Le problème de la famille est d'une extrême importance, tout le monde l'admet. Or, si l'on en exclut ce qui est du domaine moral, qui relève de l'Église, le problème de la famille est surtout un problème économique, un problème d'argent.
En effet, qu'il s'agisse d'aide à la mère, de soins médicaux aux membres de la famille, d'instruction à faire donner aux enfants, d'établissement des jeunes, de jours paisibles à assurer aux vieux, c'est toujours surtout une question d'argent.
La présence d'argent ne règle pas tout, elle ne renverse pas tous les obstacles, mais elle permet de les atténuer considérablement.
Les sociologues chrétiens de notre siècle reconnaissant l'importance de l'argent dans l'économie familiale, puisqu'ils insistent depuis longtemps sur la nécessité d'allocations familiales au prorata du nombre d'enfants dans la famille.
D'ailleurs, de quelque nom qu'on appelle ces allocations, personne n'osera en contester le principe. Personne, pas même le professeur des Hautes Études qui soutient que le travail est le seul titre aux biens de la production. Tout le monde admet qu'un enfant au berceau doit avoir de quoi vivre, même s'il ne tire pas encore de salaire.
Tout le monde aussi comprend que, pour avoir de quoi vivre, quand on est sept ou dix dans une maison, ça prend plus de revenu que lorsqu'on n'est que deux.
Pourtant, on ne voit pas bien comment le père de cinq ou six enfants peut réclamer un salaire deux ou trois fois égal à celui d'un célibataire qui fait le même travail que lui.
C'est dire qu'il faut, en dehors du salaire, un supplément de revenu qui tienne compte du nombre de personnes dans la famille.
On s'accorde assez là-dessus. Là où la difficulté commence, c'est lorsqu'on se demande où prendre le supplément.
La plupart préconisent des prélèvements sur l'industrie employante et sur le trésor public.
Si les prélèvements se font sur l'industrie, ils contribuent à augmenter les prix des produits, et les grosses familles seront les premières à en souffrir. L'industrie sera aussi portée à émigrer vers les provinces où les toutous remplacent les enfants, surtout lorsque les machines nécessitent moins de bras.
Si le prélèvement se fait sur le trésor public, les contribuables marchands ou propriétaires s'arrangent pour faire entrer ces contributions dans les prix des marchandises ou dans les loyers. C'est encore autant dont la famille nombreuse se ressentira.
Et depuis des décades qu'on débat la question, on est encore à chercher une solution convenable. En attendant, les familles continuent à se priver, alors que, en temps de paix au moins, les produits s'accumulent et pourrissent, ou que la production languit ou arrête faute d'acheteurs.
On s'obstine à vouloir aborder les problèmes comme on les aborderait si la production était limitée et qu'il serait impossible d'assurer une ration à Pierre sans diminuer la ration de Paul. C'est parce que, au lieu de voir la production abondante en temps normal, on regarde seulement l'argent rare ; et on s'imagine qu'il est impossible de hausser le niveau de l'argent au niveau de la production.
Cette obstination à respecter un système d'argent détraqué empoisonne les meilleures intentions.
Le Crédit Social est moins embarrassé, parce qu'il commence par dompter le mécanisme de l'argent.
Aussi, le Crédit Social a une formule toute trouvée pour les allocations familiales. Le dividende national à tous et à chacun est l'allocation familiale par excellence, qui dispense d'enquêtes, et qui fait entrer dans la famille autant de revenus supplémentaires qu'il y a de personnes en vie.
S'il y a deux personnes dans la famille, deux dividendes, proclame le Crédit Social. S'il y en a dix, dix dividendes. Si l'adolescent quitte sa famille naturelle pour une autre, pour entrer en communauté par exemple ; son dividende le suit ; et c'est juste ; puisque le consommateur change de table.
Mais voyons si c'est bien une allocation familiale, si le dividende du Crédit Social produirait réellement l'effet d'une allocation familiale proportionnelle au nombre d'enfants.
Monsieur et Madame A sont de nouveaux mariés. Si le dividende est de $10 par mois, cela fait dans cette maison $20 de revenu supplémentaire, en plus de ce que le mari gagne pour le mois.
Monsieur et Madame B ont quatre enfants : cela fait six personnes dans la famille. Le dividende total dans cette maison sera de $60 pour le mois, en plus du salaire du père. C'est donc $40 de plus, à cause des quatre enfants. Est-ce que cela n'est pas une allocation familiale ?
Non, disent quelques-uns ; ce n'est pas une allocation familiale, parce que vous donnez le dividende à tout le monde.
Si l'on n'accordait rien au couple sans enfants et $40 seulement à la famille qui a quatre enfants, ce serait, à leurs yeux, une allocation familiale de $40. Où donc est la différence lorsqu'on accorde 20 à la première et 60 à la seconde ? N'entre-t-il pas encore dans la deuxième famille un surplus de $40. justement à cause de la présence des quatre enfants ?
Mais il y a toujours des ergoteurs qui, fascinés par les mots, oublient l'arithmétique.
Et dans le Crédit Social, ce dividende, qui ferait exactement la même chose que l'allocation tant réclamée, est inhérent au système lui-même ; il est aussi sacré et aussi intangible que l'est l'intérêt sur la dette publique dans le système absurde d'aujourd'hui.
Le Crédit Social ne cherche point ses allocations familiales dans la poche du voisin. Il ne les situe point dans des signes artificiellement limités. Il les prend dans les surplus de choses réelles et bonnes, surplus qui s'accumulent et dont notre économie bâtarde ne sait quoi faire.
La source du dividende, donc des allocations familiales, est toute trouvée, et abondante, dans les élévateurs à blé pleins à craquer, dans les entrepôts débordants, dans les forêts inexploitées ou offertes à des étrangers, dans les produits de toutes sortes qu'on cherche à pousser aux quatre coins du monde, dans le travail immobilisé à cause de produits invendus, dans les inventions et les talents que l'économie actuelle condamne à rester sous le boisseau.
Et comme la production peut se répéter, avec la même surabondance, tous les ans, le dividende est assuré d'une base perpétuelle. Il suffit de mettre l'argent, le pouvoir d'achat, au régime des faits, au régime de la capacité de production répondant à des besoins.
Le dividende du Crédit Social, revenant tous les mois, en plus et en dehors de tout salaire, règle donc admirablement le problème des allocations familiales. Pourquoi, alors, certains apôtres fervents des allocations familiales boudent-ils le Crédit Social ? Est-ce que la solution est trop facile ? Ou n'est-ce pas plutôt parce qu'ils n'ont jamais compris le Crédit Social ?
Lorsqu'il est question d'allocations sous le système actuel, allocations familiales, allocations d'invalidité, pensions de vieillesse, et autres, il faut immédiatement mettre en branle des enquêtes, des questionnaires, des inspections.
Les bénéficiaires ou les aspirants-bénéficiaires se jugent obligés de faire des façons, de se taire sur leurs opinions, de flagorner les gouvernements, d'éviter toute relation extérieure avec des groupes dissidents. Ils se sentent les obligés des gouvernements et font tout pour ne pas compromettre les faveurs dont ils ont tant besoin.
Sous une économie créditiste, rien de tel. Qu'on le remarque bien, en effet, le dividende — appelez-le allocation familiale si vous voulez — n'est point un cadeau, ni un octroi de la communauté à la famille. C'est un droit, un réel dividende sur un réel capital commun. Il ne crée donc point d'obligés, il n'entame pas le moins du monde la liberté.
Sous une économie créditiste, c'est très simple. Plus il y a de personnes dans une famille, plus il y a de capitalistes dans cette famille. Tous et chacun, du seul fait de leur naissance, possèdent un capital, une part de co-sociétaire. C'est pourquoi le dividende doit aller à tous, et à chacun, sans enquête, sans réserve, sur seule preuve d'existence.
Le nouveau-né est, au même titre que le plus gros travailleur du pays, co-propriétaire des biens qui sont propriété commune. Tous ont donc, au même degré, droit aux revenus de ces biens communs.
Et la partie de la production qui relève de ce qui est propriété commune est plus que suffisante pour assurer à chacun au moins un minimum vital. Nous en avons déjà souvent parlé, et nous reviendrons sur cette thèse, trop lumineuse pour les esprits habitués à se promener avec un fanal dans les cryptes où les banquiers veulent enfermer le monde.