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Faut-il nationaliser les banques ?

Louis Even le vendredi, 15 décembre 1944. Dans Banques

On remarquera que la nationalisation, ou l'étati­sation des banques est au programme de la C.C.F., mais que jamais les créditistes ne le demandent.

Il en est qui s'en étonnent. Un abonné nous écrit que les banques contrôlant 90 pour cent des industries et étant créancières de 60 pour cent de la dette publique, l'étatisation des banques aurait pour résultat de détruire cette monopolisation de l'industrie et de faire disparaître ce gros morceau de la dette publique.

Deux opérations distinctes

Ce raisonnement ne tient pas compte de la dis­tinction entre deux genres d'opérations différentes : les opérations ayant trait à l'épargne et aux prêts, et les opérations ayant trait à l'émission et à la destruction du moyen d'échange.

Les deux opérations se font dans le même éta­blissement, par les mêmes institutions ; mais la première est mieux faite par des particuliers que par l'État, et la seconde n'aurait jamais dû être abandonnée à des particuliers. Supposez qu'une grande imprimerie de Montréal édite des livres, des revues, fait le commerce d'im­pressions de tous genres ; mais qu'en plus, cette imprimerie, avec l'autorisation du gouvernement, imprime les billets de $1.00, de $2.00, $5.00, et $10.00 quand elle y trouve son intérêt, et qu'elle refuse d'en imprimer quand elle n'y trouve pas son intérêt, même si le pays en a grand besoin.

Vous allez vous plaindre, avec raison, que le volume de l'argent est mal conduit, qu'il dépend des intérêts de cette imprimerie au lieu de répondre aux besoins du public.

Mais, à cause de cela, allez-vous demander au gouvernement de prendre possession de l'imprime­rie, et de faire lui-même le commerce des livres, des revues, des enveloppes, des en-têtes de lettres et de tous les autres travaux d'impression ? N'allez-vous pas plutôt dire au gouvernement : Otez à l'imprimerie le droit de faire les piastres, ou bien, pour cette partie de ses activités, commandez-lui de produire les billets seulement sur ordre et selon l'ordre du gouvernement.

Il en va de même avec les banques à charte.

En tant qu'institutions pour recevoir les épar­gnes et faire des placements productifs, les ban­ques n'ont pas plus besoin d'être étatisées que les Caisses Populaires.

Est-ce que les inscriptions, les additions, les soustractions dans les livres des banques seraient mieux surveillées et plus exactes si les teneurs de livres, au lieu d'être employés de banques, étaient employés du gouvernement ?

Est-ce que des fonctionnaires du gouvernement seraient mieux capables que les gérants de banque locaux de voir si tel prêt est un bon risque, si le prêteur a des chances de pouvoir rembourser ?

Est-ce que le fait de réussir une campagne élec­torale rend un groupe capable de mieux adminis­trer des opérations bancaires que l'expérience ac­quise par vingt ou trente ans dans le métier ?

Nous répugnons absolument à l'idée qu'un gou­vernement soit capable de faire un bon banquier, ou que les fonctionnaires du gouvernement puis­sent montrer plus d'impartialité dans leurs facilités de crédit que les gérants de banque qui sont res­ponsables, pour garder leur gagne-pain, de prêts suffisants et sûrs pour justifier le maintien de leur succursale.

Que le gouvernement laisse donc les opérations de banque aux banquiers, comme il doit laisser les opérations agricoles aux cultivateurs, les opéra­tions de commerce aux commerçants, les opéra­tions de transport aux experts du transport.

L'émission et le rappel de l'argent

Les réflexions qui précèdent se rapportent aux opérations strictement bancaires, opérations du même genre que les opérations faites sur une plus petite échelle par nos Caisses Populaires paroissia­les, ou par des institutions comme la Caisse d'Éco­nomie de Québec, ou la Banque de la Cité et du District de Montréal, où l'on n'opère que sur de l'argent déjà mis en circulation.

Mais dans les banques à charte, il existe une autre opération, que nous avons souvent décrite dans des articles de Vers Demain ou dans d'autre littérature créditiste : c'est le monnayage de la richesse du pays par le banquier.

Augmenter ou diminuer le volume d'argent du pays, c'est exercer un acte de souverain. C'est cette opération-là que les créditistes demandent de sous­traire au système bancaire.

C'est en créant les moyens de paiements, sous forme de prêts à ceux qui créent la richesse, que les banquiers monnayent à leur profit la richesse produite par d'autres.

Le correspondant qui demande de nationaliser les banques parce qu'elles s'emparent du contrôle de l'industrie en utilisant leurs prérogatives de monnayeurs de la richesse du pays, devrait se contenter de demander la suppression de ce droit de monnayage par les banquiers. Il obtiendrait le résultat qu'il cherche, sans atteinte à l'initiative privée et sans imposer aux gouvernements la voca­tion de banquier.

De même, c'est surtout en utilisant leur préro­gative de monnayage de la richesse du pays que les banques peuvent acheter les obligations du gouvernement et devenir créancières de 60 pour cent (selon notre correspondant) de la dette publi­que. En leur ôtant simplement cette prérogative, on supprime cette cause de dette, sans pour cela remettre sur les épaules du gouvernement les autres opérations bancaires.

La technique, aux techniciens

Le gouvernement n'est pas un technicien de l'argent. Et jamais les créditistes ne vont deman­der au gouvernement de remplacer le banquier dans les opérations bancaires.

Même dans la réglementation du volume de l'argent et du crédit en circulation, ils ne deman­dent pas au gouvernement de le faire à son gré. Mais de décréter par loi que ce volume soit main­tenu en rapport constant avec les faits de la pro­duction et de la consommation. Ces faits sont le résultat de mille facteurs, depuis le besoin et les désirs des consommateurs jusqu'aux facilités de production provenant du sol, de la température, de l'habileté des hommes et des applications de la science. La commission du crédit serait tenue, par la loi, d'agir d'après des faits qu'elle ne comman­derait aucunement.

Dans l'exemple donné plus haut, nous n'aurions aucune objection à ce que l'imprimeur continue à imprimer les billets, pourvu qu'il le fasse selon les ordres qui lui sont passés par les responsables de la société.

Ces responsables ne pourraient évidemment donner des ordres que d'après les faits de la pro­duction et de la consommation, ou bien les billets perdraient leur sens.

Nous n'aurions donc aucune objection à ce que le système bancaire garde l'exercice du monnayage de la richesse, si dans cet exercice il n'agit que comme technicien d'un objectif commandé par le gouvernement au nom de la société.

Mais aujourd'hui, le gouvernement du Canada possède sa Banque du Canada, et il nous semble que c'est l'institution toute trouvée pour agir com­me exécutrice. Le problème est de déterminer le gouvernement à passer des ordres pour avoir les résultats cherchés.

Au sujet de contrôle de l'industrie, nous ferons remarquer à notre correspondant que si l'argent nouveau, réclamé par les développements, était distribué directement aux consommateurs, comme le veut le Crédit Social, ce sont les consommateurs eux-mêmes qui diraient à l'industrie quoi faire pour eux : peu à peu, l'industrie serait donc con­trôlée, guidée (sans être possédée) par la foule des consommateurs.

Quant à la propriété même de l'industrie, elle reviendrait graduellement à ceux qui la conduisent, par l'extinction graduelle de leurs dettes, lorsque la finance d'entretien et d'expansion proviendrait de l'argent mis au monde, sans endettement, entre les mains des consommateurs qui achètent les produits.

Contrôle de l'objectif

Lorsqu'on veut entrer dans le domaine des na­tionalisations, on se heurte à une foule de diffi­cultés. Outre le découragement à l'initiative privée ; outre le manque d'expertise de la part de l'État, que nous avons souligné plus haut, il y a bien d'autres éléments à envisager : manque de fonds pour exproprier sans voler, ou sans créer d'autres dettes ailleurs ; la quasi-impossibilité de faire ren­dre gorge à des voleurs publics sans en même temps punir bien des innocents, tellement les épar­gnes véritables se trouvent mêlées avec les accapa­rements par simple monnayage de la richesse des autres. Et que de difficultés encore !

Mais si un gouvernement n'est pas expert pour exécuter, il l'est pour commander des résultats. S'il n'est pas qualifié pour entrer en discussion sur des techniques, il l'est pour imposer des sanctions aux experts qui refusent de fournir les résultats.

Aussi, les banquiers de la haute ne redoutent point tant que cela la nationalisation ; mais ils redoutent terriblement que les gouvernements, écoutant la pression d'un public éveillé, demandent aux banques, sous peine de sanctions, sous peine de perte de leurs droits, de voir à ce que l'instru­ment d'échange soit là où il faut pour accomplir sa fonction.

Un exemple

Si l'on doute de cette remarque, qu'on se rap­pelle la promptitude avec laquelle les banquiers s'élevèrent contre la petite loi promulguée en Alberta le 6 août 1937, et intitulée "Loi pour pour­voir à la réglementation du crédit de l'Alberta".

L'Alberta ne pouvait ni émettre ni supprimer une charte de banque. Fort bien. Le gouvernement d'Edmonton se contentait d'exiger une licence in­dividuelle pour quiconque opérerait en Alberta en vertu de ces chartes fédérales. Puis la loi contenait un alinéa de douze lignes (Art. 3, par. 4) pour im­poser aux banquiers un objectif de bien commun, sous peine de perdre leur licence.

C'est ce paragraphe 4 de l'article 3, imposant l'objectif, et les quatre paragraphes suivants (5, 6, 7, 8) contenant les sanctions, qui firent hurler nos monnayeurs, jusqu'à ce que la loi fût désavouée par leurs protecteurs d'Ottawa, onze jours plus tard.

Pourtant, il n'était question ni de nationalisa­tion, ni de confiscation.

Que réclamait donc le fameux paragraphe 4 de l'article 3 ?

Simplement que le banquier et chaque employé de banque, en demandant la licence, s'engagent à s'abstenir de tout acte et de toute participation à un acte de nature à restreindre ou enfreindre les droits civils et les droits de propriété d'un citoyen de la province.

Rien que s'abstenir de porter atteinte aux droits de propriété ou aux droits civils des citoyens. Pas plus que cela. Mais c'est un engagement que nul banquier ne voudra prendre, parce que le système bancaire ne connaît que les droits de l'argent. Une piastre qui ne rentre pas émeut la banque ; un homme chassé de chez lui ou une famille sur le pavé ne la tracasse pas le moins du monde.

D'après l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, c'est de la province que relève la protection de la propriété et des droits civils des citoyens. Ce qui justifiait la loi provinciale de l'Alberta pas­sée en 1937. Ottawa en a fait foin, et pas une province n'a protesté.

Louis Even

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