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L’homme ou l’économique d’abord ?

le vendredi, 01 novembre 1940. Dans Autres

Faut-il d'abord travailler à réformer l'homme, puis l'économique ensuite ? Nous répondons sans hésiter : il faut mener ces deux réformes de front. Parce que l'homme et l'économique ont impérieusement besoin d'être réformés le plus tôt possible si l'on veut éviter la révolution. Et aussi, parce que rien n'empêche de les réformer simultanément.

Minimum de biens matériels nécessaire

La vie spirituelle de l'homme n'élimine pas ses besoins matériels. Elle peut les diminuer, les atténuer, les altérer, mais ne les fera jamais disparaître. Et nous pouvons ajouter que sans la satisfaction de leurs besoins matériels, il est extrêmement difficile, pour le plus grand nombre des hommes, de travailler efficacement à la seule œuvre qui importe, leur salut éternel.

Jésus, ce profond psychologue de la nature humaine, n'a-t-il pas multiplié les pains et les poissons pour en nourrir la foule avant de lui donner le sermon de la Montagne ? Saint Thomas d'Aquin, cette lumière de l'Église, n'a-t-il pas écrit qu'un minimum d'aisance et de confort est nécessaire à la pratique de la vertu. Pie XI, dont les encycliques demeureront un glorieux monument à sa mémoire, pensait-il autrement lorsqu'il disait que l'organisation économique de l'heure présente est telle qu'il est devenu difficile pour un grand nombre d'opérer leur salut ? Et dernièrement nous lisions dans Le Peuple est-il éducable ?, livre du Rév. G. Poulin, o. f. m., ce passage très juste : "Il est impossible d'attirer le peuple à une éducation humaniste avant d'avoir assuré sa sécurité matérielle".

Réforme spirituelle nécessaire

Que l'homme ait besoin d'être réformé, dans son cœur et dans son esprit, nous le savons que trop. L'état moral lamentable de la société moderne l'atteste indubitablement. L'Église y travaille depuis deux mille ans. L'économique serait-il par hasard responsable de cette apparente faillite à réformer l'homme ? C'est fort possible. Des centaines de milliers de prêtres y ont consacré leur vie et le meilleur de leur intelligence. Leurs successeurs aujourd'hui font de même. Les plus célèbres d'entre eux ont fustigé les mœurs des politiciens, les dévergondages des grands et l'abdication des élites en face de leurs devoirs. Leurs prédications n'ont pas été inutiles. Loin de là.

Mais soutiendra-t-on qu'il aurait fallu retarder alors les réformes économiques et politiques pour qu'elles se fassent seulement au rythme des progrès spirituels de l'homme ? Ou bien ne faut-il pas penser que les étapes successives de l'émancipation matérielle de l'humanité ont rendu, et rendent encore aujourd'hui, plus facile l'évangélisation des civilisés et des non-civilisés ? Nous le croyons.

L'Église et l'Économique

Les sphères d'activités de la religion et de l'économique sont bien distinctes. Mais elles concernent le sort d'un seul et même homme. La connaissance et la pratique de ses devoirs sociaux rendent l'homme meilleur et l'aident à mieux remplir ses devoirs religieux. Et, en revanche, l'État, la société, n'ont pas à se soucier beaucoup de la conduite d'un saint.

La hiérarchie de l'Église catholique s'en rend bien compte d'ailleurs. N'encourage-t-elle pas l'extension du mouvement coopératif ? la diffusion de la doctrine corporative ? la fondation de syndicats catholiques ? Toutes ces activités relèvent du domaine économique et politique. Qui oserait soutenir que les prêtres devraient cesser ce genre d'apostolat pour se consacrer uniquement à réformer l'homme ?

Tous devraient se réjouir qu'un groupe d'hommes désintéressés préconise et propage la doctrine du Crédit Social, reconnue par d'éminents théologiens et philosophes catholiques, comme étant conforme à la doctrine sociale de l'Église. Leur dévouement et leurs sacrifices ont grandement aidé à combattre le socialisme et le communisme en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Canada. Personne ne peut nier ce fait. On ne devrait pas l'oublier. Les créditistes ont été les collaborateurs ignorés des adversaires des doctrines subversives. Ils ont été persécutés par ceux-là mêmes qui auraient dû les encourager.

Crédit Social et Corporatisme

L'application des principes créditistes n'exclut pas le corporatisme et la coopérative. Tout au contraire. Nous l'avons déjà dit dans un article publié en 1936 dans les Cahiers du Crédit Social de M. Louis Even :

"On nous demande souvent, à nous Créditistes, ce que nous pensons du Corporatisme. Nous répondons que les doctrines du Corporatisme et du Crédit Social se complètent d'une façon admirable. Le Corporatisme voit à l'organisation de la production. Il n'a pu donner jusqu'à présent sa pleine mesure, non pas à cause de ses principes qui sont vrais, justes et scientifiques, mais à cause d'un système financier absurde qui en paralyse et détruit tous les bons effets.

Ce système financier s'appuie sur des théories, qui sont fausses ; il empêche cette distribution équitable et complète que nous réclamons et, de plus, il est tombé aux mains de trafiquants qui l'exploitent pour leur bénéfice personnel... L'Ordre Nouveau sera donc établi sur les principes essentiels du Corporatisme pour l'organisation de la production et sur ceux du Crédit Social pour celle de la distribution

Les réformateurs chrétiens et bien intentionnés sont trop peu nombreux pour qu'ils se paient le luxe de s'entredévorer. Le champ d'action est si vaste qu'ils peuvent sans se nuire le cultiver ensemble. Chacun dans son domaine, la main dans la main dans toutes les occasions possibles, qu'ils travaillent au relèvement moral et social de l'humanité. C'est là la garantie la plus certaine du triomphe de la vérité sur l'erreur. Et aussi d'une révolution paisible vers un ordre meilleur.

Armand TURPIN

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