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Le banquier moderne, le pire des usuriers

Louis Even le mardi, 01 novembre 1960. Dans Banques

Le banquier dont il est ici question, ce n’est pas l’homme qui prête de l’argent déjà existant qui en tire de l’intérêt. C’est le banquier qui crée l’argent nouveau, sous forme de crédit financier: de l’argent nouveau qu’il prête et dont il réclame de l’intérêt comme si cet instrument social était sa propriété.

Dans Rerum Novarum, Léon XIII semble désigner cette opération quand il parle d’une “usure dévorante, sous une forme nouvelle”.

Le Major Douglas, fondateur de l’école créditiste, a écrit:

”La puissance (d’argent) ne vient pas tant de la charge d’intérêt que de la création et de l’appropriation de nouveaux instruments monétaires. Lorsque l’usurier prêtait des pièces d’argent déjà existantes, il établissait une dette pour l’emprunteur et s’appropriait l’intérêt. Mais lorsque (devenu banquier) il commença à créer et à prêter de l’argent non existant, comme le font nos banques en combinant les opérations d’émissions et de prêts, il s’appropria à la fois le capital et l’intérêt.”

Autrement dit, l’usurier d’autrefois n’est qu’une pâle figure en comparaison du banquier moderne.

Pour comprendre cette accusation, il faut savoir que la banque moderne n’est pas ce que trop de gens s’imaginent encore: une institution, pour recevoir les épargnes et les prêter, faisant des profits et récompensant les épargnants en leur versant un intérêt fixe moindre que celui qu’elle charge aux emprunteurs. Cette notion n’est pas conforme à la réalité. La banque moderne ne prête pas l’argent de ses déposants: elle prête de l’argent qu’elle crée elle-même, qui s’appelle crédit et qui est aussi valable dans le commerce que les pièces d’argent ou d’or que le papier-monnaie légal.

Comment cela se passe-t-il, et en quoi est-ce pour le banquier une appropriation de ce qui ne lui appartient pas ? Il est peut-être bon de le répéter ici pour de nouveaux lecteurs moins au courant.

Supposons que vous soyez un industriel demandant à la banque, et obtenant d’elle, un emprunt de 50 000$. Sortez-vous de la banque en emportant dans votre poche 50 000$ de l’argent des épargnants, que le banquier aurait pris dans son tiroir ou dans sa voûte pour vous les remettre ? Non, il vous a fait signer un papier, puis il a pris un grand-livre (ledger), dans lequel il a inscrit à votre nom un crédit de 50 000$ (moins, bien souvent, l’intérêt qu’il retient tout de suite). Puis il a inscrit le même montant, à votre crédit encore, dans votre carnet de banque (pass-book), que vous avez par-devers vous.

Le banquier a donc fait pour vous ce qu’il aurait fait si vous étiez venu déposer de l’argent, alors que vous êtes venu lui en demander. Vous pourrez vous servir de cette somme, au moyen de chèques, tout comme vous faites quand vous tirez des chèques sur de l’argent que vous avez vous-même déposé.

Mais ce n’est pas vous qui avez déposé cette somme, et pourtant elle est bien déposée à votre compte. C’est le banquier qui l’a déposée pour vous. Fort bien, puisque vous êtes venu chercher un prêt. Mais où a-t-il pris cet argent qu’il a déposé dans votre compte ?

La réponse est intéressante. Il n’a pas pris cet argent dans sa poche: ce n’est donc pas son propre argent qu’il vous a prêté. Il n’a pas pris cet argent dans les dépôts des épargnants qui lui en ont confié: chacun de ces épargnants a encore exactement le même crédit dans son compte. Ce n’est donc pas de l’argent des déposants qu’il vous a prêté. Pas un sou n’est sorti d’aucun tiroir, ni d’aucun compte; et cependant, il en est entré dans votre compte. Il en est entré là sans qu’il en sorte de nulle part: de l’argent que vous n’aviez pas en entrant à la banque.

C’est donc bien de l’argent nouveau, ajouté à l’argent total qu’il y avait dans le pays auparavant. Et pour créer cet argent nouveau, le banquier n’a eu besoin ni de métal précieux, ni de presse à imprimer. Seul matériel utilisé: une plume et une goutte d’encre.

Cet argent est bon, parce que le pays pourra fournir du travail, des produits, des services, pour y répondre. Ce n’est pas le banquier qui donne de la valeur à l’argent: c’est la richesse du pays en ressources matérielles et humaines. Sans cela, le banquier aurait beau écrire des chiffres, ils ne vaudraient rien comme argent, parce qu’ils ne pourraient rien obtenir.

L’argent nouveau devrait donc, à sa source, être reconnu comme un bien de la société. Le banquier, en le déclarant son bien propre et en le prêtant à son seul profit, s’approprie un bien qui ne lui appartient pas. On appelle généralement cela un vol. Mais comme nos gouvernements autorisent les banques à faire cette opération, c’est un vol “légalisé”. Légalisé par des gouvernements qui sont eux-mêmes obligés de recourir à des emprunts quand ils ont atteint le plafond de saturation des taxes.

Sur cet argent volé avec la permission du gouvernement, le banquier demande de l’intérêt à l’emprunteur; il taxe pour ainsi dire un producteur qui va créer de la richesse. Le banquier s’approprie donc un capital financier qui appartient à la société; et il s’approprie, par l’intérêt, une partie du fruit du travail de ceux que ce système contraint de s’endetter auprès des voleurs légalisés.

Le banquier fait aussi des créations de crédit, tous les jours, par les découverts consentis aux marchands et autres hommes d’affaires. Ce sont des sortes de prêts à demande, convenus entre le voleur légalisé et le commerçant, et toujours effectués par de simples écritures de chiffres.

Le banquier peut refuser des prêts ou les rendre plus difficiles. On appelle cela restriction du crédit: c’est assez connu de ces années-ci. De sorte que la population, gouvernants et gouvernés, est soumise au bon plaisir et aux conditions du voleur légalisé, noblement appelé banquier.

Voilà ce qui explique la citation ci-dessus de Douglas.

De son côté, Pie XI, dans Quadragesimo Anno, a dénoncé cette dictature de l’argent et du crédit:

”l’accumulation d’une énorme puissance, d’un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d’un petit nombre d’hommes qui d’ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu’ils administrent à leur gré.

”Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisme économique, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer.”

Devant cette dictature qui pèse sur tout le réseau de la vie économique, que fait le gouvernement ? Hélas ! le même Pape, dans la même encyclique, a dû également dénoncer un mal qu’il qualifie

”d’une extrême importance: la déchéance du pouvoir; lui qui devrait gouverner de haut, comme souverain et suprême arbitre, en toute impartialité et dans le seul intérêt du bien commun et de la justice, il est tombé au rang d’esclave et devenu le docile instrument de toutes les passions et de toutes les ambitions de l’intérêt.”

Il n’y a pas aujourd’hui de problèmes de capacité de production, pas de problèmes de savoir-faire, pas de problèmes de bonne volonté, pas de problèmes de moyens physiques de produire ou de distribuer. Il n’y a que des problèmes d’argent, parce qu’il y a une dictature de l’argent, arbitre de la vie économique — parce qu’il y a des voleurs autorisés qui opèrent sur une grande échelle. Or, qui, à part des créditistes, dénonce vraiment et sans répit ce monopole des monopoles dont les victimes ne se comptent plus ?

Louis Even

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