Objection au Crédit Social — Le Crédit Social n'est pas bon, parce qu'il ne règle pas tous les problèmes.
Réponse — Certainement que non, le Crédit Social ne règle pas tout. Même ses plus fervents adhérents savent bien que, sous un régime créditiste, il y aura encore bien des choses à solutionner. Mais ils prétendent qu'une foule de problèmes seront beaucoup plus faciles à régler avec le Crédit Social qu'avec le système anarchique qui place des obstacles financiers dans tous les domaines.
Le cas du colon
Prenons, par exemple, le cas du colon.
Sous le régime créditiste comme sous le système actuel, le colon aura encore des arbres à abattre, des souches à arracher, de l'abattis à brûler, de l'épierrement et de l'égouttement à faire, des clôtures à construire, une maison, des étables et des granges à bâtir, un troupeau à monter, des enfants à élever.
Mais, sous un régime créditiste, le colon ne sera pas condamné à une nourriture insuffisante pendant qu'il fait ces durs travaux : son dividende national et celui des membres de sa famille lui donneront, autant qu'aux habitants des villes, droit à une partie de la grande production actuelle d'un pays qu'il travaille à agrandir et à enrichir. Il n'aura pas besoin d'attendre que son coin de forêt produise des légumes et des fruits avant d'avoir le droit de manger des légumes et des fruits.
Puis, sous un régime créditiste, le colon peut espérer d'avoir de la machinerie pour aider ses bras, des chemins un peu plus praticables pour communiquer avec les centres voisins.
Le colon peut aussi penser que, sous un régime créditiste, il n'aura plus à donner des mois de son temps à travailler pour des compagnies à bois, ni à construire les routes de la province pour pouvoir tenir sur son lot. Il nous semble que le défrichement d'un lot et son amélioration ont de quoi occuper les douze mois de l'année. Il nous semble aussi que, dans un siècle où l'on se plaint d'avoir trop de bras à employer, il est insensé d'obliger des colons à faire trois métiers pour avoir le droit de vivre.
Tous ces avantages — et d'autres — que le colon peut attendre du Crédit Social, sont appréciables. Et même si le Crédit Social ne fait pas spontanément tomber les arbres, sauter les souches et s'élever les maisons, ce n'est pas une raison pour le refuser. On ne trouvera rien ici-bas pour changer la terre en paradis terrestre, pas même d'autres réformes préconisées à grands sons de trompette par ceux qui discréditent le Crédit Social.
Le cas du Curé
Veut-on un autre exemple? On va prendre le cas de ce bon curé de paroisse, auquel un exposé trop précipité avait peut-être fait croire que le Crédit Social voulait remplacer les sept sacrements, et qui répliqua : Voyons donc, votre Crédit Social n'est jamais capable de remédier à tous les maux!
Mais non, monsieur le Curé, le Crédit Social ne remédiera pas à tous les maux. Sous le Crédit So‑
cial, les hommes continueront à naître tout petits et incapables de se tirer d'affaire tout seuls. Ils continueront à sentir la chaleur à l'été, le froid à l'hiver, la fatigue sous la prolongation de l'effort. Ils continueront à subir les atteintes des maladies, même s'ils ont à leur disposition plus de moyens de les soulager. Ils continueront à mourir tous un jour ou l'autre, même s'il n'y a plus d'absurdités financières pour abréger leurs jours en leur refusant l'accès aux produits et aux services qui abondent.
Les hommes continueront à naître ignorants et à être obligés de s'instruire. Ils continueront à subir les suites du péché originel et à devoir recourir à la prière, aux sacrements et faire des efforts pour pratiquer la vertu.
Le Crédit Social n'a jamais prétendu changer la nature de l'homme. Mais il compte bien supprimer certaines choses qui travaillent à exciter les mauvais penchants de l'homme.
Le Crédit Social ne vous empêchera pas d'avoir à demander à vos paroissiens de bâtir et entretenir leur église; mais il leur mettra entre les mains des moyens en rapport avec les possibilités du pays, et ces possibilités sont immenses.
Vous aurez peut-être moins besoin, dans ce temps-là, d'organiser des bingos, des bazars, d'attirer les paroissiens autour de tables à manger ou à jouer, et de les inciter à dépenser trois piastres pour en avoir une pour le temple du Seigneur.
Les hommes auront encore besoin d'écoles, d'instituteurs et d'institutrices. Mais le Crédit Social permettra de mieux rémunérer ceux qui travaillent à l'éducation de la société, puisque, pour les payer, on aura tout ce qui reste inutilisé sous le régime actuel — et c'est beaucoup.
Le Crédit Social ne remplacera ni le clergé ni les éducateurs, ni les parents; mais il leur aidera à mieux se décharger de leurs fonctions, en abattant l'obstacle financier.
Le Crédit Social ne remplacera pas le zèle du missionnaire ni de la Soeur de Charité, mais il adoucira le problème qu'ils nous exposent toujours lorsqu'ils viennent nous voir : ce n'est pas un problème de dévouement ni d'abnégation, mais un problème de finance.
Nous pourrions continuer cette liste, non seulement dans le cas de ce bon monsieur le curé; mais dans le cas du médecin, du marchand, de l'ouvrier, du patron, de l'agriculteur, du mineur, du pêcheur, de l'entrepreneur de transport, voire même dans le cas d'administrations scolaires, municipales, provinciales, fédérales.
Le Crédit Social ne réglerait pas tout; mais il aiderait remarquablement à régler bien des choses, sans tortiller les hommes et sans dévaliser les uns pour faire vivre les autres.
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"L'organisme économique et social sera, sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer. Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d'aisance et de culture qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu mais en facilite au contraire singulièrement l'exercice." (Pie XI, Quadragesimo Anno.)
"Le but de la doctrine monétaire du Crédit Social est de donner à tous et à chacun des membres de la société la liberté et la sécurité économique que doit leur procurer l'organisme économique et social. Pour cela, au lieu d'abaisser la production vers le niveau du pouvoir d'achat par la destruction des biens utiles ou la restriction du travail, le Crédit Social veut hausser le pouvoir d'achat au niveau de la capacité de production des biens utiles." (Le Crédit Social et la Doctrine Catholique, Rapport de la Commission d'étude de neuf théologiens, novembre 1939.)