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Exhortation apostolique Gaudete et exsultate

le mardi, 01 mai 2018. Dans Encycliques et autres documents du Magistère

sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel

Adoration de la Trinité - Albrecht DürerAdoration de la Trinité, par le peintre allemand Albrecht Dürer, 1511

 

Le 9 avril 2018, la Salle de Presse du Vatican publiait la troisième exhortation apostolique du pape François intitulée «Gaudete et Exsultate» (Soyez dans la joie et l’allégresse) et portant sur la sainteté dans le monde actuel. C’est la troisième exhortation apostolique du Saint-Père, après Evangelii gaudium sur l’annonce de l’Évangile, en 2013, et Amoris laetitia sur l’amour dans la famille, en 2016.

Il nous fait plaisir de publier de larges extraits de ce document important, à relire et à méditer, que plusieurs décrivent comme étant le plus beau texte du pontificat actuel. Plusieurs s’imaginent que devenir un saint n’est pas la vocation de tous, mais seulement de quelques âmes d’exception, mais le pape nous rappelle que c’est vraiment tous et chacun de nous qui sont appelés par Dieu à devenir des saints, pour accomplir la mission unique que Dieu nous confie.

C’est un sujet d’une extrême importance, puisqu’il s’agit de notre salut éternel: Dieu désire bien sûr que tous aillent au Ciel pour passer une éternité de bonheur avec Lui, mais cela ne se fait pas automatiquement, il y a des conditions à remplir: l’amour de Dieu et du prochain. Au Ciel, il n’y a que des saints. Ceux qui ne sont pas saints lors de leur mort corporelle, mais sont tout de même en état de grâce, passent d’abord par le Purgatoire pour y être purifiés. Et malheureusement, il existe une troisième possibilité, pour ceux qui meurent en état de péché mortel: c’est l’enfer, être séparé de Dieu pour l’éternité.

L’exhortation est divisée en cinq chapitres: l’appel à la sainteté, deux écueils à éviter, les Béatitudes, cinq caractéristiques de la sainteté pour aujourd’hui, et le combat spirituel que nous avons à mener pour résister aux tentations du diable, qui «n’est pas un mythe mais un être qui existe vraiment», dit le pape. Voici donc de larges extraits de cette exhortation; les numéros sont ceux des paragraphes dans le texte original:


 

Pape François

par le pape François

1. «Soyez dans la joie et l’allégresse» (Mt 5, 12), dit Jésus à ceux qui sont persécutés ou humiliés à cause de lui. Le Seigneur demande tout; et ce qu’il offre est la vraie vie, le bonheur pour lequel nous avons été créés. Il veut que nous soyons saints et il n’attend pas de nous que nous nous contentions d’une existence médiocre, édulcorée, sans consistance.

2. (…) Mon humble objectif, c’est de faire résonner une fois de plus l’appel à la sainteté, en essayant de l’insérer dans le contexte actuel, avec ses risques, ses défis et ses opportunités. En effet, le Seigneur a élu chacun d’entre nous pour que nous soyons « saints et immaculés en sa présence, dans l’amour » (Ep 1, 4).

Les saints «de la porte d’à côté»

Les saintsL’Église catholique compte plus de 10 000 saints et bienheureux reconnus officiellement au calendrier liturgique, mais comme le dit le pape François, il existe des milliers d’autres personnes qui ne seront jamais canonisées, mais sont néanmoins parmi les saints du Ciel, les «saints de la porte d’à côté», peut-être nos parents et grands-parents ou d’autres qui ont vécu proches de nous.

6. Ne pensons pas uniquement à ceux qui sont déjà béatifiés ou canonisés. L’Esprit Saint répand la sainteté partout, dans le saint peuple fidèle de Dieu...

7. J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu: chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté «de la porte d’à côté», de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, «la classe moyenne de la sainteté».

L’appel à la sainteté

10. Ce que je voudrais rappeler par la présente Exhortation, c’est surtout l’appel à la sainteté que le Seigneur adresse à chacun d’entre nous, cet appel qu’il t’adresse à toi aussi: «Vous êtes devenus saints car je suis saint» (Lv 11, 44 ; cf. 1 P 1, 16).

14. Pour être saint, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse ou religieux. Bien des fois, nous sommes tentés de penser que la sainteté n’est réservée qu’à ceux qui ont la possibilité de prendre de la distance par rapport aux occupations ordinaires, afin de consacrer beaucoup de temps à la prière. Il n’en est pas ainsi. Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve.

Es-tu une consacrée ou un consacré? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels.

15. Laisse la grâce de ton baptême porter du fruit dans un cheminement de sainteté. Permets que tout soit ouvert à Dieu et pour cela choisis-le, choisis Dieu sans relâche. Ne te décourage pas, parce que tu as la force de l’Esprit Saint pour que ce soit possible; et la sainteté, au fond, c’est le fruit de l’Esprit Saint dans ta vie (cf. Ga 5, 22-23). Quand tu sens la tentation de t’enliser dans ta fragilité, lève les yeux vers le Crucifié et dis-lui: «Seigneur, je suis un pauvre, mais tu peux réaliser le miracle de me rendre meilleur».

Dans l’Église, sainte et composée de pécheurs, tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour progresser vers la sainteté. Le Seigneur l’a remplie de dons par sa Parole, par les sacrements, les sanctuaires, la vie des communautés, le témoignage de ses saints, et par une beauté multiforme qui provient de l’amour du Seigneur, «comme la fiancée qui se pare de ses bijoux» (Is 61, 10).

16. Cette sainteté à laquelle le Seigneur t’appelle grandira par de petits gestes. Par exemple: une dame va au marché pour faire des achats, elle rencontre une voisine et commence à parler, et les critiques arrivent. Mais cette femme se dit en elle-même: «Non, je ne dirai du mal de personne». Voilà un pas dans la sainteté! Ensuite, à la maison, son enfant a besoin de parler de ses rêves, et, bien qu’elle soit fatiguée, elle s’assoit à côté de lui et l’écoute avec patience et affection. Voilà une autre offrande qui sanctifie! Ensuite, elle connaît un moment d’angoisse, mais elle se souvient de l’amour de la Vierge Marie, prend le chapelet et prie avec foi. Voilà une autre voie de sainteté! Elle sort après dans la rue, rencontre un pauvre et s’arrête pour échanger avec lui avec affection. Voilà un autre pas!

 

«Toi aussi, tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie comme une mission. Demande à l’Esprit Saint ce que Jésus attend de toi à chaque moment de ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour discerner la place que cela occupe dans ta propre mission.»
– Pape François
Pape François

 

Ta mission dans le Christ

19. Pour un chrétien, il n’est pas possible de penser à sa propre mission sur terre sans la concevoir comme un chemin de sainteté, car «voici quelle est la volonté de Dieu: c’est votre sanctification» (1 Th 4, 3). Chaque saint est une mission; il est un projet du Père pour refléter et incarner, à un moment déterminé de l’histoire, un aspect de l’Évangile.

20. Cette mission trouve son sens plénier dans le Christ et ne se comprend qu’à partir de lui. Au fond, la sainteté, c’est vivre les mystères de sa vie en union avec lui. Elle consiste à s’associer à la mort et à la résurrection du Seigneur d’une manière unique et personnelle, à mourir et à ressusciter constamment avec lui. Mais cela peut impliquer également de reproduire dans l’existence personnelle divers aspects de la vie terrestre de Jésus: sa vie cachée, sa vie communautaire, sa proximité avec les derniers, sa pauvreté et d’autres manifestations du don de lui-même par amour. La contemplation de ces mystères, comme le proposait saint Ignace de Loyola, nous amène à les faire chair dans nos choix et dans nos attitudes. Car «tout dans la vie de Jésus est signe de son mystère», «toute la vie du Christ est Révélation du Père»…

21. (…) «La mesure de la sainteté est donnée par la stature que le Christ atteint en nous, par la mesure dans laquelle, avec la force de l’Esprit Saint, nous modelons toute notre vie sur la sienne». (Benoît XVI, Audience générale du 13 avril 2011.) Ainsi, chaque saint est un message que l’Esprit Saint puise dans la richesse de Jésus-Christ et offre à son peuple.

23. Pour nous tous, c’est un rappel fort. Toi aussi, tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie comme une mission. Essaie de le faire en écoutant Dieu dans la prière et en reconnaissant les signes qu’il te donne. Demande toujours à l’Esprit ce que Jésus attend de toi à chaque moment de ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour discerner la place que cela occupe dans ta propre mission. Et permets-lui de forger en toi ce mystère personnel qui reflète Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui.

25. Comme tu ne peux pas comprendre le Christ sans le Royaume qu’il est venu apporter, ta propre mission est inséparable de la construction de ce Royaume: «Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît» (Mt 6, 33). Ton identification avec le Christ et avec ses désirs implique l’engagement à construire, avec lui, ce Royaume d’amour, de justice et de paix pour tout le monde. Le Christ lui-même veut le vivre avec toi, dans tous les efforts ou les renoncements que cela implique, et également dans les joies et dans la fécondité qu’il peut t’offrir. Par conséquent, tu ne te sanctifieras pas sans te donner corps et âme pour offrir le meilleur de toi-même dans cet engagement.

A ce point-ci de son texte, le Saint-Père aborde la question du débat entre action et contemplation (voir l’encadré ci-bas), souligné dans le passage de l’Évangile selon saint Luc où Marthe et Marie, sœurs de Lazare, reçoivent Jésus. Les deux (contemplation et action) sont nécessaires, et notre action doit être basée sur notre contemplation, c’est-à-dire la prière et l’écoute de la Parole de Dieu:

27. (…) Nous sommes parfois tentés de reléguer au second plan le dévouement pastoral ou l’engagement dans le monde, comme si c’étaient des «distractions» sur le chemin de la sanctification et de la paix intérieure. On oublie que «la vie n’a pas une mission, mais qu’elle est mission». (…)

29. Cela n’implique pas de déprécier les moments de quiétude, de solitude et de silence devant Dieu. Bien au contraire! Car les nouveautés constantes des moyens technologiques, l’attraction des voyages, les innombrables offres de consommation, ne laissent pas parfois d’espaces libres où la voix de Dieu puisse résonner. (…) Comment donc ne pas reconnaître que nous avons besoin d’arrêter cette course fébrile pour retrouver un espace personnel, parfois douloureux mais toujours fécond, où s’établit le dialogue sincère avec Dieu? (…)

31. Il nous faut un esprit de sainteté qui imprègne aussi bien la solitude que le service, aussi bien l’intimité que l’œuvre d’évangélisation, en sorte que chaque instant soit l’expression d’un amour dévoué sous le regard du Seigneur. Ainsi, tous les moments seront des marches sur notre chemin de sanctification.

Plus vivants, plus frères

Sainte Joséphine BakhitaSainte Joséphine Bakhita

32. N’aie pas peur de la sainteté. Elle ne t’enlèvera pas les forces, ni la vie ni la joie. C’est tout le contraire, car tu arriveras à être ce que le Père a pensé quand il t’a créé et tu seras fidèle à ton propre être. Dépendre de lui nous libère des esclavages et nous conduit à reconnaître notre propre dignité. Cela se reflète en sainte Joséphine Bakhita qui «enlevée et vendue en esclavage à l’âge de 7 ans, […] endura de nombreuses souffrances entre les mains de maîtres cruels. Mais elle comprit que la vérité profonde est que Dieu, et non pas l’homme, est le véritable Maître de chaque être humain, de toute vie humaine. L’expérience devint une source de profonde sagesse pour cette humble fille d'Afrique».

33. Dans la mesure où il se sanctifie, chaque chrétien devient plus fécond pour le monde. Les évêques de l’Afrique occidentale nous ont enseigné: «Nous sommes appelés dans l’esprit de la Nouvelle Évangélisation à nous laisser évangéliser et à évangéliser à travers les responsabilités confiées à tous les baptisés. Nous devons jouer notre rôle en tant que sel de la terre et lumière du monde où que nous nous trouvions». (Message pastoral à la fin de la 2ème Assemblée plénière (29 février 2016), n. 2.)

34. N’aie pas peur de viser plus haut, de te laisser aimer et libérer par Dieu. N’aie pas peur de te laisser guider par l’Esprit Saint. La sainteté ne te rend pas moins humain, car c’est la rencontre de ta faiblesse avec la force de la grâce. Au fond, comme disait Léon Bloy, dans la vie «il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints».

Deux ennemis subtils de la sainteté

Dans le deuxième chapitre de son exhortation apostolique, le Pape François met en garde contre «deux falsifications de la sainteté qui pourraient nous faire dévirer du chemin : le «gnosticisme» (qui échafaude des constructions humaines à la place des mystères divinement révélés) et le «pélagianisme» (qui implique que nous pouvons plaire à Dieu par la force naturelle de notre volonté qui n'a pas besoin de la grâce divine pour inspirer et nourrir le bien en nous.)

Le résumé de la Loi: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même»

60. Pour éviter cela (le gnosticisme et le pélagianisme), il est bon de rappeler fréquemment qu’il y a une hiérarchie des vertus qui nous invite à rechercher l’essentiel. Le primat revient aux vertus théologales qui ont Dieu pour objet et cause. Et au centre se trouve la charité. Saint Paul affirme que ce qui compte vraiment, c’est «la foi opérant par la charité» (Ga 5, 6). Nous sommes appelés à préserver plus soigneusement la charité: «Celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi […]. La charité est donc la loi dans sa plénitude» (Rm 13, 8.10). «Car une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude» (Ga 5, 14).

61. En d’autres termes: dans l’épaisse forêt de préceptes et de prescriptions, Jésus ouvre une brèche qui permet de distinguer deux visages: celui du Père et celui du frère. Il ne nous offre pas deux formules ou deux préceptes de plus. Il nous offre deux visages, ou mieux, un seul, celui de Dieu qui se reflète dans beaucoup d’autres. Car en chaque frère, spécialement le plus petit, fragile, sans défense et en celui qui est dans le besoin, se trouve présente l’image même de Dieu. En effet, avec cette humanité vulnérable considérée comme déchet, à la fin des temps, le Seigneur façonnera sa dernière œuvre d’art. Car «qu’est-ce qui reste, qu’est-ce qui a de la valeur dans la vie, quelles richesses ne s’évanouissent pas? Sûrement deux: le Seigneur et le prochain. Ces deux richesses ne s’évanouissent pas».

 

«Comment fait-on pour parvenir à être un bon chrétien?”, la réponse est simple: il faut mettre en œuvre, chacun à sa manière, ce que Jésus déclare dans le sermon des béatitudes.»

Les Béatitudes Mathieu 5;3-12

 

À la lumière du maître: les Béatitudes

63. Il peut y avoir de nombreuses théories sur ce qu’est la sainteté, d’abondantes explications et distinctions. Cette réflexion pourrait être utile, mais rien n’est plus éclairant que de revenir aux paroles de Jésus et de recueillir sa manière de transmettre la vérité. Jésus a expliqué avec grande simplicité ce que veut dire être saint, et il l’a fait quand il nous a enseigné les béatitudes (cf. Mt 5, 3-12; Lc 6, 20-23). Elles sont comme la carte d’identité du chrétien. Donc, si quelqu’un d’entre nous se pose cette question, «comment fait-on pour parvenir à être un bon chrétien ?», la réponse est simple: il faut mettre en œuvre, chacun à sa manière, ce que Jésus déclare dans le sermon des béatitudes. À travers celles-ci se dessine le visage du Maître que nous sommes appelés à révéler dans le quotidien de nos vies.

64. Le mot “heureux” ou “bienheureux”, devient synonyme de “saint”, parce qu’il exprime le fait que la personne qui est fidèle à Dieu et qui vit sa Parole atteint, dans le don de soi, le vrai bonheur.

À contrecourant

65. Bien que les paroles de Jésus puissent nous sembler poétiques, elles vont toutefois vraiment à contrecourant de ce qui est habituel, de ce qui se fait dans la société ; et, bien que ce message de Jésus nous attire, en réalité le monde nous mène vers un autre style de vie. Les béatitudes ne sont nullement quelque chose de léger ou de superficiel, bien au contraire; car nous ne pouvons les vivre que si l’Esprit Saint nous envahit avec toute sa puissance et nous libère de la faiblesse de l’égoïsme, du confort, de l’orgueil.

66. Écoutons encore Jésus, avec tout l’amour et le respect que mérite le Maître. Permettons-lui de nous choquer par ses paroles, de nous provoquer, de nous interpeller en vue d’un changement réel de vie. Autrement, la sainteté ne sera qu’un mot. Examinons à présent les différentes béatitudes dans la version de l’Évangile selon Matthieu (cf. Mt 5, 3-12):

«Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux».

67. L’Évangile nous invite à reconnaître la vérité de notre cœur, pour savoir où nous plaçons la sécurité de notre vie. En général, le riche se sent en sécurité avec ses richesses, et il croit que lorsqu’elles sont menacées, tout le sens de sa vie sur terre s’effondre. Jésus lui-même nous l’a dit dans la parabole du riche insensé, en parlant de cet homme confiant qui, comme un insensé, ne pensait pas qu’il pourrait mourir le jour même (cf. Lc 12, 16-21).

68. Les richesses ne te garantissent rien. Qui plus est, quand le cœur se sent riche, il est tellement satisfait de lui-même qu’il n’y a plus de place pour la Parole de Dieu, pour aimer les frères ni pour jouir des choses les plus importantes de la vie. Il se prive ainsi de plus grands biens. C’est pourquoi Jésus déclare heureux les pauvres en esprit, ceux qui ont le cœur pauvre, où le Seigneur peut entrer avec sa nouveauté constante.

69. Cette pauvreté d’esprit est étroitement liée à la «sainte indifférence» que saint Ignace de Loyola proposait, et par laquelle nous atteignons une merveilleuse liberté intérieure: «Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et qui ne lui est pas défendu; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste».

70. Luc ne parle pas d’une pauvreté en «esprit» mais d’être «pauvre» tout court (cf. Lc 6, 20), et ainsi il nous invite également à une existence austère et dépouillée. De cette façon, il nous appelle à partager la vie des plus pauvres, la vie que les Apôtres ont menée, et en définitive à nous configurer à Jésus qui, étant riche, «s’est fait pauvre» (2 Co 8, 9).

Être pauvre de cœur, c’est cela la sainteté!

«Heureux les doux, car ils possèderont la terre».

71. C’est une expression forte, dans ce monde qui depuis le commencement est un lieu d’inimitié, où l’on se dispute partout, où, de tous côtés, il y a de la haine, où constamment nous classons les autres en fonction de leurs idées, de leurs mœurs, voire de leur manière de parler ou de s’habiller. En définitive, c’est le règne de l’orgueil et de la vanité, où chacun croit avoir le droit de s’élever au-dessus des autres. Néanmoins, bien que cela semble impossible, Jésus propose un autre style: la douceur. C’est ce qu’il pratiquait avec ses propres disciples et c’est ce que nous voyons au moment de son entrée à Jérusalem: «Voici que ton Roi vient à toi; modeste, il monte une ânesse» (Mt 21, 5; cf. Zc 9, 9).

Sainte Thérèse de LisieuxSainte Thérèse de Lisieux

72. Jésus a dit: «Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes» (Mt 11, 29). Si nous vivons tendus, prétentieux face aux autres, nous finissons par être fatigués et épuisés. Mais si nous regardons leurs limites et leurs défauts avec tendresse et douceur, sans nous sentir meilleurs qu’eux, nous pouvons les aider et nous évitons d’user nos énergies en lamentations inutiles. Pour sainte Thérèse de Lisieux, «la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses».

73. Paul mentionne la douceur comme un fruit de l’Esprit Saint (cf. Ga 5, 23). Il propose que, si nous sommes parfois préoccupés par les mauvaises actions du frère, nous nous approchions pour le corriger, mais «avec un esprit de douceur» (Ga 6, 1), et il rappelle: «Tu pourrais bien toi aussi être tenté» (ibid.). Même lorsque l’on défend sa foi et ses convictions, il faut le faire «avec douceur» (1 P 3, 16), y compris avec les adversaires qui doivent être traités «avec douceur» (2 Tm 2, 25). Dans l’Église, bien des fois nous nous sommes trompés pour ne pas avoir accueilli cette requête de la Parole de Dieu. (…)

Réagir avec une humble douceur, c’est cela la sainteté!

«Heureux les affligés, car ils seront consolés».

75. Le monde nous propose le contraire: le divertissement, la jouissance, le loisir, la diversion, et il nous dit que c’est cela qui fait la bonne vie. L’homme mondain ignore, détourne le regard quand il y a des problèmes de maladie ou de souffrance dans sa famille ou autour de lui. Le monde ne veut pas pleurer: il préfère ignorer les situations douloureuses, les dissimuler, les cacher. Il s’ingénie à fuir les situations où il y a de la souffrance, croyant qu’il est possible de masquer la réalité, où la croix ne peut jamais, jamais manquer.

76. La personne qui voit les choses comme elles sont réellement se laisse transpercer par la douleur et pleure dans son cœur, elle est capable de toucher les profondeurs de la vie et d’être authentiquement heureuse. Cette personne est consolée, mais par le réconfort de Jésus et non par celui du monde. Elle peut ainsi avoir le courage de partager la souffrance des autres et elle cesse de fuir les situations douloureuses.

De cette manière, elle trouve que la vie a un sens, en aidant l’autre dans sa souffrance, en comprenant les angoisses des autres, en soulageant les autres. Cette personne sent que l’autre est la chair de sa chair, elle ne craint pas de s’en approcher jusqu’à toucher sa blessure, elle compatit jusqu’à se rendre compte que les distances ont été supprimées. Il devient ainsi possible d’accueillir cette exhortation de saint Paul: «Pleurez avec qui pleure» (Rm 12, 15).

Savoir pleurer avec les autres, c’est cela la sainteté!

«Heureux les affamés et les assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés».

77. «Avoir faim et soif» sont des expériences très intenses, parce qu’elles répondent à des besoins vitaux et sont liées à l’instinct de survie. Il y a des gens qui avec cette même intensité aspirent à la justice et la recherchent avec un désir vraiment ardent. Jésus dit qu’ils seront rassasiés, puisque, tôt ou tard, la justice devient réalité, et nous, nous pouvons contribuer à ce que ce soit possible, même si nous ne voyons pas toujours les résultats de cet engagement.

78. Mais la justice que Jésus propose n’est pas comme celle que le monde recherche; une justice tant de fois entachée par des intérêts mesquins, manipulée d’un côté ou de l’autre. La réalité nous montre combien il est facile d’entrer dans les bandes organisées de la corruption, de participer à cette politique quotidienne du «donnant-donnant», où tout est affaire. Et que de personnes souffrent d’injustices, combien sont contraintes à observer, impuissantes, comment les autres se relaient pour se partager le gâteau de la vie. Certains renoncent à lutter pour la vraie justice et choisissent de monter dans le train du vainqueur. Cela n’a rien à voir avec la faim et la soif de justice dont Jésus fait l’éloge.

79. Une telle justice commence à devenir réalité dans la vie de chacun lorsque l’on est juste dans ses propres décisions, et elle se manifeste ensuite, quand on recherche la justice pour les pauvres et les faibles. Il est vrai que le mot «justice» peut être synonyme de fidélité à la volonté de Dieu par toute notre vie, mais si nous lui donnons un sens très général, nous oublions qu’elle se révèle en particulier dans la justice envers les désemparés: «Recherchez le droit, redressez le violent! Faites droit à l’orphelin, plaidez pour la veuve!» (Is 1, 17).

Rechercher la justice avec faim et soif, c’est cela la sainteté!

«Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde».

80. La miséricorde a deux aspects: elle consiste à donner, à aider, à servir les autres, et aussi à pardonner, à comprendre. Matthieu le résume dans une règle d’or: «Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux» (7, 12). Le Catéchisme nous rappelle que cette loi doit être appliquée «dans tous les cas», spécialement quand quelqu’un «est quelquefois affronté à des situations qui rendent le jugement moral moins assuré et la décision difficile».

81. Donner et pardonner, c’est essayer de reproduire dans nos vies un petit reflet de la perfection de Dieu qui donne et pardonne en surabondance. C’est pourquoi, dans l’évangile de Luc, nous n’entendons plus le «soyez parfaits» (Mt 5, 48) mais: «Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés; remettez, et il vous sera remis. Donnez et l’on vous donnera» (6, 36-38). Et puis Luc ajoute quelque chose que nous ne devrions pas ignorer: «De la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour» (6, 38). La mesure que nous utilisons pour comprendre et pour pardonner nous sera appliquée pour nous pardonner. La mesure que nous appliquons pour donner, nous sera appliquée au ciel pour nous récompenser. Nous n’avons pas intérêt à l’oublier.

82. Jésus ne dit pas: «Heureux ceux qui planifient la vengeance», mais il appelle heureux ceux qui pardonnent et qui le font «jusqu’à soixante-dix-fois sept fois» (Mt 18, 22). Il faut savoir que tous, nous constituons une armée de gens pardonnés. Nous tous, nous avons bénéficié de la compassion divine. Si nous nous approchons sincèrement du Seigneur et si nous tendons l’oreille, nous entendrons parfois probablement ce reproche: «Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme moi j’ai eu pitié de toi?» (Mt 18, 33). Regarder et agir avec miséricorde, c’est cela la sainteté!

 

Communion des saints

 

«Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu».

83. Cette béatitude concerne les personnes qui ont un cœur simple, pur, sans souillure, car un cœur qui sait aimer ne laisse pas entrer dans sa vie ce qui porte atteinte à cet amour, ce qui le fragilise ou ce qui le met en danger. Dans la Bible, le cœur, ce sont nos intentions véritables, ce que nous cherchons vraiment et que nous désirons, au-delà de ce que nous laissons transparaître: «Car ils [les hommes] ne voient que les yeux, mais le Seigneur voit le cœur» (1 S 16, 7). Il cherche à parler à notre cœur (cf. Os 2, 16) et il désire y écrire sa Loi (cf. Jr. 31, 33). En définitive, il veut nous donner un cœur nouveau (cf. Ez 36, 26).

84. Plus que sur toute chose, il faut veiller sur le cœur (cf. Pr 4, 23). S’il n’est en rien souillé par le mensonge, ce cœur a une valeur réelle pour le Seigneur. Il «fuit la fourberie, il se retire devant des pensées sans intelligence» (Sg 1, 5). Le Père, qui «voit dans le secret» (Mt 6, 6), reconnaît ce qui n’est pas pur, autrement dit, ce qui n’est pas sincère, mais qui est seulement une coquille et une apparence, tout comme le Fils sait «ce qu'il y [a] dans l'homme» (Jn 2, 25).

85. Il est vrai qu’il n’y a pas d’amour sans des œuvres d’amour, mais cette béatitude nous rappelle que le Seigneur demande un don de soi au frère qui vienne du cœur, puisque «quand je distribuerais tous mes biens en aumône, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien » (1 Co 13, 3). Dans l’Évangile selon Matthieu, nous voyons aussi que ce qui procède du cœur, c’est cela qui souille l’homme (cf. 15, 18), car de là proviennent, entre autres, les crimes, le vol, les faux témoignages. (cf. Mt 15, 19). Les désirs et les décisions les plus profonds, qui nous guident réellement, trouvent leur origine dans les intentions du cœur.

86. Quand le cœur aime Dieu et le prochain (cf. Mt 22, 36-40), quand telle est son intention véritable et non pas de vaines paroles, alors ce cœur est pur et il peut voir Dieu. Saint Paul, dans son hymne à la charité, rappelle que «nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme» (1 Co 13, 12), mais dans la mesure où règne l’amour vrai, nous serons capables de voir «face à face» (ibid.). Jésus promet que ceux qui ont un cœur pur «verront Dieu».

Garder le cœur pur de tout ce qui souille l’amour, c’est cela la sainteté!

«Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu».

87. Cette béatitude nous fait penser aux nombreuses situations de guerre qui se répètent. En ce qui nous concerne, il est fréquent que nous soyons des instigateurs de conflits ou au moins des causes de malentendus. Par exemple, quand j’entends quelque chose de quelqu’un, que je vais voir une autre personne et que je le lui répète; et que j’en fais même une deuxième version un peu plus étoffée et que je la propage. Et si je réussis à faire plus de mal, il semble que cela me donne davantage de satisfaction. Le monde des ragots, fait de gens qui s’emploient à critiquer et à détruire, ne construit pas la paix. Ces gens sont au contraire des ennemis de la paix et aucunement bienheureux.

88. Les pacifiques sont source de paix, ils bâtissent la paix et l’amitié sociales. À ceux qui s’efforcent de semer la paix en tous lieux, Jésus a fait une merveilleuse promesse: «Ils seront appelés fils de Dieu» (Mt 5, 9). Il a demandé à ses disciples de dire en entrant dans une maison: «Paix à cette maison! » (Lc 10, 5). La Parole de Dieu exhorte chaque croyant à rechercher la paix «en union avec tous» (cf. 2 Tm 2, 22), car «un fruit de justice est semé dans la paix pour ceux qui produisent la paix» (Jc 3, 18). Et si parfois, dans notre communauté, nous avons des doutes quant à ce que nous devons faire, «poursuivons donc ce qui favorise la paix» (Rm 14, 19), parce que l’unité est supérieure au conflit.

89. Il n’est pas facile de bâtir cette paix évangélique qui n’exclut personne mais qui inclut également ceux qui sont un peu étranges, les personnes difficiles et compliquées, ceux qui réclament de l’attention, ceux qui sont différents, ceux qui sont malmenés par la vie, ceux qui ont d’autres intérêts. C’est dur et cela requiert une grande ouverture d’esprit et de cœur, parce qu’il ne s’agit pas d’«un consensus de bureau ou d’une paix éphémère, pour une minorité heureuse» ni d’un projet «de quelques-uns destiné à quelques-uns». Il ne s’agit pas non plus d’ignorer ou de dissimuler les conflits, mais «d’accepter de supporter le conflit, de le résoudre et de le transformer en un maillon d’un nouveau processus». Il s’agit d’être des artisans de paix, parce que bâtir la paix est un art qui exige sérénité, créativité, sensibilité et dextérité.

Semer la paix autour de nous, c’est cela la sainteté!

«Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux».

90. Jésus lui-même souligne que ce chemin va à contrecourant, au point de nous transformer en sujets qui interpellent la société par leur vie, en personnes qui dérangent. Jésus rappelle combien de personnes sont persécutées et ont été persécutées simplement pour avoir lutté pour la justice, pour avoir vécu leurs engagements envers Dieu et envers les autres. Si nous ne voulons pas sombrer dans une obscure médiocrité, ne recherchons pas une vie confortable, car «qui veut […] sauver sa vie la perdra» (Mt 16, 25).

91. Pour vivre l’Évangile, on ne peut pas s’attendre à ce que tout autour de nous soit favorable, parce que souvent les ambitions du pouvoir et les intérêts mondains jouent contre nous. Saint Jean-Paul II disait qu’«une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation [du] don [de soi] et la constitution de [la] solidarité entre hommes». Dans une telle société aliénée, prise dans un enchevêtrement politique, médiatique, économique, culturel et même religieux qui empêche un authentique développement humain et social, il devient difficile de vivre les béatitudes, et cela est même mal vu, suspecté, ridiculisé.

92. La croix, en particulier les peines et les souffrances que nous supportons pour suivre le commandement de l’amour et le chemin de la justice, est une source de maturation et de sanctification. Rappelons-nous que, lorsque le Nouveau Testament parle des souffrances qu’il faut supporter pour l’Évangile, il se réfère précisément aux persécutions.

93. Mais nous parlons des persécutions inévitables, non pas de celles que nous pouvons causer nous-mêmes par une mauvaise façon de traiter les autres. Un saint n’est pas quelqu’un de bizarre, de distant, qui se rend insupportable par sa vanité, sa négativité et ses rancœurs. Les Apôtres du Christ n’étaient pas ainsi. Le livre des Actes rapporte avec insistance que ceux-ci jouissaient de la sympathie «de tout le peuple» (2, 47 ; cf. 4, 21.33 ; 5, 13), tandis que certaines autorités les harcelaient et les persécutaient (cf. 4, 1-3 ; 5, 17-18).

94. Les persécutions ne sont pas une réalité du passé, parce qu’aujourd’hui également, nous en subissons, que ce soit d’une manière sanglante, comme tant de martyrs contemporains, ou d’une façon plus subtile, à travers des calomnies et des mensonges. Jésus dit d’être heureux quand «on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie» (Mt 5, 11). D’autres fois, il s’agit de moqueries qui cherchent à défigurer notre foi et à nous faire passer pour des êtres ridicules.

Accepter chaque jour le chemin de l’Évangile même s’il nous crée des problèmes, c’est cela la sainteté!

Le grand critère: L’Évangile du jugement dernier (Matthieu 25)

95. Dans le chapitre 25 de l’Évangile selon Matthieu (vv. 31-46), Jésus s’arrête de nouveau sur l’une des béatitudes, celle qui déclare heureux les miséricordieux. Si nous recherchons cette sainteté qui plaît aux yeux de Dieu, nous trouvons précisément dans ce texte un critère sur la base duquel nous serons jugés: «J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir» (25, 35-36).

96. Donc, être saint ne signifie pas avoir le regard figé dans une prétendue extase. Saint Jean-Paul II disait que « si nous sommes vraiment repartis de la contemplation du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s’identifier ». Le texte de Matthieu 25, 35-36 « n’est pas une simple invitation à la charité; c’est une page de christologie qui projette un rayon de lumière sur le mystère du Christ». Dans cet appel à le reconnaître dans les pauvres et les souffrants, se révèle le cœur même du Christ, ses sentiments et ses choix les plus profonds, auxquels tout saint essaie de se conformer.

97. Vu le caractère formel de ces requêtes de Jésus, il est de mon devoir de supplier les chrétiens de les accepter et de les recevoir avec une ouverture d’esprit sincère, «sine glossa», autrement dit, sans commentaire, sans élucubrations et sans des excuses qui les privent de leur force. Le Seigneur nous a précisé que la sainteté ne peut pas être comprise ni être vécue en dehors de ces exigences, parce que la miséricorde est «le cœur battant de l’Évangile».

98. Quand je rencontre une personne dormant exposée aux intempéries, dans une nuit froide, je peux considérer que ce fagot est un imprévu qui m’arrête, un délinquant désœuvré, un obstacle sur mon chemin, un aiguillon gênant pour ma conscience, un problème que doivent résoudre les hommes politiques, et peut-être même un déchet qui pollue l’espace public. Ou bien je peux réagir à partir de la foi et de la charité, et reconnaître en elle un être humain doté de la même dignité que moi, une créature infiniment aimée par le Père, une image de Dieu, un frère racheté par Jésus-Christ. C’est cela être chrétien! Ou bien peut-on comprendre la sainteté en dehors de cette reconnaissance vivante de la dignité de tout être humain?

99. Pour les chrétiens, cela implique une saine et permanente insatisfaction. Bien que soulager une seule personne justifierait déjà tous nos efforts, cela ne nous suffit pas. Les Evêques du Canada l’ont exprimé clairement en soulignant que, dans les enseignements bibliques sur le Jubilé, par exemple, il ne s’agit pas seulement d’accomplir quelques bonnes œuvres mais de rechercher un changement social:

«Pour que les générations futures soient également libérées, il est clair que l’objectif doit être la restauration de systèmes sociaux et économiques justes de manière que, désormais, il ne puisse plus y avoir d’exclusion». (Conférence Canadienne des Évêques catholiques: Commission des Affaires Sociales, Lettre ouverte aux membres du Parlement, Le bien commun ou l’exclusion, un choix pour les canadiens, 1er février 2001, n. 9.)

 

Saint Vincent de Paul
À l’une de ses religieuses qui était en prière devant le tabernacle et qui hésitait à quitter la chapelle pour aller prendre soin d’un malade, saint Vincent de Paul répondait: «S’il faut quitter l’oraison pour aller à ce malade, faites-le et ainsi vous quitterez Dieu à l’oraison et vous le trouverez chez ce malade.» C’est quitter Dieu pour Dieu.

 

Les idéologies qui mutilent le cœur de l’Evangile

100. Je regrette que parfois les idéologies nous conduisent à deux erreurs nuisibles. D’une part, celle des chrétiens qui séparent ces exigences de l’Évangile de leur relation personnelle avec le Seigneur, de l’union intérieure avec lui, de la grâce. Ainsi, le christianisme devient une espèce d’ONG, privée de cette mystique lumineuse qu’ont si bien vécue et manifestée saint François d’Assise, saint Vincent de Paul, sainte Teresa de Calcutta, et beaucoup d’autres. Chez ces grands saints, ni la prière, ni l’amour de Dieu, ni la lecture de l’Évangile n’ont diminué la passion ou l’efficacité du don de soi au prochain, mais bien au contraire.

101. Est également préjudiciable et idéologique l’erreur de ceux qui vivent en suspectant l’engagement social des autres, le considérant comme quelque chose de superficiel, de mondain, de laïcisant, d’immanentiste, de communiste, de populiste. Ou bien, ils le relativisent comme s’il y avait d’autres choses plus importantes ou comme si les intéressait seulement une certaine éthique ou une cause qu’eux-mêmes défendent.

La défense de l’innocent qui n’est pas encore né, par exemple, doit être sans équivoque, ferme et passionnée, parce que là est en jeu la dignité de la vie humaine, toujours sacrée, et l’amour de chaque personne indépendamment de son développement exige cela. Mais est également sacrée la vie des pauvres qui sont déjà nés, de ceux qui se débattent dans la misère, l’abandon, le mépris, la traite des personnes, l’euthanasie cachée des malades et des personnes âgées privées d’attention, dans les nouvelles formes d’esclavage, et dans tout genre de marginalisation.

(Note de Vers Demain:Donc le Saint-Père ne dit pas que de lutter contre l’avortement n’est pas important, au contraire, mais qu’il faut aussi lutter pour la dignité de chaque être humain, de sa conception jusqu’à sa mort naturelle, pour s’assurer qu’il ait des conditions de vie décentes.)

Nous ne pouvons pas envisager un idéal de sainteté qui ignore l’injustice de ce monde où certains festoient, dépensent allègrement et réduisent leur vie aux nouveautés de la consommation, alors que, dans le même temps, d’autres regardent seulement du dehors, pendant que leur vie s’écoule et finit misérablement.

102. On entend fréquemment que, face au relativisme et aux défaillances du monde actuel, la situation des migrants, par exemple, serait un problème mineur. Certains catholiques affirment que c’est un sujet secondaire à côté des questions «sérieuses» de la bioéthique. Qu’un homme politique préoccupé par ses succès dise une telle chose, on peut arriver à la comprendre; mais pas un chrétien, à qui ne sied que l’attitude de se mettre à la place de ce frère qui risque sa vie pour donner un avenir à ses enfants. Pouvons-nous reconnaître là précisément ce que Jésus-Christ nous demande quand il nous dit que nous l’accueillons lui-même dans chaque étranger (cf. Mt 25, 35)? Saint Benoît l’avait accepté sans réserve et, bien que cela puisse «compliquer» la vie des moines, il a disposé que tous les hôtes qui se présenteraient au monastère, on les accueille «comme le Christ» en l’exprimant même par des gestes d’adoration, et que les pauvres et les pèlerins soient traités «avec le plus grand soin et sollicitude».

103. L’Ancien Testament ordonne quelque chose de semblable quand il dit: «Tu ne molesteras pas l’étranger ni ne l’opprimeras, car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d’Égypte» (Ex 22, 20). «L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été des étrangers au pays d’Égypte » (Lv 19, 33-34). Par conséquent, il ne s’agit pas d’une invention d’un Pape ou d’un délire passager. Nous aussi, dans le contexte actuel, nous sommes appelés à parcourir le chemin de l’illumination spirituelle que nous indiquait le prophète Isaïe quand il s’interrogeait sur ce qui plaît à Dieu: «N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair? Alors ta lumière éclatera comme l’aurore» (58, 7-8).

Le culte qui lui plaît le plus

104. Nous pourrions penser que nous rendons gloire à Dieu seulement par le culte et la prière, ou uniquement en respectant certaines normes éthiques – certes la primauté revient à la relation avec Dieu – et nous oublions que le critère pour évaluer notre vie est, avant tout, ce que nous avons fait pour les autres. La prière a de la valeur si elle alimente un don de soi quotidien par amour. Notre culte plaît à Dieu quand nous y mettons la volonté de vivre avec générosité et quand nous laissons le don reçu de Dieu se traduire dans le don de nous-mêmes aux frères.

105. Pour la même raison, la meilleure façon de discerner si notre approche de la prière est authentique sera de regarder dans quelle mesure notre vie est en train de se transformer à la lumière de la miséricorde. En effet, «la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants». Elle «est le pilier qui soutient la vie de l’Église». Je voudrais souligner une fois de plus que, si la miséricorde n’exclut pas la justice et la vérité, «avant tout, nous devons dire que la miséricorde est la plénitude de la justice et la manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu». Elle «est la clef du ciel».

106. Je ne peux pas m’empêcher de rappeler cette question que se posait saint Thomas d’Aquin quand il examinait quelles sont nos actions les plus grandes, quelles sont les œuvres extérieures qui manifestent le mieux notre amour de Dieu. Il a répondu sans hésiter que ce sont les œuvres de miséricorde envers le prochain, plus que les actes de culte: «Les sacrifices et les offrandes qui font partie du culte divin ne sont pas pour Dieu lui-même, mais pour nous et nos proches. Lui-même n’en a nul besoin, et s’il les veut, c’est pour exercer notre dévotion et pour aider le prochain. C’est pourquoi la miséricorde qui subvient aux besoins des autres, lui agrée davantage, étant plus immédiatement utile au prochain».

107. Celui qui veut vraiment rendre gloire à Dieu par sa vie, celui qui désire réellement se sanctifier pour que son existence glorifie le Saint, est appelé à se consacrer, à s’employer, et à s’évertuer à essayer de vivre les œuvres de miséricorde. C’est ce qu’a parfaitement compris sainte Teresa de Calcutta: «Oui, j’ai beaucoup de faiblesses humaines, beaucoup de misères humaines […] Mais il s’abaisse et il se sert de nous, de vous et de moi, pour que nous soyons son amour et sa compassion dans le monde, malgré nos péchés, malgré nos misères et nos défauts. Il dépend de nous pour aimer le monde, et lui prouver à quel point il l’aime. Si nous nous occupons trop de nous-mêmes, nous n’aurons plus de temps pour les autres».

108. Le consumérisme hédoniste peut nous jouer un mauvais tour, parce qu’avec l’obsession de passer du bon temps, nous finissons par être excessivement axés sur nous-mêmes, sur nos droits et sur la hantise d’avoir du temps libre pour en jouir. Il sera difficile pour nous de nous soucier de ceux qui se sentent mal et de consacrer des énergies à les aider, si nous ne cultivons pas une certaine austérité, si nous ne luttons pas contre cette fièvre que nous impose la société de consommation pour nous vendre des choses, et qui finit par nous transformer en pauvres insatisfaits qui veulent tout avoir et tout essayer.

La consommation de l’information superficielle et les formes de communication rapide et virtuelle peuvent également être un facteur d’abrutissement qui nous enlève tout notre temps et nous éloigne de la chair souffrante des frères. Au milieu de ce tourbillon actuel, l’Évangile vient résonner de nouveau pour nous offrir une vie différente, plus saine et plus heureuse.

109. La force du témoignage des saints, c’est d’observer les béatitudes et le critère du jugement dernier. Ce sont peu de paroles, simples mais pratiques et valables pour tout le monde, parce que le christianisme est principalement fait pour être pratiqué, et s’il est objet de réflexion, ceci n’est valable que quand il nous aide à incarner l’Évangile dans la vie quotidienne. Je recommande de nouveau de relire fréquemment ces grands textes bibliques, de se les rappeler, de prier en s’en servant, d’essayer de les faire chair. Ils nous feront du bien, ils nous rendront vraiment heureux.

Quelques caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel

110. Dans le grand tableau de la sainteté que nous proposent les béatitudes et Matthieu 25, 31-46, je voudrais recueillir certaines caractéristiques ou expressions spirituelles qui, à mon avis, sont indispensables pour comprendre le style de vie auquel Jésus nous appelle. Je ne vais pas m’attarder à expliquer les moyens de sanctification que nous connaissons déjà: les différentes méthodes de prière, les précieux sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation, l’offrande de sacrifices, les diverses formes de dévotion, la direction spirituelle, et tant d’autres. Je me référerai uniquement à quelques aspects de l’appel à la sainteté dont j’espère qu’ils résonneront de manière spéciale. (...)

Endurance, patience et douceur

112. La première de ces grandes caractéristiques, c’est d’être centré, solidement axé sur Dieu qui aime et qui soutient. Grâce à cette force intérieure, il est possible d’endurer, de supporter les contrariétés, les vicissitudes de la vie, et aussi les agressions de la part des autres, leurs infidélités et leurs défauts: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?» (Rm 8, 31). Voilà la source de la paix qui s’exprime dans les attitudes d’un saint. Grâce à cette force intérieure, le témoignage de sainteté, dans notre monde pressé, changeant et agressif, est fait de patience et de constance dans le bien. (…)

118. L’humilité ne peut s’enraciner dans le cœur qu’à travers les humiliations. Sans elles, il n’y a ni humilité ni sainteté. Si tu n’es pas capable de supporter et de souffrir quelques humiliations, tu n’es pas humble et tu n’es pas sur le chemin de la sainteté. La sainteté que Dieu offre à son Église vient à travers l’humiliation de son Fils. Voilà le chemin!

L’humiliation te conduit à ressembler à Jésus, c’est une partie inéluctable de l’imitation de Jésus-Christ: «Le Christ […] a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces» (1 P 2, 21). Pour sa part, il exprime l’humilité du Père qui s’humilie pour marcher avec son peuple, qui supporte ses infidélités et ses murmures (cf. Ex 34, 6-9 ; Sg 11, 23-12, 2; Lc 6, 36). C’est pourquoi les Apôtres, après l’humiliation, étaient «tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom de Jésus» (Ac 5, 41). (…)

120. Je ne dis pas que l’humiliation soit quelque chose d’agréable, car ce serait du masochisme, mais je dis qu’il s’agit d’un chemin pour imiter Jésus et grandir dans l’union avec lui. Cela ne va pas de soi et le monde se moque d’une pareille proposition. C’est une grâce qu’il nous faut demander: «Seigneur, quand arrivent les humiliations, aide-moi à sentir que je suis derrière toi, sur ton chemin». (…)

Joie et sens de l’humour

122. Ce qui a été dit jusqu’à présent n’implique pas un esprit inhibé, triste, aigri, mélancolique ou un profil bas amorphe. Le saint est capable de vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans perdre le réalisme, il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance. (...)

126. Ordinairement, la joie chrétienne est accompagnée du sens de l’humour, si remarquable, par exemple, chez saint Thomas More, chez saint Vincent de Paul ou chez saint Philippe Néri. La mauvaise humeur n’est pas un signe de sainteté: « Eloigne de ton cœur le chagrin» (Qo 11, 10). (...)

Saint Thomas More

Saint Thomas More (1478-1535) était le chancelier du roi Henri VIII d’Angleterre. Pour sa fidélité à l’Église de Rome, il fut décapité par le roi. Canonisé en 1935, il fut déclaré par saint Jean-Paul II, en 2000, saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques. Voici la prière composée par saint Thomas More pour obtenir le sens de l’humour:

Donne-moi une bonne digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à digérer.

Donne-moi la santé du corps avec le sens de la garder au mieux,

Donne-moi une âme sainte, Seigneur, qui ait les yeux sur la beauté et la pureté, afin qu’elle ne s’épouvante pas en voyant le péché, mais sache redresser la situation.

Donne-moi une âme qui ignore l’ennui, le gémissement et le soupir.

Ne permets pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle «moi».

Seigneur, donne-moi l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les autres.

 

Audace et ferveur

129. En même temps, la sainteté est audace, elle est une incitation à l’évangélisation qui laisse une marque dans ce monde. Pour que cela soit possible, Jésus lui-même vient à notre rencontre et nous répète avec sérénité et fermeté: «Soyez sans crainte» (Mc 6, 50). «Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde» (Mt 28, 20). Ces paroles nous permettent de marcher et de servir dans cette attitude pleine de courage que suscitait l’Esprit Saint chez les Apôtres et qui les conduisait à annoncer Jésus-Christ. (…)

138. L’exemple de nombreux prêtres, religieuses, religieux et laïcs qui se consacrent à évangéliser et à servir avec grande fidélité, bien des fois en risquant leurs vies et sûrement au prix de leur confort, nous galvanise. Leur témoignage nous rappelle que l’Église n’a pas tant besoin de bureaucrates et de fonctionnaires, que de missionnaires passionnés, dévorés par l’enthousiasme de transmettre la vraie vie. Les saints surprennent, dérangent, parce que leurs vies nous invitent à sortir de la médiocrité tranquille et anesthésiante. (...)

En prière constante

Sainte Face de JésusSainte Face de Jésus, reconstituée d’après le linceul (Saint-Suaire) de Turin.

147. Finalement, même si cela semble évident, souvenons-nous que la sainteté est faite d’une ouverture habituelle à la transcendance, qui s’exprime dans la prière et dans l’adoration. Le saint est une personne dotée d’un esprit de prière, qui a besoin de communiquer avec Dieu. C’est quelqu’un qui ne supporte pas d’être asphyxié dans l’immanence close de ce monde, et au milieu de ses efforts et de ses engagements, il soupire vers Dieu, il sort de lui-même dans la louange et élargit ses limites dans la contemplation du Seigneur. Je ne crois pas dans la sainteté sans prière, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de longs moments ou de sentiments intenses.

148. Saint Jean de la Croix recommandait de «s’efforcer de vivre toujours en la présence de Dieu, soit réelle, soit imaginaire, soit unitive, selon que les actions commandées le permettent». Au fond, c’est le désir de Dieu qui ne peut se lasser de se manifester de quelque manière dans notre vie quotidienne: «Efforcez-vous de vivre dans une oraison continuelle, sans l’abandonner au milieu des exercices corporels. Que vous mangiez, que vous buviez [...], que vous parliez, que vous traitiez avec les séculiers, ou que vous fassiez toute autre chose, entretenez constamment en vous le désir de Dieu, élevez vers lui vos affections».

149. Cependant, pour que cela soit possible, il faut aussi quelques moments uniquement pour Dieu, dans la solitude avec lui. Pour sainte Thérèse d’Avila, la prière, c’est «un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé». Je voudrais insister sur le fait que ce n’est pas seulement pour quelques privilégiés, mais pour tous, car « nous avons tous besoin de ce silence chargé de présence adorée». La prière confiante est une réaction du cœur qui s’ouvre à Dieu face à face, où on fait taire tous les bruits pour écouter la voix suave du Seigneur qui résonne dans le silence.

150. Dans le silence, il est possible de discerner, à la lumière de l’Esprit, les chemins de sainteté que le Seigneur nous propose. Autrement, toutes nos décisions ne pourront être que des «décorations» qui, au lieu d’exalter l’Évangile dans nos vies, le recouvriront ou l’étoufferont. Pour tout disciple, il est indispensable d’être avec le Maître, de l’écouter, d’apprendre de lui, d’apprendre toujours. Si nous n’écoutons pas, toutes nos paroles ne seront que du bruit qui ne sert à rien.

151. Souvenons-nous que «c’est la contemplation du visage de Jésus mort et ressuscité qui recompose notre humanité, même celle qui est fragmentée par les vicissitudes de la vie, ou celle qui est marquée par le péché. Nous ne devons pas apprivoiser la puissance du visage du Christ». J’ose donc te demander: Y a-t-il des moments où tu te mets en sa présence en silence, où tu restes avec lui sans hâte, et tu te laisses regarder par lui? Est-ce que tu laisses son feu embraser ton cœur? Si tu ne lui permets pas d’alimenter la chaleur de son amour et de sa tendresse, tu n’auras pas de feu, et ainsi comment pourras-tu enflammer le cœur des autres par ton témoignage et par tes paroles? Et si devant le visage du Christ tu ne parviens pas à te laisser guérir et transformer, pénètre donc les entrailles du Seigneur, entre dans ses plaies, car c’est là que la miséricorde divine a son siège. (Cf. saint Bernard de Clairvaux, Sermon sur le cantique des cantiques») (…)

Charles de Foucauld Charles de Foucauld

155. Si nous reconnaissons vraiment que Dieu existe, nous ne pouvons pas nous lasser de l’adorer, parfois dans un silence débordant d’admiration, ou de le chanter dans une louange festive. Nous exprimons ainsi ce que vivait le bienheureux Charles de Foucauld quand il disait: «Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui».

Il y a aussi, dans la vie du peuple pèlerin, de nombreux gestes simples de pure adoration, comme par exemple lorsque «le regard du pèlerin se fixe sur une image qui symbolise la tendresse et la proximité de Dieu. L’amour s’arrête, contemple le mystère, le savoure dans le silence».

156. La lecture priante de la Parole de Dieu, «plus douce que le miel» (Ps 119, 103) et «plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants» (He 4, 12) nous permet de nous arrêter pour écouter le Maître afin qu’il soit lampe sur nos pas, lumière sur notre route (cf. Ps 119, 105). Comme les Évêques de l’Inde l’ont bien rappelé: «La Parole de Dieu n’est pas seulement une dévotion parmi tant d’autres, certes belle mais optionnelle ; elle appartient au cœur et à l’identité même de la vie chrétienne. La Parole a en elle-même le pouvoir de transformer les vies».

157. La rencontre avec Jésus dans les Écritures nous conduit à l’Eucharistie, où cette même Parole atteint son efficacité maximale, car elle est présence réelle de celui qui est la Parole vivante. Là, l’unique Absolu reçoit la plus grande adoration que puisse lui rendre cette terre, car c’est le Christ qui s’offre. Et quand nous le recevons dans la communion, nous renouvelons notre alliance avec lui et nous lui permettons de réaliser toujours davantage son œuvre de transformation.

Le combat et la vigilance

158. La vie chrétienne est un combat permanent. Il faut de la force et du courage pour résister aux tentations du diable et annoncer l’Évangile. Cette lutte est très belle, car elle nous permet de célébrer chaque fois le Seigneur vainqueur dans notre vie.

159. Il ne s’agit pas seulement d’un combat contre le monde et la mentalité mondaine qui nous trompe, nous abrutit et fait de nous des médiocres dépourvus d’engagement et sans joie. Il ne se réduit pas non plus à une lutte contre sa propre fragilité et contre ses propres inclinations (chacun a la sienne: la paresse, la luxure, l’envie, la jalousie, entre autres). C’est aussi une lutte permanente contre le diable qui est le prince du mal. Jésus lui-même fête nos victoires. Il se réjouissait quand ses disciples arrivaient à progresser dans l’annonce de l’Evangile, en surmontant les obstacles du Malin, et il s’exclamait: «Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair» (Lc 10, 18).

La tentation du Christ au désert - Ary Scheffer
«Il ne s’agit pas seulement d’un combat contre le monde et la mentalité mondaine qui nous trompe, ou contre nos propres inclinations... C’est aussi une lutte permanente contre le diable qui est le prince du mal…. Ne pensons donc pas que c’est un mythe, une représentation, un symbole, une figure ou une idée... il rôde «comme un lion rugissant cherchant qui dévorer» (1P 5, 8).

Plus qu’un mythe – le diable existe

160. Nous n’admettrons pas l’existence du diable si nous nous évertuons à regarder la vie seulement avec des critères empiriques et sans le sens du surnaturel. Précisément, la conviction que ce pouvoir malin est parmi nous est ce qui nous permet de comprendre pourquoi le mal a parfois tant de force destructrice. Les auteurs bibliques avaient certes un bagage conceptuel limité pour exprimer certaines réalités et au temps de Jésus, on pouvait confondre, par exemple, une épilepsie avec la possession du démon. Cependant cela ne doit pas nous porter à trop simplifier la réalité en disant que tous les cas rapportés dans les Évangiles étaient des maladies psychiques et qu’en définitive le démon n’existe pas ou n’agit pas. Sa présence se trouve à la première page des Écritures, qui se concluent avec la victoire de Dieu sur le démon.

De fait, quand Jésus nous a enseigné le Notre Père, il a demandé que nous terminions en demandant au Père de nous délivrer du Mal. Le terme utilisé ici ne se réfère pas au mal abstrait et sa traduction plus précise est «le Malin». Il désigne un être personnel qui nous harcèle. Jésus nous a enseigné à demander tous les jours cette délivrance pour que son pouvoir ne nous domine pas.

161. Ne pensons donc pas que c’est un mythe, une représentation, un symbole, une figure ou une idée. Cette erreur nous conduit à baisser les bras, à relâcher l’attention et à être plus exposés. Il n’a pas besoin de nous posséder. Il nous empoisonne par la haine, par la tristesse, par l’envie, par les vices. Et ainsi, alors que nous baissons la garde, il en profite pour détruire notre vie, nos familles et nos communautés, car il rôde «comme un lion rugissant cherchant qui dévorer» (1P 5, 8).

162. La Parole de Dieu nous invite clairement à «résister aux manœuvres du diable» (Ep 6, 11) et à éteindre «tous les traits enflammés du Mauvais» (Ep 6, 16). Ce ne sont pas des paroles romantiques, car notre chemin vers la sainteté est aussi une lutte constante. Celui qui ne veut pas le reconnaître se trouvera exposé à l’échec ou à la médiocrité.

Nous avons pour le combat les armes puissantes que le Seigneur nous donne : la foi qui s’exprime dans la prière, la méditation de la parole de Dieu, la célébration de la Messe, l’adoration eucharistique, la réconciliation sacramentelle, les œuvres de charité, la vie communautaire et l’engagement missionnaire.

Si nous nous négligeons, les fausses promesses du mal nous séduiront facilement, car comme le disait saint José Gabriel del Rosario Brochero (prêtre argentin): «Qu’importe que Lucifer nous promette de nous libérer et même nous comble de tous ses biens, si ce sont des biens trompeurs, si ce sont des biens envenimés?».

163. Sur ce chemin, le progrès du bien, la maturation spirituelle et la croissance de l’amour sont les meilleurs contrepoids au mal. Personne ne résiste s’il reste au point mort, s’il se contente de peu, s’il cesse de rêver de faire au Seigneur un don de soi plus généreux. Encore moins, s’il tombe dans un esprit de défaite, car «celui qui commence sans confiance a perdu d’avance la moitié de la bataille et enfouit ses talents […] le triomphe chrétien est toujours une croix, mais une croix qui en même temps est un étendard de victoire, qu’on porte avec une tendresse combative contre les assauts du mal». (...)

166. Comment savoir si une chose vient de l’Esprit Saint ou si elle a son origine dans l’esprit du monde ou dans l’esprit du diable? Le seul moyen, c’est le discernement qui ne requiert pas seulement une bonne capacité à raisonner ou le sens commun. C’est aussi un don qu’il faut demander. Si nous le demandons avec confiance au Saint Esprit, et que nous nous efforçons en même temps de le développer par la prière, la réflexion, la lecture et le bon conseil, nous pourrons sûrement grandir dans cette capacité spirituelle. (...)

176. Je voudrais que la Vierge Marie couronne ces réflexions, car elle a vécu comme personne les béatitudes de Jésus. Elle est celle qui tressaillait de joie en la présence de Dieu, celle qui gardait tout dans son cœur et qui s’est laissée traverser par le glaive. Elle est la sainte parmi les saints, la plus bénie, celle qui nous montre le chemin de la sainteté et qui nous accompagne...

177. J’espère que ces pages seront utiles pour que toute l’Église se consacre à promouvoir le désir de la sainteté. Demandons à l’Esprit Saint d’infuser en nous un intense désir d’être saint pour la plus grande gloire de Dieu et aidons-nous les uns les autres dans cet effort. Ainsi, nous partagerons un bonheur que le monde ne pourra nous enlever.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 19 mars, Solennité de Saint Joseph, de l’an 2018, sixième année de mon Pontificat.

Pape François

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