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Contre les taxes, pour le dividende

Louis Even le jeudi, 01 février 1968. Dans Dividende

Tous capitalistes, tous héritiers

Une économie généreuse comme l’économie spirituelle de l’Église

Vous avez peut-être vu dans votre région des pancartes, avec l’inscription: Contre les taxes, pour le dividende. Ce sont des pancartes créditistes; et je crois qu’elles expriment un sentiment que tout le monde partage.

Les taxes, vous le savez trop bien, sont de l’argent pris dans votre porte-monnaie par les municipalités, par les commissions scolaires, par le gouvernement provincial, par le gouvernement fédéral. Il y en a qui sont prises dans l’enveloppe de paye du travailleur; d’autres, comme les taxes de vente, sont ajoutées au prix des choses que vous achetez; d’autres ont pu être payées d’abord par le manufacturier ou par les intermédiaires, et sont incluses dans les prix de vente que tout le monde paie. Personne n’aime les taxes pour lui-même; elles enlèvent du pouvoir d’achat, et le taxé ne peut pas se procurer autant de produits que si la taxe n’existait pas.

Et le dividende, lui ? C’est tout le contraire; c’est de l’argent mis dans le porte-monnaie. Argent pas attaché au travail de celui qui le reçoit, mais au capital qu’il a placé dans une entreprise. L’entreprise paie les ouvriers pour leur travail, et cela s’appelle salaire. Mais elle paie aussi le capitaliste qui a mis ses fonds dans l’entreprise, même si ce capitaliste ne fait rien, même s’il est à se promener aux Bermudes pendant que les ouvriers font profiter ce capital par leur travail. La paie au capitaliste s’appelle dividende. S’il travaille en même temps lui-même dans l’entreprise, il touche deux revenus: le salaire dû à son travail et le dividende dû à son capital. Personne ne nie le droit du capitaliste à un dividende proportionné à son capital placé dans l’entreprise.

Tous capitalistes

Eh bien, le Crédit Social enseigne que nous sommes tous des capitalistes, et que nous avons donc tous droit à un dividende périodique, que nous soyons salariés ou que nous soyons sans emploi.

Pour comprendre cela, il faut d’abord reconnaître d’autre capital que le seul capital-piastres. Si vous mettez à la disposition d’une manufacture une propriété qui vous appartient, ou une invention de vous, ce n’est pas de l’argent, mais c’est quand même un capital réel, qui permet à la manufacture de faire quelque chose grâce à votre propriété ou à votre invention. Et vous avez certainement droit, n’est-ce pas, d’en attendre une récompense, même si vous n’y travaillez pas personnellement, même si ce sont d’autres qui font votre propriété ou votre invention produire des résultats.

Justement, le Crédit Social soutient, et personne ne peut nier, qu’il y a dans la production autre chose que des piastres et du travail d’ouvriers. Si la production moderne fournit des choses plus vite et en plus grande abondance qu’autrefois, ce n’est pas parce que les ouvriers travaillent plus longtemps ou plus dur. C’est le contraire qui est vrai. Leurs semaines d’emploi sont plus courtes, leur travail moins pénible, surtout là où il y a des machines perfectionnées et des moteurs pour les faire marcher.

Supprimez ces machines modernes, supprimez les procédés techniques modernes de production, quand même l’ouvrier travaillerait plus dur et plus longtemps, quand même le bailleur de fonds y mettrait plus de piastres, le rendement serait beaucoup plus lent et beaucoup plus petit.

Le gros de la production moderne est donc dû au perfectionnement des moyens de production, aux machines de plus en plus efficaces, à l’énergie motrice de plus en plus abondante, à la science appliquée au progrès.

Et là nous y sommes. Qui est propriétaire de ces perfectionnements accomplis d’une génération à l’autre ? Qui est propriétaire des inventions qui se sont succédé, l’une servant de marche vers une autre plus parfaite ? Qui est propriétaire de la science appliquée ? Qui est propriétaire du progrès — le plus grand facteur de production, le principal capital réel de la production moderne ?

Le Crédit Social répond: C’est tout le monde de la génération actuelle qui est propriétaire héritier de ce que nous ont légué les générations précédentes. C’est là un capital communautaire. Personne vivant aujourd’hui ne peut dire: «C’est à moi, tout cela. C’est moi qui ai inventé la roue, le levier. C’est moi qui ai inventé la machine à vapeur. C’est moi qui ai trouvé le moyen de faire de l’électricité avec des chutes d’eau». Pas plus qu’il ne peut dire: «C’est moi qui alimente ces chutes d’eau en évaporant l’eau des mers et des lacs et en la condensant en pluie». Pas plus qu’il ne peut dire: «Moi encore qui ai inventé les moteurs à explosion qui permettent à des automobiles de rouler sur toutes les routes et à des avions de sillonner les cieux. Moi qui ai mis la chimie au service de l’industrie». Non, non. Tout cela est le fruit progressif des générations de chercheurs, d’inventeurs, d’ingénieurs, d’artisans, et de l’existence de forces naturelles qui sont un don de Dieu pour tous.

C’est là un immense héritage dont personne n’est le propriétaire exclusif, et dont tout le monde est cohéritier. Donc, tout le monde doit en tirer quelque chose. Tout le monde doit en retirer un dividende, dans la mesure de plus en plus grande où ce capital communautaire devient productif.

Tout le monde ? — Mais oui, puisque c’est un bien général, dont personne ne peut réclamer la propriété exclusive.

Mais ce serait de l’argent pas gagné ! Pas gagné, en effet, au même titre que le salaire accordé à l’ouvrier; mais dû quand même au même titre que le dividende au capital-piastres.

Tous héritiers

J’ai écrit tout à l’heure les mots héritage, héritiers. Vous savez tous ce qu’est un héritier. Voici un père qui laisse à son fils, en héritage, une propriété ou une somme d’argent. Le fils n’a peut-être jamais travaillé sur la propriété du père. Il n’a peut-être jamais gagné personnellement un sou de sa vie. Va-t-on pour cela lui nier le droit à l’héritage de son père, sous prétexte qu’il ne l’a pas gagné ? — Non, on dira: Son père l’a gagné pour lui, il y a droit. Et la loi protège son droit à cet héritage.

De même, le grand facteur de production moderne, la science appliquée, le progrès, n’a été gagné ni par vous ni par moi. Mais il a été gagné pour vous comme pour moi, par les générations qui nous ont précédés et nous l’ont transmis, tout comme notre génération le transmettra, sans doute grossi encore, à celle qui nous succédera. Pourquoi nous nier cet héritage, sous prétexte que nous ne l’avons pas gagné personnellement ? Pourquoi les industriels, ou les embauchés, ou les capitalistes à piastres profiteraient-ils seuls de cet héritage commun ? Eux ont certainement droit à une récompense pour ce qu’ils font actuellement; mais le fruit résultant aujourd’hui des efforts et des progrès des générations passées doit apporter quelque chose à tout le monde. Le fait qu’il y ait encore des complètement dépourvus aujourd’hui est une preuve qu’on refuse la part due à tous du revenu d’un capital qui appartient à tous. C’est une injustice.

Personne ne doit naître dépourvu dans un monde enrichi par tant d’acquisitions accumulées qui ne sont le produit de personne vivant aujourd’hui. C’est un héritage, dont nous sommes tous cohéritiers. C’est tellement vrai que, malgré le système actuel qui nie cette splendide vérité, on appelle les pauvres des déshérités. Pour qu’ils soient des déshérités, il faut qu’ils aient eu droit à un héritage et qu’on les en ait privés.

Économie généreuse

On déplore qu’aujourd’hui la richesse se concentre entre quelques mains. Pas surprenant quand on déshérite les membres de la société et qu’on laisse les plus forts ou les plus audacieux manger les faibles ou les moins violents.

Entrez dans une usine. Vous y voyez des employés: reconnaissons le droit à leur salaire. Vous voyez des machines, payées avec de l’argent des bailleurs de fonds; reconnaissons le droit des capitalistes-piastres à un dividende sur les profits. Mais dans ces machines, il y a une invention, une patente, sans laquelle ce ne serait que des pièces d’acier. Cette invention, qu’on peut appeler l’âme de la machine, c’est là une acquisition transmise, qui n’aurait jamais été ni faite ni transmise sans la vie en société. C’est cela qui doit apporter un dividende à tous les membres de la société.

L’autre dividende, celui des hommes à piastres, est déterminé par la compagnie qui bénéficie de ces piastres. Le dividende à tous, que propose le Crédit Social, doit être décidé par la société elle-même, comme revenu d’un capital de la société investi dans tout le système producteur.

Voilà bien une économie distributive autrement plus ensoleillée que celle qui cause tant de soucis à tant de monde aujourd’hui. Une économie distributive généreuse comme l’abondante production moderne, et n’oubliant personne, assurant à chacun une part couvrant au moins les premières nécessités de la vie et croissant pour chacun à mesure du progrès dans la production, tout en laissant en plus une récompense adéquate à la production pour la mise en œuvre de ce capital commun.

Et ne trouvez-vous pas que cette économie distributive, proposée par le Crédit Social, ressemble passablement à l’économie spirituelle de l’Église ? Est-ce que tous les chrétiens ne sont pas invités à puiser abondamment au trésor spirituel de l’Eglise, bien plus qu’ils ne peuvent le mériter par leurs seules œuvres personnelles ? Certes, chacun d’eux a encore le mérite de ses propres bonnes œuvres (tout comme dans le Crédit Social on reconnaît encore le droit de l’employé à un salaire). Mais outre cela, tous les chrétiens peuvent bénéficier de dons gratuits (grâce veut dire gratuité) gagnés pour eux par Notre-Seigneur, la sainte Vierge et les saints. Ne dit-on pas que nous sommes héritiers, co-héritiers de Jésus-Christ ?

Pourquoi une économie temporelle calquée sur ces principes de solidarité et de générosité, n’est-elle pas acclamée avec empressement par tous et réclamée avec instance ? Pourquoi ? Parce qu’elle est encore trop ignorée, trop incomprise; et parce qu’on a longtemps hypnotisé l’humanité avec une philosophie de jansénisme économique, entretenue par les puissances financières et par ceux qui tiennent à mieux dominer les autres en les maintenant aux confins de la privation, quand ce n’est pas dans une extrême pauvreté.

Louis Even

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