L'adoption du rapport Rowell-Sirois aurait étranglé les provinces. Le coup a échoué parce que trois premiers-ministres ont vu clair dans le jeu du gouvernement fédéral.
Il reste que le gouvernement fédéral, instrument d'une force invisible, a pour mission d'étrangler les provinces. Il doit enlever aux provinces toute liberté. Centraliser, centraliser de plus en plus, sous tous les prétextes possibles et impossibles. Centraliser afin d'affaiblir les individus, les petites sociétés, les petits gouvernements. Centraliser les pouvoirs dans les mains d'un gouvernement central, le fédéral, lui-même déjà soumis à une puissance centrale internationale, la Finance.
Si le gouvernement fédéral ne prenait pas les moyens d'étrangler les provinces, il ne serait pas le digne serviteur de la Finance, à laquelle seule il doit appartenir de régenter l'univers.
Pour savoir si Ottawa fut, dans le passé, fidèle à cet esclavage, on n'a qu'à regarder jusqu'à quel point tous les Canadiens sont à la merci des trusts. Qu'on examine les privilèges accordés à la finance par la loi des banques. Qu'on se rappelle la lutte faite par Ottawa à l'Alberta.
Ainsi par tous leurs faits et gestes, nos hommes d'État d'Ottawa ne nous semblent-ils pas avoir juré, par ignorance ou malhonnêteté, de sacrifier les provinces ?
Comment s'y prendront-ils ? Nous ne saurions le dire. Eux-mêmes ne le savent pas tout à fait d'avance. Les circonstances, les réactions ne permettent pas toujours d'arriver où l'on veut par la méthode qu'on a choisie.
Voyez, par exemple, pourra vous dire tel ministre d'Ottawa, voyez cette "maudite" conférence interprovinciale, convoquée à un moment qui paraissait propice pour une action rapide. Si elle n'avait pas échoué ! Mais elle a échoué. Il faudra prendre un autre moyen.
Lequel prendrons-nous ? Mais, c'est tout simple. On est en temps de guerre. Pour gagner la guerre, Ottawa doit posséder tous les pouvoirs sans que personne n'ait le droit de critiquer. Sans cela, impossible de gagner la guerre. Au nom donc de la guerre que nous voulons gagner, que tous les Canadiens veulent gagner, nous nous arrangerons pour que les provinces soient écrasées sous le poids de leurs dettes. Et alors, elles demanderont à Ottawa, comme une délivrance, de les prendre sous sa tutelle.
La première mesure à prendre dans ce sens est certainement de cesser toute contribution du gouvernement fédéral au fameux budget du chômage. Voilà qui va immédiatement ramener un grain de sagesse chez les autonomes.
Et afin de bâillonner les protestations, encore sous prétexte de mesure de guerre, nous n'admettrons plus la présentation des bills privés.
Au nom donc de la guerre, nous centraliserons !
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Telles semblent bien être les pensées d'Ottawa. Et qui n'en perçoit toute la perfidie ? Si vous regimbez, on vous dit que vous faites le jeu d'Hitler, que vous nuisez à l'effort de guerre, etc...
Pardon, messieurs d'Ottawa. Veuillez ne pas brouiller les cartes. D'aucuns ne pensent pas comme vous en matière de finance et veulent cependant la victoire tout autant que vous, même plus complète que vous.
Qui, autant que les créditistes, par exemple, est plus opposé à toute dictature, naziste, fasciste, financière aussi ? Ils aiment trop la liberté pour ne pas la défendre. Ils poursuivent l'idéal d'une véritable démocratie et ils sont prêts à le servir jusqu'à la mort.
Et justement, au nom de cette liberté que nous voulons, et pour laquelle nos frères se battent sur le front international, au nom de cette même liberté, nous réclamons que, sur le front national, notre gouvernement fédéral brise les chaînes qui l'attachent à la Finance Internationale. Nous voulons des gouvernements provinciaux plus à l'aise pour placer les richesses des provinces au service des habitants de leur province. Nous voulons que nos familles se fondent et prospèrent dans le bien-être que peut leur donner un pays d'abondance comme le Canada.
Pour le moment et pour toujours, cessez donc, messieurs du fédéral, de caresser et combiner votre projet de passer les provinces dans le même moulin pour en faire une saucisse délicieuse au palais du financier. Surtout, cessez de nous dire que vous faites cela pour gagner la guerre. Personne ne vous prend au sérieux.
Gilberte CÔTÉ
"Les puissances d'argent dévalisent la nation en temps de paix et conspirent contre elle en temps d'adversité. Elles sont plus despotiques qu'une monarchie, plus insolentes qu'une autocratie, plus égoïstes qu'une bureaucratie. Elles dénoncent comme ennemi public quiconque s'attaque à leurs méthodes ou exposent leurs crimes." (W. Jennings Bryan, The Power of the Common People)