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Crèche et crèche

le mercredi, 01 janvier 1941. Dans Autres, Réflexions

Devant la crèche (Première partie)

Oui, en ce début de janvier, nous avons tous deux crèches présentes à l'esprit : celle où naît le Roi des Pauvres, qui nourrit les âmes de ceux qui vivent encore de leur âme ; celle où naît le roi des riches, le roi des affaires, des guerres, du plaisir ; le roi même de la compétence ; le roi encore de la presse, "Université des masses", donc du savoir et de l'ignorance, le roi de la vie enfin : le dollar !

Jésus ! Mammon ! Dieu et dieu ! Tous, sans exception, nous servons l'un ou l'autre, même les esprits "subtils" et "ultradiplomates", qui tentent, inconsciemment souvent, de servir à la fois l'un et l'autre.

Deux tableaux

Devant la première crèche, s'agenouillent, en esprit d'abord, (mais que d'autres s'agenouillent de corps seulement !) les âmes simples, vraies, derniers refuges de l'Amour.

Devant la seconde, est prostrée l'immense foule des autres, de plus en plus nombreuse, car, par une loi fatale et sûre, fonction d'un régime monétaire bâtard, tout se socialise de plus en plus, tout se fonctionnarise, tout se bureaucratise.

Toujours, toujours plus de fonctionnaires, donc de gens liés, attachés, vassalisés, moutons qui deviennent littéralement cochons quand il s'agit de défendre leur auge. Écoutez-les "discuter", par exemple, du Crédit Social ! De bons garçons, la plupart du temps, — et Dieu sait si le "bon-garçonnisme" est à la mode, là où l'on n'est pas encore tout à fait pourri ! — mais qui avaient faim, eux et les leurs, et qui maintenant, un peu confus bien souvent, se trouvent à plat ventre devant une des crèches annexes, subsidiaires, filiales de la crèche-mère qu'est la Haute-Finance.

C'est dire que ces pauvres gens sont à plat ventre devant l'autel d'un parti, au service d'un gouvernement, puisque ce sont les partis et les gouvernements qui distribuent ce que leur permet la dictature de l'Argent.

Partout les soviets de fonctionnaires fonctionnent, mettent en place, déplacent, engagent, congédient. Peuple de fonctionnaires, peuple de froussards, d'avachis, de déchus. Et la progression dans ce sens est continue. Pour vivre, il faut "licher".

Centralisation et Corporatisme

Aussi les prêtres de la finance et les magiciens de parti peuvent-ils centraliser à leur aise. Le ventre, c'est plus bas que la tête ; mais il appert que lorsque l'on tient quelqu'un par là, fût-il frotté de Lettres, de Philosophie et même d'autre chose, on le mène où l'on veut,... s'il n'a pas la Charité. Car la Charité ne dort pas ; elle est vigilante, ardente, généreuse ; elle a faim, quand la foule a faim ; elle meurt d'inanition, quand des enfants meurent d'inanition ; elle habite les taudis, quand des petits grelottent dans des taudis.

Centralisez, messieurs, centralisez, et on vous dira que vous faites du corporatisme. Pour un si paradoxal résultat, vous n'avez, vous "qui distribuez en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont vous tenez la vie entre vos mains." (Quadragesimo Anno), qu'à permettre de "respirer" (ibidem) aux mages qui détiennent les avenues de "tout" "savoir" en économie. Vous leur accorderez cette permission, en continuant de leur permettre de garder leur position lucrative, leur chaire, leur notoriété,... ou en leur permettant de rencontrer, sans trop de gêne, des obligations de toutes sortes. En notre régime de dettes universelles, ces choses-là s'expliquent, et nous sommes loin des temps naïfs où les saints, les évêques, les abbés vendaient les vases sacrés de leur trésor, pour subvenir aux besoins des affamés. D'autant plus que les circonstances sont changées, qu'il y a, aujourd'hui, de quoi satisfaire à tous ces besoins à la fois.

Mais quittons ce triste tableau et revenons aux pieds de l'Enfant dont la venue nous présente de si vivantes leçons. Ce sera plus conforme à l'esprit des Fêtes.

D'ailleurs, il me répugne de revenir à vous, chers lecteurs, uniquement pour grogner. Je suis venu vous présenter mes souhaits, après une absence imposée par les circonstances. Mon retour sera peut-être éphémère, cette fois-ci ; mais croyez que je n'abandonne pas la lutte. Un jour, je l'espère, je pourrai reprendre la série de mes articles.

Souhaits

Voici donc mon souhait, pour vous et pour moi-même, devant la Crèche du vrai Dieu :

Comprendre et vivre le sens profond d'une action sociale réalisée en chrétien.

Qu'on remarque que je ne dis pas "en tant que chrétien", parce que, lorsqu'on a choisi de travailler dans le secteur monnaie, on s'est orienté vers un plan d'activité proprement temporel et que, raison de fond, il n'appartient pas à un laïque de donner, de lui-même, des directives qui relèvent du seul pouvoir spirituel.

Fin et esprit

Méditons un peu sur ce souhait. Il s'agit d'action ; donc il y a une fin poursuivie et une mentalité, un "esprit" au service de cette fin, esprit que manifeste notre manière habituelle d'être, d'agir et de réagir.

Bien sûr qu'il y a bien autre chose dans toute action ; mais arrêtons-nous à ces deux points-là.

Posons un cas, le vôtre probablement.

D'une part, vous comprenez la question de l'argent,... donc sa place et son importance dans les cadres intégraux d'une réforme véritable,... donc ses relations avec les autres réformes nécessaires, le corporatisme pour une.

D'autre part, vous êtes frappé par l'inconcevable conspiration du silence autour de cette question fondamentale, silence de la presse, journaux et revues ; silence des professeurs d'économie, réformistes ou non ; silence de tous ceux qui détiennent quelque chaire et quelque autorité ; silence de ceux qui croient être plus libres comme de ceux qui le sont moins.

Mauvaise foi

Surtout, vous constatez la mauvaise foi, consciente ou non, de certains apôtres sociaux, qui s'obstinent à dénigrer, systématiquement, les propagandistes ou les théoriciens du Crédit Social dans Québec ; ainsi ces "pondérés", ces "équilibrés" glisseront avec onction et détachement : "Les créditistes ont raison, mais ils ramènent trop tout à la monnaie, ils parlent trop exclusivement de monnaie."

Ils ont raison, mais... pas comme nous, qui, il va sans dire, ne parlons jamais monnaie.

Et autres insinuations du même genre !

Vous vous rappelez le pauvre Pasteur, qui voyait des microbes partout. Que diable ne se contentait-il pas de remoraliser ! Que ne gardait-il les sentiers battus ! Tout allait si bien en médecine, pour les médecins et les bien portants.

Enfin, vous constatez le peu d'amour réel de la vérité pour elle-même. On a tous les soucis, diplomatique, éristique, et autres ; on se préoccupe d'abord de ce que pense un tel ou un tel : "tel bonze a dit" ; personne n'étudie vraiment cette question de la monnaie à sa valeur intrinsèque, en faisant table rase des jugements plus ou moins intéressés. Opportunisme ! Démission de l'esprit !

Devant ces constatations, le dégoût vous prend, l'indignation vous soulève.

C'est le moment de songer à la fin, aux fins que vous poursuivez.

Quelques remarques

Le Crédit Social est né dans une tête protestante, et il y aurait bien des considérations intéressantes à faire à ce sujet ; mais les créditistes du Québec, sans rien diminuer au Crédit Social, l'ont déjà bel et bien baptisé.

Autre considération : entendu dans un sens très strict, le Crédit Social est d'abord une solution monétaire, un simple problème de comptabilité ; mais, dans un sens plus large, et réel tout de même, il pose tout le problème de l'humanisme, du personnalisme, tant il est vrai que les plans sont interdépendants dans leur distinction. Le Crédit Social postule une conception de la vie, conception dont les lignes maîtresses sont en sens inverse de celles du monde économique qui s'écroule ou va s'écrouler.

Et vous qui le connaissez bien, qui avez vu tout de suite que ses principes étaient la réfraction parfaite, sur le plan social, de vos croyances religieuses les plus chères, vous saurez comprendre comment la Mystique du Christ, la seule vraie, est nécessaire à celui qui veut lutter avec avantage contre tant et tant d'ennemis, et si puissants, même contre ceux de sa propre maison. Et tout cela, en évitant bien de compromettre de si hautes valeurs, mais en les servant amoureusement dans son cœur.  (à suivre)

Théophile BERTRAND

Le monde demande des changements qui soient autre chose que "du fumier retourné". (Lucien Bonaparte, cité par Jacques Maritain.)

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