Les biens et les fruits de ce monde ont été créés pour tous
D’où le grave devoir de les placer au service de tout le monde
Le 25 mai 1966, le Pape Paul VI recevait des experts groupés à Rome en vue d’instituer une commission destinée à étudier les problèmes des pays en voie de développement.
D’après le rapport de l’agence Reuters, le Pape a dit qu’il pourrait être nécessaire de changer le système économique et financier si l’on veut empêcher les pauvres de mourir de faim. Ces questions, remarque-t-il, ne sont pas de la compétence de l’Eglise; mais l’Eglise doit rendre les gens plus sensibles aux problèmes de la pauvreté et de la faim, elle doit, “par-dessus tout, provoquer une prise de conscience plus intense des obligations dérivant de la fraternité universelle des hommes”.
Il y a vingt-cinq ans, le Pape Pie XII, dans son mémorable radio-message de la Pentecôte, rappelait que:
”Les biens créés par Dieu l’ont été pour tous les hommes et doivent être mis à la disposition de tous.”
Il ne s’agissait pas seulement de droits de la collectivité dans son ensemble, mais du droit de chaque être humain pris individuellement. Non pas d’un droit conféré par une législation humaine, mais d’un droit provenant de la nature même de l’homme, que toute législation doit reconnaître et dont elle doit favoriser la réalisation. Les termes du message de Pie XII étaient explicites:
«Tout homme, en tant qu’être doué de raison, tient en fait de la nature le droit fondamental d’user des biens matériels de la terre».
Le Pape actuel, Paul VI, le répète presque dans les mêmes termes, dans son allocution du 25 mai aux experts réunis à Rome:
«Les biens et les fruits de ce monde ont été créés pour tous. Personne n’a le droit de se les réserver, ni les individus, ni les communautés. Tous ont le grave devoir de les placer au service de tout le monde.»
Quelle que soit l’abondance offerte par le système producteur, le système économique n’accomplit pas sa fin si cette abondance n’atteint pas les besoins de tous, surtout s’il s’agit de besoins urgents. Selon les mots de Pie XII:
«La richesse économique d’un peuple ne consiste pas proprement dans l’abondance des biens, mesurée selon un calcul matériel pur et simple de leur valeur, mais bien dans ce qu’une telle abondance représente et fournit réellement et efficacement comme base matérielle pour le développement personnel convenable de ses membres. Si une telle juste distribution des biens n’est pas réalisée ou n’était qu’imparfaitement assurée, le vrai but de l’économie nationale ne serait pas atteint, étant donné que, quelle que fût l’opulente abondance des biens disponibles, le peuple, n’étant pas appelé à y participer, ne serait pas riche, mais pauvre.»
Ce que Pie XII disait de l’économie d’une nation, en relation avec les besoins de chacun de ses citoyens, le Pape Paul VI le reprend sur un plan universel. La richesse totale de l’univers ne doit pas être le lot exclusif des pays où elle jaillit en abondance, ni être détruite, ni être détournée de la production de biens de nécessité vers la production de biens somptuaires, tant qu’il y a des hommes privés du nécessaire où qu’ils soient sur la terre.
Comme Pie XII, Paul VI rappelle le vrai but du développement économique: fournir la base matérielle pour le développement intégral de chaque personne humaine. Il s’exprimait ainsi le 25 mai:
«Il ne s’agit pas seulement de réduire l’inégalité impressionnante qui met 15 pour cent de l’humanité en possession de 85 pour cent de la production mondiale. Il ne s’agit pas seulement de mettre en œuvre le développement technique et économique, mais de promouvoir un développement intégral et harmonieux de la personne humaine, permettant à chacun de mener une existence conforme à la dignité de son être créé à l’image de Dieu.»
Nous aimons ces paroles de nos Papes, plaçant l’importance sur chaque personne prise individuellement. On est trop habitué aux statistiques du global, d’un simple agglomérat de personnes et de familles anonymes.
Le Pape Pie XII avait dit que, s’il appartient à l’Eglise de rappeler ces vérités, c’est laissé aux formes juridiques des peuples, donc aux législations des divers pays, de voir à la réalisation pratique du droit de chaque personne à une part des biens répondant à ses besoins normaux.
Paul VI dit bien, lui aussi, que les méthodes à adopter ne sont pas de la compétence de l’Eglise. Mais, en constatant la persistance de grandes richesses accumulées d’une part et de besoins criants d’autre part, il ne craint pas d’ajouter qu’il pourrait être nécessaire de «changer le système économique et financier du monde». A la différence des gouvernements et de leurs aviseurs économiques couronnés de diplômes, le Pape ne considère pas le système économique et financier comme une chose sacrée, immuable, intouchable. Si le système actuel cause ou permet des obstacles entre les biens existants et les besoins humains, ce système doit être changé, les obstacles doivent sauter.
Il est grand temps qu’on abatte l’idole de son piédestal. Grand temps qu’on place la responsabilité là où elle est. Qu’on cesse d’accabler les victimes, ceux qui souffrent de privations, en les accusant d’être la cause de leur sort. Qu’on cesse de leur enlever leur liberté, ou de piétiner sur leur dignité, comme condition pour avoir du pain.
Il n’est pas difficile de situer la cause majeure du mal. La production totale abonde, ou peut abonder facilement si l’on n’entrave pas ses immenses possibilités. Les moyens physiques de transport des produits, jusqu’aux besoins les plus reculés, ne font pas défaut. Il n’y a qu’un obstacle l’argent, la finance. La finance est surtout à la même place que la production; elle fait défaut là où sont les besoins qui réclament cette production. Et cent autres vices découlent de celui-là.
Or, l’argent n’est qu’un permis pour mobiliser les activités de production d’une part, pour obtenir le produit d’autre part. Un défaut dans les permis n’est pas permissible. C’est en soi la chose la plus facile à régler. Mais c’est la chose à laquelle on refuse de toucher: le système financier demeure une «vache sacrée» pour les gouvernements et pour les hommes en place dans les échelons du système. Plus, ils occupent une place élevée, plus ils mettent de zèle à monter la garde autour de son trône.
Merci à notre Pape d’avoir signalé qu’il peut être nécessaire de faire un ménage dans ce sanctuaire-là.
D’une autre source chrétienne, quoique non catholique celle-là, est venue une stigmatisation plus précise encore du système financier actuel, à la suite d’une étude faite à la demande d’une Eglise d’Ecosse, la «Congregational Union of Scotland». Constatant la présence d’une pauvreté pénible en face même de l’abondance offerte, les autorités de cette Eglise jugèrent qu’il devait y avoir quelque chose de fondamentalement faux dans le système économique. Un Comité fut nommé — le Comité d’une doctrine chrétienne de la richesse pour examiner d’un point de vue chrétien le système financier existant.
La première réunion de ce comité eut lieu le 22 septembre 1960. Elle fut suivie de 16 autres. Le Comité consulta un grand nombre d’économistes, de professeurs, de banquiers, d’hommes d’affaires, de savants. Il publia le résultat de ses recherches dans un livre intitulé «Money — A Christian View» (Une vue chrétienne de l’argent).
En page 42 de ce livre paraissent les conclusions suivantes:
1. Nous croyons que le système actuel de finance-dette, dans lequel pratiquement tout l’argent vient en circulation sous forme de dette portant intérêt, est préjudiciable au bien-être de l’humanité, ne trouve aucune justification dans la nature des choses et perpétue une fausse notion de la fonction de l’argent dans la société humaine.
2. Nous croyons que le monopole virtuel dont jouit le système bancaire est contraire à la raison et à la justice. Lorsqu’une banque accorde un prêt, elle monnaye le crédit d’un client jugé digne de crédit. Ce monnayage est un service nécessaire, mais lorsque la banque l’a fait, elle remet à l’emprunteur son propre crédit ainsi monnayé comme une dette envers la banque, dette majorée de 6, 8 ou 9 pour cent. Il semble exister là une anomalie, masquée par l’usage et l’habitude, qui demande examen. La véritable base du crédit réside dans les actifs de la nation — individus, travailleurs, compétences, richesses naturelles — dans l’énorme puissance de production dont les hommes disposent aujourd’hui. La création et la fonction de l’argent (du crédit financier) devraient être en rapport exact avec ces faits physiques, et rien autre.
3. Nous croyons que le système existant constitue une barrière à la paix et au désarmement. Il engendre des luttes commerciales résultant en conflits internationaux. Il exige un amorçage de la pompe financière pour des dépenses colossales en armements dans l’état de guerre froide actuelle. De vastes sommes d’argent sont ainsi mises en circulation pour la production d’articles qui ne sont pas placés sur le marché, ce qui empêche le système de craquer complètement. Il est difficile de nier l’assertion du professeur Galbraith et d’autres quand ils disent que sans l’expansion de l’économie par la production d’armements, il y aurait un effondrement économique aux Etats-Unis, et dans notre pays aussi (l’Angleterre).
Le Comité de la Doctrine Chrétienne de la Richesse constate donc bien ce que l’ingénieur-économiste C. H. Douglas, l’auteur des propositions du Crédit Social, signalait déjà voici près de cinquante ans: que le crédit financier est une chose sociale par nature; que les banques s’attribuent la propriété de l’argent nouveau qui appartient de droit à la communauté; que la finance n’est pas en accord avec le réel et domine la vie économique au lieu de la servir; que les peuples subissent cet état de choses insensé parce que, l’usage et l’habitude établis les empêchant de s’y arrêter, ils en acceptent les conséquences aussi inévitablement que celles de la température. Le Comité ajoute:
Convaincus qu’il n’est pas impossible à l’esprit humain de concevoir un système financier d’où seraient exclus ces vices, nous jugeons qu’un tel système financier corrigé s’impose, et que, comme chrétiens, nous avons le devoir impératif d’en presser l’instauration.
Le Comité insiste donc, avec raisons concrètes à l’appui, sur l’obligation de changer le système financier, sans toutefois préciser les techniques du changement. Mais de toutes les propositions qui ont pu être faites jusqu’ici pour un changement, seul le Crédit Social en offre de nature à atteindre de façon directe les buts d’un système financier fidèle à sa fonction propre dans l’économie:
Etablir un système souple en accord constant avec les réalités de la production et de la consommation;
Faire de l’argent un facteur déterminé et non plus un facteur déterminant des activités économiques;
Financer toute production possible répondant aux besoins de la population, selon la hiérarchie de leur urgence; maintenir le pouvoir d’achat au niveau de la production offerte en face des besoins normaux de la population; et, pour permettre à chaque personne d’exercer son droit fondamental à une part de biens matériels, dans un monde où cela ne peut s’obtenir sans argent, assurer à chaque individu un revenu attaché à la personne et non pas uniquement à l’emploi.
Ce dernier point a été traité mille fois dans le journal Vers Demain et le sera encore. Le refus de ce revenu attaché à la personne, donc à la famille selon le nombre de ses membres, ce refus est la cause d’une foule de maux. La poussée de l’économie actuelle vers la multiplication de besoins matériels nouveaux, donc vers le matérialisme, pour maintenir l’emploi; l’intervention croissante des gouvernements pour s’occuper de fonctions qui relèvent normalement des personnes elles-mêmes, des familles et des associations libres; ces désordres, et bien d’autres, sont provoqués et accrus par le refus de reconnaître à chaque personne le droit à un revenu. Un revenu à seul titre de personne, et non pas seulement à titre d’embauché, dans une économie qui a de moins en moins besoin de labeur humain pour entretenir la production répondant aux besoins normaux des hommes. D’ailleurs, tout individu actuellement vivant n’est-il pas, avec tous les autres, cohéritier des progrès des générations passées, donc co-capitaliste du plus grand facteur de l’immense production moderne ?
C’est ce statut de capitaliste, étendu à tous et à chacun, qui doit prendre de plus en plus le pas sur le statut d’embauchés. La majorité de la population n’est pas employée à la production. Tous ces gens-là ont quand même le droit fondamental de vivre pleinement leur vie.
Pour remédier aux maux causés par un système financier faux, l’option créditiste n’est-elle pas infiniment supérieure aux offres du communisme ou aux législations étatisantes de nos gouvernements qui conduisent graduellement à une économie de régime communiste ?
Face aux communistes dénonçant un capitalisme qui enrichit les déjà riches et qui appauvrit les déjà pauvres, combien dépourvus restent les hommes de droite aux mains vides ! Dépourvus, mais combien coupables aussi quand ils continuent de bouder ou de refuser les propositions du Crédit Social, formulées, il y a presque un demi-siècle, et largement diffusées dans plusieurs pays, dont le nôtre tout particulièrement.
L’application des propositions du Crédit Social ne serait-elle pas le moyen par excellence de réaliser le plan de Dieu dans la création des richesses de la terre, plan rappelé de plus en plus par nos grands Papes, de Léon XIII à Paul VI ? (En 2008, nous pouvons dire jusqu’à Benoît XVI)
Oui, il faut changer le système financier, si l’on ne veut pas que continuent des privations imméritées, que des pauvres continuent de mourir de faim et que la mise sous clé de l’abondance devant la perpétuation de tant de souffrances attire sur nos pays les vengeances du Ciel.