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Et chez les hommes

le mardi, 15 octobre 1940. Dans Autres, Réflexions

Nous connaissons la fable de La Fontaine "Les animaux malades de la peste".

Relisons-la en page 6 du présent numéro de VERS DEMAIN.

Au temps de La Fontaine, les animaux, un jour qu'un grand malheur ravageait toute leur nation, firent un grand rassemblement qui réunit un représentant de chaque corporation.

Il s'agit de trouver la cause du mal qui s'abat sur eux.

Ce mal est un mal physique : la peste. "Mais, disent les grands-prêtres du troupeau, sa cause est une cause morale certainement, venant de ce que le ciel veut punir les coupables qui sont parmi nous."

C'est si bien dit, et ça part de si haut, que les autres animaux ne discutent même pas cette assertion. Aucun ne pense à l'analyser. Ce doit être un principe éternel écrit dans Les Saints Livres, pensent-ils.

Mais, ce qu'il faut discuter, ce qu'il faut rechercher, c'est le nom des coupables, car sans contredit encore, la société elle-même ne peut être coupable en bloc. Quelques-uns, un seul peut-être, a mérité sur tous la colère du ciel.

Celui-là, il faut le trouver. Et comme chacun prend à cœur le salut de tous, que chacun vienne, humblement, sincèrement, s'accuser de ses fautes.

★ ★ ★

Et le rideau se lève.

Au premier acte, ce sont les puissants qui devant tous étalent leur conscience. Ils se savent coupables, et ils le confessent. Mais, ils doivent le dire sans beaucoup d'humilité, en faisant même sentir leur force, car tout le parlement, habitué à courber l'échine devant ces barons de la griffe et de la gueule, se hâte de passer l'éponge sur les "peccadilles" des grands voleurs.

Puis, vient le tour des faibles, de l'âne qui, lui aussi, a ses péchés à se reprocher.

Oui, l'âne a volé le prochain. L'âne a mangé l'herbe dans le champ du voisin. Oh ! pas beaucoup, la largeur de sa langue.

Mais tous les animaux en chœur : "Comment, pas beaucoup ? La largeur de sa langue ! L'herbe d'autrui ! Quelle injustice ! Haro ! sur le baudet ! C'est lui le grand coupable, c'est lui qui nous a valu la colère du ciel. Qu'il se sacrifie pour expier, lui. Et le ciel retirera sa colère."

★ ★ ★

Le baudet, le reconnaissez-vous ? C'est le chômeur. Ne vit-il pas des sueurs des autres ? son pain, il ne le gagne pas : on le lui fait bien sentir. Et on le fera payer. Et on le blâme en certains milieux. "Il ne travaille pas parce qu'il ne veut pas. C'est un parasite. II faut l'envoyer dans le bois, ou le laisser crever. Ainsi, on purgera la société."

Et le grand voleur, lui, celui qui vole des santés, des vies humaines, des jeunesses, de grands idéals, des libertés, on ne dit rien contre lui. On aurait peur de se faire manger une fois de plus !

Si La Fontaine revenait, c'est peut-être les hommes qu'il mettrait en scène à la place des animaux.

Gilberte CÔTÉ

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