Un monsieur nous écrit :
J'ai lu attentivement votre pamphlet intitulé L'Ile du Salut, parabole suivie d'un exposé succinct du Crédit Social.
C'est très bien composé pour qui ne réfléchit pas. De quoi donc Abraham Rabinovitch se nourrissait-il et de quoi vivait-il dans cette Île du Salut dont il est question dans votre parabole ?
S'il devait acheter la nourriture et les vêtements des cinq seuls producteurs qui se trouvaient avec lui, il les payait ; s'il les payait, il y avait plus d'argent en circulation ; il était donc facile pour eux de payer l'intérêt sur le capital de $1,000.00 et peut-être même de remettre un peu sur la somme chaque année, si les besoins d'Abraham étaient au-dessus de $80.00 par année.
Dans mon village, il y a deux succursales de banque ; l'une paie $400 de loyer par mois, et l'autre, qui est propriétaire, paie des taxes municipales, des cotisations scolaires, des taxes d'église et taxe d'eau, et les deux banques paient en plus un permis de $10 chacune par année pour exercer leurs opérations dans la Municipalité. Elles font aussi des réparations, etc. Alors elles font circuler de l'argent dans la place, lequel sert à acheter autre chose.
À mon point de vue, Le loup mange les agneaux (page 13 de L'Île du Salut) est ce qu'il y a de plus illogique pour celui qui comprend un peu.
Vous ne vous imaginez sûrement pas être le premier homme "qui comprend un peu" parmi les quelque 170,000 personnes qui ont eu l'Île du Salut en main. La première édition parue en 1938, et malgré, les remarques qui ont pu y être faites, on a jugé que son texte répondait très bien à un enseignement à porter sous forme de parabole. Elle a eu deux autres éditions semblables depuis.
La monnaie d'Abraham était fondée sur une supercherie. C'était la monnaie d'un menteur. La monnaie de l'Île du Salut n'était pas basée sur la production de l'Île et les besoins de ses habitants, mais sur le montant de dette que les producteurs consentaient à signer envers celui qui faisait l'argent de rien.
Et c'est en cela que notre système bancaire est assez bien représenté par l'action d'Abraham. Qu'Abraham redépensât ou non son argent, en tout ou en partie, cela ne justifie en rien son vol. Il volait le travail des autres, puisqu'il faisait de l'argent qui ne lui coûtait rien pour hypothéquer à son profit la production des autres.
Un voleur est-il justifié par le fait qu'il se sert de l'argent volé pour acheter la production du pays ?
La page 13, Le Loup mange les Agneaux, est tout à fait logique pour quiconque comprend les faits (à condition de les connaître d'abord). Les cinq insulaires disaient parfaitement vrai en déclarant que, s'ils passaient à Abraham tout l'argent de l'Île, ils ne seraient pas encore quittes, puisqu'ils devaient tout l'argent fait, plus les intérêts.
Ainsi en est-il au Canada. Additionnez les dettes, et comparez au volume total de l'argent en circulation. Au Canada, comme dans l'Île du Salut, le pays s'endette à mesure de son développement.
La réalité est encore bien plus effarante que la parabole. Dans l'Île, un exploiteur et cinq exploités. Au Canada, la proportion des exploités est autrement considérable, et le petit groupe d'exploiteurs autrement bien servi.
Les pages 20 à 24 de la brochure expliquent le vol et le désordre.
Quant à vos critiques sur l'exactitude de la parabole, le cas a été prévu dans le sixième alinéa de la préface écrite par M. J.-E. Grégoire :
"Évidemment ce n'est qu'une parabole et les esprits forts y chercheront matière à gausser. L'enseignement qui s'adresse à la masse du peuple a toujours trouvé d'autant plus de dénigreurs qu'il portait plus de fruits. Ne vit-on pas les docteurs de la loi, les scribes, les parcheminés d'Israël, s'acharner contre le Conteur de paraboles : "C'est un démagogue, il soulève le peuple."
Quant aux banques de votre village, je me demande combien de temps le bureau-chef garderait ces succursales en opération si elles laissaient dans la place tout l'argent qu'elles y prennent, sans accroître leur actif.
Il n'est d'ailleurs pas question de condamner les opérations bancaires proprement dites, mais seulement les émissions par elles d'argent nouveau à l'état de dette sur le dos de la société. Vol pur et simple, que le voleur n'expie pas en se servant de l'argent volé, ni en tenant les gardiens du pays sous ses talons.
D'ailleurs, la lumière se répand malgré les éteignoirs, et la parabole de l'Île du Salut y est bien pour quelque chose.
"La banque est, par essence, une officine d'usure. Elle vit d'usure. Quand même les usuriers opèrent derrière des comptoirs vernis et sous le couvert de la loi, cela n'ôte rien aux méfaits de leur usure. Elle n'en est que plus pernicieuse.
"On se défie, en effet, d'un bandit qui sort du bois, le visage cruel et le revolver ou le coutelas à la main. Mais le bandit bien rasé, tiré à quatre épingles, qui vous aborde avec un sourire et une poignée de main, ne vous inspire point les mêmes précautions. C'est une autre manière : elle est plus moderne et fait plus de victimes.
"Les résultats le démontrent. Il y a, à notre époque, plus de dettes, plus de propriétés hypothéquées, plus d'évictions et plus de saisies que jamais." — (J.-E. Grégoire — radio-causerie.)