité. Les comités suivants furent constitués pour la durée de la Convention : Comités des créances, de l'agenda, de la constitution, de la plateforme, des résolutions et des nominations.
L'après-midi du mardi, après une courte, mais magnifique causerie de M. Ralph Duclos sur la philosophie du Crédit Social, une motion fut présentée, sous forme de résolution, pour voter la formation d'une organisation politique en vue de placer des candidats créditistes dans tous les comtés fédéraux qui le désireraient.
Une longue discussion s'engagea immédiatement, les délégués de la province de Québec et quelques autres craignant une action politique prématurée.
La discussion dura toute l'après-midi, et aucune décision n'avait été prise lors de l'ajournement.
Le lendemain, mercredi, M. Armand Turpin, de Hull, présenta, au nom de la délégation de la province de Québec, un amendement mitigateur, pour la formation d'une organisation politique qui préparerait et aiderait l'électorat à présenter des candidats créditistes.
Le débat dura toute la matinée, et fut très vif des deux côtés. Il y eut de la poudre dans l'air, surtout lors d'une passe d'armes entre l'honorable Manning, premier-ministre de l'Alberta, et M. Louis Even, directeur du mouvement dans la province de Québec.
On appela enfin le vote sur l'amendement, et le vote fut pris au scrutin secret. À midi, l'amendement était déclaré battu par quelques voix : 47 pour l'amendement et 53 contre l'amendement.
On était rendu exactement au milieu des trois jours alloués pour la Convention.
À deux heures de l'après-midi de ce deuxième jour, la motion principale revenait devant la Convention et la délégation de notre province s'y rallia tout entière. La motion fut adoptée à l'unanimité ; mais la délégation du Québec avait assez clairement fait connaître son attitude pour que l'organisation politique qui découlerait de l'adoption de la motion demeurât dans certaines lignes où il serait possible et facile de collaborer. Ce qui arriva.
C'est en effet, une organisation politique nationale du Crédit Social qui prenait naissance le mercredi, 5 avril 1943, par la volonté unanime des délégués présents à la Convention de Toronto.
Une organisation politique — pas pour cela un parti politique. La formation politique établie à Toronto diffère essentiellement de tout parti politique, ancien ou nouveau.
Ce n'est pas un parti politique, dont les adhérents s'engagent à unir leur vote sur toutes les questions, même à l'encontre de la volonté de leurs électeurs, afin de conquérir et garder le pouvoir. C'est une formation politique spécifiée, correspondant à une ligne de force, à une idée-maîtresse, le Crédit Social. Les membres de ce groupement politique s'unissent sur la question qui les associe, pas nécessairement sur toutes les autres.
Cette organisation politique nouvelle a pris, par un vote unanime, le nom de :
En anglais :
Social Credit Association of Canada (S.C.A.C)
En français :
Association Créditiste du Canada (A.C.C.)
* * *
Les pièces maîtresses de toute organisation politique sont : une constitution, un programme (plateforme), une direction.
De quoi est constituée l'Association Créditiste du Canada, et quelles sont les attributions et les responsabilités des éléments qui la composent ?
Tout cela est exprimé en très peu de termes. La constitution de l'Association Créditiste du Canada est brève. Pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'elle s'en tient à des principes directeurs. Puis parce qu'elle maintient un respect absolu des organisations provinciales.
C'est une Association. Elle associe des organisations provinciales. Les décisions à prendre dans les provinces sont prises par les organisations provinciales elles-mêmes. Les méthodes à employer dans les provinces relèvent des organisations provinciales elles-mêmes.
Il y a évidemment une tête fédérale, puisque l'Association est d'ampleur nationale.
Cette tête consiste en un chef national, qui assume en même temps la fonction de président du bureau de direction.
Le chef national est assisté d'un vice-président. À eux deux, le chef national et le vice-président constituent l'exécutif de l'Association Créditiste du Canada. Ce sont les deux seuls personnages élus par la Convention.
L'exécutif a la responsabilité d'exécuter les désirs qui lui sont exprimés par la bureau de direction.
Quant au bureau de direction, lui est responsable de faire suite aux décisions de la Convention Nationale.
C'est donc le service : ceux d'en haut servant ceux qui sont en bas, comme dans l'Église de Dieu. L'exécutif est le serviteur du bureau de direction ; le bureau de direction est le serviteur de la Convention, c'est-à-dire, de tous les créditistes du Canada, représentés à la Convention par leurs délégués.
Mais de quoi est composé le bureau de direction ? Il est composé :
du chef national ;
du vice-président national ;
d'un délégué de chacune des organisations provinciales accréditées.
Il n'y a donc, sur le bureau de direction, que deux personnages nationaux, et c'est pour cela que la Convention n'en a élu que deux.
Les autres membres du bureau de direction sont les organisations provinciales elles-mêmes, représentées chacune par un délégué qu'elles députent elles-mêmes à chaque convocation du bureau de direction.
Ainsi, supposons qu'à une résolution du bureau de direction, une proposition soit acceptée par les délégués des sept organisations provinciales, mais rejetée par les délégués des deux autres. Les deux organisations provinciales qui, par leur délégué, ont rejeté la proposition, ne sont pas du tout obligées de s'y conformer. D'autre part, les sept autres ont parfaitement le droit de s'y conformer, même de prendre de concert entre elles des mesures pour y arriver.
Dans l'Association Créditiste du Canada, il s'agit donc bien d'une fédération, d'une association, et non d'une union, d'une fusion.
Si la confédération canadienne procédait sur une base analogue, on n'aurait pas à déplorer tant de discordes sur la question de l'effort de guerre, de l'immigration, et d'autres aussi brûlantes. Chaque province resterait libre de rejeter la décision de la majorité, et la majorité resterait libre de faire ce qui lui semble désirable, mais seulement dans les provinces qui s'y sont ralliées.
Les créditistes ne font donc pas rien que parler de principes, ils y conforment leurs actes. Ils bâtissent leur organisation nationale sur ces principes. C'est pourquoi la Convention a été un si beau succès. C'est pourquoi, si le mouvement créditiste gagne tout le Canada, si l'Association Créditiste devient pratiquement le Canada, les provinces auront retrouvé leur autonomie complète. C'est le Crédit Social, et non les discours de Duplessis ou des bloquistes, qui fera des provinces autonomes et un État fédéré.
Les Créditistes ont tous réalisé que leur Association n'existe pas pour diminuer les associés, mais pour permettre à chaque groupe individuel, à chaque personne de mieux poursuivre ses propres aspirations.
C'est tout le sens du Crédit Social : le crédit de l'Association au service des membres de l'Association, et non pas les membres sacrifiés à un contrôle central.
Cette constitution — véritable chef-d'œuvre — a été votée par la Convention, après avoir été présentée par le comité de la Constitution, où siégeait mademoiselle Gilberte Côté ; nous croyons que les créditistes de chez nous sauront y reconnaître sa main. Le président du comité, M. Kennedy, et les autres membres acceptèrent d'emblée les principes exposés par Mlle Côté.
La "plateforme", ou mieux le programme propre à l'Association Créditiste du Canada est lui aussi très court — si court qu'il pourrait tenir sur le revers d'une feuille ordinaire de papier-buvard.
Mais, s'il est court, parce que c'est un programme spécifié et non pas un syllabus de parti, il embrasse beaucoup par sa portée. Il décalque sur tout, parce que c'est le programme du Crédit Social.
C'est le simple programme de la liberté et du pain quotidien. De la liberté de la personne et de sa sécurité économique.
Le programme rédigé par le Comité du programme et adopté par la Convention est tout entier emprunté à l'œuvre de Douglas.
Il relève d'abord les deux grandes philosophies politiques qui s'affrontent : la philosophie de la contrainte et la philosophie de la persuasion.
Et le programme créditiste opte pour la philosophie de la persuasion. C'est le seul programme politique de ce genre. Tous les autres groupements politiques cherchent le pouvoir pour contraindre, pour décider ce qu'il faut commander aux administrés et leur imposer sous peine de sanctions.
Le programme créditiste est tout autre. Il enlève les obstacles et laisse aux individus et aux groupements le choix de leur propre voie, tant qu'ils n'imposent pas eux-mêmes leur voie aux autres. Au lieu d'embauchage intégral et de plans d'enrégimentation ou de service sélectif, le programme créditiste parle de dividende, de distribution facile et directe de la richesse du pays aux familles du pays.
Le programme officiel de l'Association Créditiste du Canada réaffirme sa croyance à la possibilité d'établir une véritable démocratie politique et économique, moyennant l'adoption des trois grandes demandes du Crédit Social :
1. Un système de comptabilité nationale pour computer de temps en temps l'accroissement de la richesse réelle du Canada ;
2. Un dividende national périodique à chaque homme, femme et enfant du Canada, dividende augmentant avec l'augmentation de la richesse réelle du pays ;
3. Un ajustement des prix de détail, pour sauvegarder le profit légitime du producteur tout en abaissant le prix de vente au niveau du pouvoir d'achat général, de façon à éviter toute inflation comme toute déflation.
Le programme officiel de l'Association Créditiste du Canada se termine par une clause restrictive pour protéger la liberté de l'individu.
Cette clause déclare simplement que, en dehors de ce programme bien déterminé, les membres de l'Association Créditiste restent entièrement libres de leurs opinions et de leurs actes.
C'est du coup tuer tout ce qui constitue le parti politique proprement dit.
Les journaux qui présentent l'Association Créditiste du Canada comme un parti nouveau, n'ont pas du tout saisi cette distinction, pourtant bien tranchée. Des députés créditistes au Parlement seraient ensemble sur ce qui concerne le Crédit Social proprement dit, sur ce qui est contenu dans le programme officiel de l'Association, mais pas nécessairement sur tout le reste. Leur vote serait donc parfaitement libre sur les autres questions.
Répétons-le : notre Association Créditiste est une formation politique spécifiée, et non pas un parti politique. Il faudra le ré-expliquer bien souvent, parce que c'est du nouveau. C'est du nouveau au Canada, et sans doute dans le monde entier. Ce qui a été réalisé à Toronto dépasse de beaucoup ce que les observateurs ordinaires sont habitués à voir.
C'est le dernier jour de la Convention — jour de joie, égayé de chants, de fraternisation entre tous les groupes créditistes du Canada, qu'a eu lieu la double élection. L'élection d'un chef national. L'élection de son assistant, le vice-président national.
Les deux plus grosses délégations à Toronto étaient la délégation du Québec et la délégation de l'Alberta. C'était presque naturel que l'un des chefs sortît de l'une des délégations, l'autre chef de l'autre.
De plus, la délégation de l'Alberta et celles des autres provinces, sauf Québec, représentaient surtout l'élément de langue anglaise du pays ; la délégation du Québec représentait l'élément de nationalité française.
Il semble providentiel que le Crédit Social se soit ainsi répandu en Nouvelle-France, pour préparer le monde de demain ; le monde créditiste, dans lequel, au Canada, les deux races se donneront la main sur un pied d'égalité.
Le chef élu l'a été à l'unanimité. C'est l'Honorable Solon Low, actuellement Trésorier provincial et ministre de l'Éducation dans le cabinet provincial de l'Alberta. C'est un homme de 44 ans, connaissant bien le Crédit Social, entré dans la politique active en 1935 avec l'avènement d'un gouvernement créditiste à Edmonton, ministre depuis ce temps-là, donc déjà versé dans l'administration, affable, à l'esprit ouvert, et qui, dès son premier discours de chef, sut placer quelques phrases en français d'une prononciation parfaite.
Le vice-président, également élu à l'unanimité, n'a pas besoin d'être présenté aux créditistes de Nouvelle-France, puisque c'est notre cher et bien-aimé monsieur J.-Ernest Grégoire, avocat, ancien député provincial, ancien maire de Québec, professeur d'économie politique à l'Université Laval, mais surtout connu aujourd'hui comme propagandiste et défenseur de la cause créditiste.
C'est à la fois une grande charge et un bel honneur que ce choix confère à Monsieur Grégoire. Il est ainsi élevé à la seule fonction nationale, outre celle du chef, dans l'Association Créditiste du Canada.
Il est l'assistant du chef. Il est le deuxième des deux seuls membres de l'exécutif national de l'Association créditiste du Canada.
De Halifax à Vancouver, tous les créditistes auront maintenant deux noms à la bouche : Solon Low et J.-Ernest Grégoire. Et ce dernier nous est si doux, à nous, créditistes de Nouvelle-France.
Nous exprimons nos plus sincères félicitations à M. Grégoire, et nous lui souhaitons succès complet dans la conduite nationale du mouvement qu'il partage avec le chef et président.
Comme nous l'avons expliqué sous le sous-titre de la Constitution, le conseil de direction se compose des deux officiers nationaux et d'un délégué de chaque province, ce délégué étant nommé par l'organisation provinciale accréditée là où il y en a une.
Pour la première réunion du bureau de direction qui a eu lieu dès le lendemain de la clôture de la Convention, donc le 7 avril, les délégués au bureau de direction avaient été choisis par les délégations respectives des huit provinces représentées.
La réunion a eu lieu à l'hôtel King Edward. Siégeaient à ce conseil :
M. Solon Low, leader national et président ; M. J.-Ernest Grégoire, vice-président ;
Délégués des organisations provinciales M. Lougheed, pour la Colombie-Britannique ;
M. R. D. Jorgenson, pour l'Alberta ;
Mme Pearl Johnston, pour la Saskatchewan ;
Mlle S. S. Johnson, pour le Manitoba ;
M. Robert Dawson, pour l'Ontario ;
M. Louis Even, pour la province de Québec ;
M. Armand Grondin, pour le Nouveau-Brunswick
M. Murphy, pour la Nouvelle-Écosse.
Cette liste fait voir concrètement en quoi consiste l'organisation politique établie par la Convention de Toronto. Une Association. Les associés sont les organisations provinciales. Chacune d'elles siège par un délégué à chaque séance du bureau de direction. Et l'exécutif consiste dans les deux hommes élus par la Convention : le chef national et le vice-président national.