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Civilisation d'embauchage

Louis Even le samedi, 01 janvier 1955. Dans Crédit Social

Article de Louis Even tiré du journal Vers Demain du 1 janvier 1955 :

On a fait du chemin depuis quarante ans. En ce temps-là, les deux tiers de notre population vivaient dans les campagnes, le tiers seulement en ville. Aujourd'hui, les deux tiers sont dans les villes.

Et que font-ils dans les villes ? — Regardez-les fuir de leurs maisons tous les matins, courir aux tramways et autobus et s'engouffrer dans des usines, où, en entrant, ils poinçonnent un numéro. Ils sont des numéros. Le jour où l'un d'eux cesse d'être un numéro, il rentre chez lui dans l'angoisse. Qui n'est pas numéro est chômeur.

Notre société est, de plus en plus, un vaste amas de numéros : quelques embaucheurs et des millions d'embauchés. Et si vous n'êtes ni de la petite classe des numéroteurs ni de la grande classe des numérotés, vous perdez tout simplement le droit de vivre que vous aviez en naissant.

L'embauchage est devenu la grande préoccupation du jour. Si l'on est un sociologue, on fait un culte de l'embauchage intégral. Si l'on est un politicien, on promet l'embauchage intégral. Si l'on est un chef ouvrier, on réclame l'embauchage intégral.

L'embauchage intégral

L'embauchage intégral, c'est la perfection poursuivie par tout pays civilisé, mais jamais bien atteinte, et de moins en moins approchée pour peu que les périodes de paix se prolongent et que les cerveaux d'hommes continuent à inventer des patentes pour désembaucher.

Quand le nombre des embauchables non embauchés augmente, les chefs des embauchés et des embauchables non embauchés vont voir les gouvernements :

Messieurs, la situation est grave. Vous avez promis l'embauchage intégral, et nous ne l'avons pas. Vite : des travaux publics ! Embauchez vous-mêmes les embauchables que les embaucheurs n'embauchent plus.

Les gouvernants répondent :

On étudie sérieusement la situation. Nous la suivons de loin mais avec nos longues-vues. Si elle s'aggrave encore, nous allons y voir.

Mais ça continue. Les embauchables désembauchés font queue, tant qu'ils en ont encore le droit, aux portes de l'assurance-chômage. Lorsqu'ils ont perdu le droit de queue, eh bien, ils se terrent dans leur trou ou bien battent la semelle sur les trottoirs.

Les chefs des embauchés, des désembauchés et de tous les embauchables non embauchés retournent aux gouvernements :

Dormez-vous, messieurs ? Ne voyez-vous pas, dans vos longues-vues, ces gens qui chôment ? Lorsqu'ils étaient embauchés, ils travaillaient tellement bien, accrochés à leurs soeurs les machines, que les magasins et les entrepôts sont archi-pleins, et les embaucheurs ont été obligés de les désembaucher. Le fruit de leur travail est là devant eux, mais ils ne peuvent l'avoir. Alors, faites-leur faire d'autre travail pour qu'ils puissent obtenir ce qu'ils ont déjà gagné. Faites-leur la faveur de gagner un deuxième pain pour le roi de Prusse, afin de pouvoir manger le premier.

Les chefs des embauchés et des embauchables désembauchés ont bon cœur, même s'ils n'ont pas claire tête. Ils ne s'arrêtent pas à penser que la population, faite surtout d'embauchés et de désembauchés, devra payer la production publique comme la production privée. Demander des travaux publics, c'est demander une hausse du coût de la vie.

Embauchés, désembauchés et chefs des uns et des autres, sentent très bien quand le coût de la vie monte. Ils sentent moins quand ils réclament des choses qui font monter le coût de la vie...

Vie chère ou vie pas chère. Travaux privés ou travaux publics. Production pour les maisons ou production pour les cimetières. Peu importe. Sans embauchage, on crève. Donc : Embauchage ! Embauchage ! Embauchage intégral !

Le progrès désembauche

Ce qui est le plus frappant dans ce culte de l'embauchage intégral, c'est que plus le progrès réussit à embaucher des machines à la place des hommes, plus les officiels des unions comme des gouvernements situent la prospérité dans l'embauchage intégral des hommes.

Autant dire que le progrès est contraire à la prospérité. Sauf, toutefois, quand le progrès travaille à tuer. La guerre est bien le moyen le plus efficace pour réaliser l'embauchage intégral : d'une part, elle crée le besoin urgent de choses qu'on détruit à mesure qu'elles sont produites ; d'autre part, réclamant pour l'armée les jeunes les plus valides, la guerre soulage d'autant le problème de l'embauchage ; et, quand elle fait bien les choses, elle en fauche un grand nombre, reculant d'autant le retour du problème lorsque viendra la paix.

Travail et embauchage

Êtes-vous donc contre le travail ? Est-ce qu'il n'est pas bon pour l'homme de travailler ?

- Je vous prie, faites une différence entre travail et embauchage. Un homme normal peut toujours trouver à travailler, à s'occuper. C'est lorsqu'on l'oblige à être embauché, à être l'homme d'un autre homme, pour avoir le droit de vivre, qu'on travestit le mot travail en embauchage.

Le travail libre est acte d'homme libre. L'embauchage est acte d'homme lié. L'embauchage est le statut moderne de l'esclavage.

Lorsque l'industrie, de plus en plus efficace, ne peut plus embaucher tous les embauchables, on l'accuse sottement au lieu de la bénir. On la traite d'incapable et on demande au gouvernement de venir au secours, pour maintenir l'esclavage, l'embauchage.

Pourtant ni l'industrie ni le gouvernement n'existent pour embaucher.

La fonction de l'industrie, c'est de fournir les produits demandés pour les besoins. Et elle est d'autant plus parfaite qu'elle fournit les produits vite, bien, et avec moins de dépenses, de matériel et d'énergie (énergie humaine ou animale ou solaire).

Quand les produits sont là, devant les besoins, si les hommes ne peuvent avoir les produits à cause de certaines conditions financières, c'est au système financier et non pas à l'industrie productrice, qu'il faut s'en prendre.

Au lieu de crier : Embauchage intégral, c'est un "Revenu intégral" qu'il faut réclamer. C'est d'ailleurs bien cela que veulent, au fond, tous les réclamants : si on les embauchait sans les payer, ils refuseraient l'embauchage ; si on les payait sans les embaucher, ils ne pleureraient pas, ils seraient moins loin du statut de capitaliste.

Un revenu intégral

Et qu'est-ce que le revenu intégral ?

C'est : 1° Un revenu global capable de payer la production globale ; non seulement la production actuellement faite, mais celle qui se ferait si elle était commandée par des consommateurs munis d'un revenu suffisant. Si le revenu global n'est pas suffisant ; il n'est pas intégral, il est amputé, estropié.

C'est : 2° Un revenu atteignant tout le monde, chaque individu - non pas également, mais équitablement. Il n'y a pas d'équité, s'il n'a pas pour chacun un revenu au moins suffisant pour se procurer les nécessités de la vie. Si le revenu global n'est pas réparti de façon à ce que tous en aient, il n'est pas intégral par rapport à la destination des biens temporels. La terre et ses richesses ont été créés pour TOUS les hommes.

Le Crédit Social maintiendrait en tout temps un revenu intégral. On pourrait encore parler de production intégrale : production répondant intégralement aux besoins humains ; mais plus elle sauverait de labeur humain, plus elle serait parfaite, parce qu'elle libérerait ainsi l'homme pour d'autres activités fonctionnelles que la seule activité économique.

Louis Even

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