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Montréal bouchardée

le samedi, 15 juin 1940. Dans Autres

Le cas de Montréal a donné lieu, entre autres, à deux débats intéressants à l'Assemblée Législative de Québec. L'un pour placer la métropole en tutelle, comme une enfant qui ne sait pas se conduire. L'autre pour lui imposer un nouveau mode d'administration.

Entre les deux, le tuteur a sorti une boucharde bien aiguisée pour ciseler Montréal au goût des banquiers : $100,000 de moins par mois aux chômeurs qui, paraît-il, n'ont jamais su se priver pour le bien de la cité ; 25 sous de plus par mois pour les usagers du téléphone (ce n'est pas la compagnie qui écope) ; $2.00 par an pour les clients de la radio (ce n'est pas le trust des appareils qu'on saigne) ; $5.00 pour le droit de refroidir les moteurs d'autos avec de l'eau du Saint-Laurent (le trust de la gazoline n'est pas visité). La boucharde est adroitement conduite : pas la moindre fentaille dans le taux d'intérêt à payer à ceux qui font d'un trait de plume et l'argent et les dettes.

La dernière remarque est de M. Camillien Houde. Et nous tenons à souligner qu'au cours des deux débats, c'est le maire de Montréal qui a fait preuve de plus d'humanisme et qui seul a su placer les fautes à la porte des véritables responsables.

Pourquoi la tutelle  ?

Montréal est en tutelle parce que la ville ne pouvait rencontrer le 16 mai une échéance de six millions et six cent mille dollars. Trois millions dûs aux banques et trois millions six cent mille dûs au public.

"Dûs au public, dit M. Houde, est une façon de parler, car sachez que ces trois millions six cent mille dollars rapportent intérêt à 6 pour cent. J'imagine qu'ils doivent être quelque part dans les coffres des banquiers. Car ces institutions n'ont pas l'habitude de distribuer avec désintéressement des placements aussi avantageux partout ailleurs que chez elles."

Les créditistes, qui connaissent le cycle vital de l'argent, sa naissance et sa mort dans les livres des banquiers, n'ont pas de peine à comprendre M. Houde. La dette de Montréal — 275 millions en dette consolidée et 40 millions en dette courante aux banques — ne surprend aucune personne renseignée.

Selon les remarques de M. Towers, président de la Banque du Canada, dès lors qu'un peuple est civilisé, il porte une dette. La dette est mesure de la civilisation et doit rester impayable. Les peuplades de l'Afrique n'en ont pas. Montréal n'est pas au centre des forêts africaines. Montréal possède rues et trottoirs, services publics et services sociaux. Tout cela représente du travail. Toute expansion de travail demande une expansion d'argent. Toute expansion d'argent est liée à un endettement — sous notre respectable régime financier. Alors...

Avec des accents émus, Adélard Godbout, Damien Bouchard et les autres boîtes pensantes à qui est dévolue la mission d'offrir les sacrifices aux banquiers depuis le vote provincial du 25 octobre dernier, ont déclaré qu'il fallait se hâter d'immoler Montréal par acte législatif avant que Maître Banco le fasse par acte judiciaire. Donc, dit un autre, c'est accomplir crânement un service remarquable que d'abriter sous la capuce de la Commission municipale provinciale les menottes financières de la deuxième ville française du monde.

Cet autre-là, hélas ! serait capable, vu ses connaissances, de voir beaucoup plus clair et d'expri­mer beaucoup plus juste. Mais depuis qu'il a rejoint le bercail libéral, tout en professant son indépendance — deux choses que les faits prouvent incompatibles — ce député emploie sa fougue à mitrailler en toute occasion le chef de l'opposition et à vernir les actes du gouvernement. Nous attendions mieux et plus pratique de sa part.

Le bill de Montréal

Quant au nouveau mode d'administration de Montréal, qui donna lieu au débat du 6 juin, nous préférons ne pas parler de la transformation du régime politique montréalais. Le temps dira ce qu'il vaut. Il ne change rien aux causes du mal. Que les contremaîtres d'esclaves soient choisis par tous les esclaves ou par les groupes les plus remuants, ils restent des contremaîtres d'esclaves.

Nous sommes tout de même enclins à croire que si le choix provient de clans bien à la sauce des maîtres de la finance, l'esclavagisme ne fera que s'affermir. Boards of Trade, Chambres de Commerce, universités mendiantes, syndicats se débattant dans l'atmosphère de la rareté, ligues composées d'un bureau et d'une demi-douzaine de membres, etc. — il ne manque à la liste des protecteurs ou des laquais, conscients ou inconscients, qu'une association rabbinique et une loge maçonnique. La bancocratie n'a pas dû protester.

M. Houde a parfaitement brossé le tableau de quelques-unes de ces associations d'où sortirent un tiers des représentants de la métropole.

Nous sommes bien prêt à enregistrer la remarque de M. Godbout, que

"personne, ni dans la Chambre législative ni ailleurs, ne peut nous empêcher de nous acheminer vers le corporatisme dans l'administration de la chose publique."

Mais nous refusons catégoriquement de reconnaître autre chose qu'une caricature burlesque et dépréciative du corporatisme dans cette distribution des pouvoirs électifs. Le corporatisme ne consiste pas à dissimuler les véritables maîtres en conférant l'autorité à leurs suivants. Le corporatisme naîtra de la décentralisation par le respect des autonomies, pas de l'assassinat des autonomies pour soumettre la multitude à une finance extrêmement centralisée.

Louis EVEN

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