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Trois propositions de C. H. Douglas

Louis Even le lundi, 02 novembre 2015. Dans Un nouveau système financier efficace

Clifford Hugh Douglas
Clifford Hugh Douglas

Quelles sont ces trois propositions de Douglas?

Douglas a énoncé publiquement ces trois propositions en trois circonstances: à Swanwick, en 1924; devant le Comité MacMillan, en mai 1930; dans une conférence prononcée à la salle Caxton, de Londres, en octobre 1930. Et il les a reproduites dans des écrits de lui, entre autres dans The Monopoly of Credit.

La première de ces propositions a trait à la finance de la consommation, par un ajustement entre le pouvoir d'achat et les prix:

Les moyens d'achat (cash credits) entre les mains de la population d'un pays doivent, en tout temps, être collectivement égaux aux prix collectifs à payer (collective cash prices) pour les biens consommables mis en vente dans ce pays ; et ces moyens d'achat (cash credits) doivent être annulés lors de l'achat des biens de consommation.

Douglas n'a rien changé dans les termes de cette proposition: ils étaient les mêmes en 1930 qu'en 1924.

Dans cette proposition, pour mentionner les moyens de paiement, numéraire ou argent scriptural, entre les mains des consommateurs, Douglas emploie le terme «cash credits», tandis que, lorsqu'il parle de finance de la production, il dit simplement «credits».

La différence entre les deux, c'est que l'argent entre les mains des consommateurs est à eux: c'est pour eux du pouvoir d'achat, qu'ils emploient que selon leur volonté en obtenant des produits de leur choix. Tandis que les crédits à la production sont des avances que le producteur doit rembourser lorsqu'il aura vendu ses produits.

Nous avons traduit «cash credits» par moyens d'achat, plutôt que par pouvoir d'achat. C'est parce que le pouvoir d'achat ne dépend pas seulement de l'argent entre les mains du consommateur, mais aussi des prix en face de cet argent. Avec dix dollars en moyens d'achat, vous pouvez vous procurer dix paires de bas, si les bas sont au prix d'un dollar la paire; mais s'ils sont au prix de deux dollars la paire, vous ne pouvez vous en procurer que cinq paires avec la même somme de dix dollars. Tout le monde sait bien que le pouvoir d'achat baisse avec la hausse des prix, même si la somme d'argent en main est la même.

On pourrait aussi appeler ces «cash credits» de la monnaie de consommation. Celui qui les a en main peut, en effet, s'en servir pour se procurer des biens consommables. Le cas est différent des crédits à la production qui, eux, doivent être employés par l'emprunteur à produire des biens qu'il devra vendre afin de pouvoir rembourser ces crédits à leur source.

Quel est le but de cette première proposition énoncée par Douglas?

Cette proposition a pour but de réaliser ce qu'on peut appeler le pouvoir d'achat parfait, en établissant l'équilibre entre les prix à payer par les acheteurs et l'argent entre les mains des acheteurs.

Le Crédit Social fait une différence entre le prix de revient comptable (cost price) et le prix à payer par l'acheteur (cash price). L'acheteur n'aurait pas à payer le prix de revient intégral, mais seulement ce prix amené à un niveau correspondant aux moyens d'achat entre les mains de la population.

Le prix comptable doit toujours être récupéré par le producteur, s'il veut rester en affaires. Mais le prix à payer doit être au niveau des moyens d'achat entre les mains des consommateurs, si l'on veut que la production atteigne sa fin, qui est la consommation.

Comment cette double condition peut-elle être réalisable?

Par un mécanisme d'ajustement des prix. Un ajustement, et non pas une fixation des prix: l'établissement des prix de revient est affaire des producteurs eux-mêmes, ce sont eux qui savent ce la production leur coûte de dépenses.

L'ajustement proposé comporterait un coefficient qui s'appliquerait à tous les prix au détail. Ce coefficient serait calculé périodiquement (tous les trois ou six mois, par exemple), d'après le rapport entre la consommation totale et la production totale pendant le terme écoulé.

Si, par exemple, dans le terme écoulé, la production de toute sorte dans le pays s'est totalisée à 40 milliards de dollars, et si la consommation de toute sorte s'est totalisée à 30 milliards, on en conclut que, quels que soient les prix comptables de revient; c'est en réalité 30 milliards qu'a coûté au pays la production des 40 milliards. C'est donc 30 milliards qui est le véritable coût de la production totale de 40 milliards. Et si les producteurs doivent récupérer 40 milliards, les consommateurs, eux, ne doivent payer que 30 milliards. Les 10 milliards manquant doivent être fournis aux producteurs par une autre source, non pas par les acheteurs. C'est au mécanisme monétaire d'y voir.

Dans ce cas, le coefficient appliqué à tous les prix au détail sera de 3/4: les prix de revient seront multipliés par ce coefficient, par 3/4 ou 0,75. L'acheteur ne paiera donc que 75 pour cent du prix comptable.

Autrement dit, un escompte général de 25 pour cent (le contraire .d'une taxe de vente) va être décrété sur tous les prix de vente au détail pour la durée du terme qui commence. A la fin de chaque terme, le taux de l'escompte général est ainsi calculé en fonction de l'état de la consommation par rapport à l'état de la production du terme écoulé. On se rapproche ainsi le plus possible du pouvoir d'achat parfait.

On appelle parfois cette opération un prix compensé ou un escompte compensé, parce que l'argent que le vendeur n'obtient pas die l'acheteur à cause de cet escompte, il le reçoit ensuite de l'Office du Crédit National. Cette compensation permet au vendeur de récupérer son plein prix de revient. Personne n'est perdant. Tout le monde y gagne par l'écoulement facilité des produits vers les besoins.

Pourquoi dites-vous que c'est là réaliser le pouvoir d'achat parfait?

Parce que c'est établir à 1 (un) le rapport entre les moyens de paiement et les prix. Dans l'exemple donné plus haut, ce rapport était de 3/4: on ne pouvait payer que les 3/4 de la production. Après l'opération d'ajustement des prix, le rapport devient 1: on peut alors payer toute la production. C'est permettre à la production d'atteindre sa fin: la production est faite pour être consommée.

Parfait aussi, parce que c'est rendre justice à la population, en lui faisant payer seulement le «juste prix», le coût réel de sa production. C'est Douglas qui a su donner du «juste prix» une définition cherchée en vain par les sociologues de plusieurs siècles. Il l'a ainsi formulée: «Le véritable coût de la production, c'est la consommation qu'elle a exigée.» Vérité qui semble totalement ignorée dans les manuels d'économie.

Quant aux modalités du mécanisme d'ajustement des prix, elles peuvent varier, mais elles doivent accomplir cette perfection, et le faire avec le minimum d'opérations. Ce serait, d'ailleurs, beaucoup moins compliqué que, par exemple, le calcul des ristournes à chaque coopérateur dans une coopérative de consommation. Et avec des résultats infiniment supérieurs.

Et quelle est la deuxième proposition de Douglas?

La deuxième proposition de Douglas a trait à la finance de la production. Elle fut exprimée comme suit, par son auteur, à Swanwick et devant le Comité MacMillan:

Les crédits nécessaires pour financer la production doivent provenir, non pas d'épargnes, mais de nouveaux crédits se rapportant à une nouvelle production.

A la salle Caxton, en octobre 1930. Douglas variait ainsi la fin de son énoncé:

«de nouveaux crédits se rapportant à la production.»

Il ne dit plus «nouvelle production», mais seulement «production». C'est évidemment que les deux sont synonymes. A mesure que la production se fait, c'est une nouvelle production. De la nouvelle production pour entretenir le flot de production où s'approvisionne le consommateur.

C'est donc à tort que certains ont interprété cette proposition comme s'appliquant seulement à une augmentation dans le volume de la production, ce qui n'est certainement pas le cas d'après le contexte des trois propositions.

Douglas ajoute :

Et ces crédits ne seront rappelées que selon le rapport de la dépréciation générale à «l'appréciation», à l'enrichissement général.

Pourquoi financer ainsi la production avec des crédits nouveaux et non pas avec de l'épargne? — Parce que l'épargne provient d'argent qui a été distribué en rapport avec de la production faite. Or tout cet argent est entré dans le prix de revient de la production faite. Si cet argent n'est pas employé pour acheter la production, l'écart entre les moyens d'achat et les prix augmentera.

On peut objecter que l'épargne employée à financer un nouveau flot de production, par investissement ou autrement, revient dans la circulation comme pouvoir d'achat. C'est vrai, mais c'est à titre de dépenses faites par le producteur, donc en créant un nouveau prix. Or, la même somme d'argent ne peut pas servir à liquider à la fois le prix correspondant de l'ancienne production et le prix correspondant de la nouvelle production.

Chaque fois que l'argent épargné revient ainsi à des consommateurs, c'est en créant un nouveau prix, sans avoir liquidé un ancien prix laissé sans pouvoir d'achat correspondant lorsque cet argent devenait épargne.

Rendons ce point clair par un exemple:

Voici un ouvrier qui reçoit en salaire mensuel la somme de 300 $. Sur cette somme, il prélève 50 $ pour acheter des actions dans une entreprise qui construit une nouvelle usine.

Les 300 $ de salaire sont certainement inscrits dans les prix des produits pour lesquels l'ouvrier a travaillé; mais en face de ces 300 $ de prix, il ne reste plus que 250 $ de pouvoir d'achat.

La construction de l'usine va remettre les 50 $ en pouvoir d'achat par les salaires distribués aux ouvriers de la construction. Mais les produits qui sortiront de la nouvelle usine devront inclure les 50 $ dans leur prix. Le 50 $ redevenu pouvoir d'achat ne pourra certainement pas liquider à la fois le 50 $ de prix de l'ancienne production et le 50 $ de prix de la nouvelle production.

Cela ne veut pas dire que l'épargnant fait mal en plaçant son argent dans l'expansion de la production. Il est parfaitement libre de faire ce qu'il veut d'un argent qui lui appartient. Mais la soustraction au pouvoir d'achat global, faite par l'épargne, devrait être compensée de quelque manière, par un montant d'argent équivalent venant entre les mains des consommateurs (par le dividende social, par exemple, ou par une hausse de l'escompte compensé) ; cela fait, l'effet sur le pouvoir d'achat sera le même que si la production avait été financée directement par des crédits nouveaux, puisque ces crédits nouveaux remplacent l'épargne détournée du pouvoir d'achat.

Le système actuel ne fait pas cette compensation. Il insiste sur la finance par l'épargne, sans se préoccuper de l'entaille faite dans le pouvoir d'achat. C'est là, non pas la seule cause, mais une des causes de l'écart entre les moyens de paiement du consommateur et les prix des produits.

Et la troisième proposition financière de Douglas?

La troisième proposition introduit un élément nouveau dans le pouvoir d'achat: la distribution d'un dividende à tous, employés ou non dans la production. C'est donc un facteur de composition du pouvoir d'achat, qui ne laisse aucun individu sans moyens de paiement.

C'est la reconnaissance du droit de tous à une part de la production, à seul titre de co-capitalis­tes, de co-héritiers du plus gros facteur de la production moderne: le progrès acquis, grossi et transmis d'une génération à l'autre. A titre également de co-propriétaires des richesses naturelles, don gratuit de Dieu.

C'est aussi le moyen d'entretenir un flot de pouvoir d'achat en rapport avec le flot de production, quand bien même la production se passerait de plus en plus du besoin d'employés. Ce serait donc la solution au plus gros casse-tête actuel, qui fait des économistes lever les bras au ciel et qui fait les gouvernements s'ahurir devant l'insuccès de leur politique de plein emploi, d'embauchage intégral. La poursuite de l'embauchage intégral est une absurdité, difficile à justifier de la part d'êtres intelligents, alors que le progrès s'applique inexorablement à désembaucher, à libérer du besoin d'employés.

Voici comment s'exprime Douglas:

La distribution de moyens d'achat (cash credits) aux individus doit progressivement dépendre de moins en moins de l'emploi. C'est-à-dire que le divi­dende doit progressivement déplacer les émoluments et les salaires.

Progressivement — à mesure, comme l'a exprimé ailleurs Douglas, à mesure qu'augmente la productivité par homme-heure. Ce qui est parfaitement conforme au réel, conforme à la participation prise respectivement par le travail et par le progrès dans le flot de production.

Le progrès — bien collectif — prend de plus en plus de place comme facteur de production, et le labeur humain de moins en moins. Cette réalité devrait se refléter dans la répartition des revenus, par dividendes à tous d'une part et par récompense à l'emploi d'autre part.

Nous revenons plus loin sur cette question en traitant du dividende périodique à chaque citoyen.

Mais n'est-ce pas là proposer tout un chambardement dans les modes de finance de la production et dans le mode de répartition des droits aux produits?

C'est surtout, et bien plus simplement, un changement de philosophie, de conception du rôle du système économique et du système financier, les ramenant à leurs fins propres servies par des moyens appropriés. Il est temps que les fins reprennent leur place, et les moyens la leur. Il est temps que la perversion fasse place au redressement.

Mais tout cela a l'air de supposer que l'argent, ou le crédit financier, peut venir comme ça, séance tenante, pour financer la production et la consommation!

Certainement. Le système d'argent n'est essen­tiellement qu'un système de comptabilité. Les comptables sont-ils à court de chiffres pour compter, additionner, soustraire, multiplier, diviser, faire des règles de trois, exprimer des pourcentages?

D'ailleurs, les faits sont là, pour montrer que l'argent est affaire de chiffres: chiffres que les monopolisateurs du système peuvent faire surgir ou faire disparaître selon leurs décisions, sans be­soin d'objets concrets autres qu'un livre, une plume et quelques gouttes d'encre.

Dans une conférence donnée à Westminster, le 7 mars 1936, C. H. Douglas disait à son auditoire — un auditoire créditiste :

«Nous, créditistes, nous disons que le présent système monétaire ne reflète pas les faits. Nos opposants disent qu'il les reflète. Eh bien, il n'y a qu'à regarder et se servir de son gros bon sens pour voir ce qu'il en est. Comment, par exemple, se fait-il qu'un monde qui paraissait presque fiévreusement pros­père en 1929, — du moins réputé prospère, à en juger par les critères orthodoxes — et certainement capable de produire et offrir une surabondance de denrées et de services, le faisant et en distribuant une proportion considérable — comment se fait-il que ce monde-là ait pris figure d'extrême pauvreté en 1930? Transformation d'apparence si fondamentale que les conditions économiques en ont été changées du tout au tout. Est. il raisonnable de supposer qu'entre un jour d'octobre 1929 et quelques mois plus tard, le monde soit réellement tombé de la grande richesse à la grande pauvreté ? Evidemment non.»

Douglas faisait cette remarque trois ans et demi avant l'éclatement de la deuxième grande guerre mondiale. Une fois celle-ci déclarée, tout le monde pouvait se poser une question de même nature que celle de Douglas, mais en sens inverse:

Comment se fait-il qu'après une rareté d'argent pendant dix années, on trouve subito, du soir au matin, tout l'argent qu'il faut pour une guerre qui dure six années et qui coûte des milliards?

Même réponse dans les deux cas: Le système d'argent n'est qu'une question de comptabilité et n'a besoin que de chiffres portant le sceau de la légalité. Donc, si l'agent manque en face de grandes possibilités de produire pour satisfaire les besoins humains normaux, et si l'argent devient abondant quand les producteurs et les moyens de production sont réquisitionnés pour les champs de bataille et la production d'engins de destruction, c'est parce que le présent système monétaire impose des décisions, au lieu de refléter fidèlement les faits résultant d'actes librement posés par des producteurs libres et des consommateurs libres.

 

Les trois propositions de Douglas

Nous regroupons ci-dessous les trois propositions de Douglas, texte anglais original et traduction en regard.

ORIGINAL

1. The cash credits of the population of any country shall at any moment be collectively equal to the collective cash prices for consumable goods for sale in that country, and such cash credits shall be cancelled on the purchase of goods for consumption.

2. The credits required to finance production shall be supplied not from savings, but be new credits relating to new production, and shall be recalled only in ratio of general depreciation to general appreciation.

3. The distribution of cash to individuals shall be progressively less dependent upon employment. That is to say that the dividend shall progressively displace the wage and salary.

NOTRE TRADUCTION

1. Les moyens d'achat entre les mains de la population d'un pays doivent, en tout temps, être collectivement égaux aux prix collectifs à payer pour les biens con sommables mis en vente dans ce pays; et ces moyens d'achat doivent être annulée lors de l'achat des biens de consommation.

2. Les crédits nécessaires pour financer la production doivent provenir, non pas d'épargnes, mais être des nouveaux crédits se rapportant à de la nouvelle production; et ces crédits ne doivent être rappelés que selon le rapport de la dépréciation générale à «l'appréciation» générale.

3. La distribution de moyens d'achat aux individus doit progressivement dépendre de moins en moins de l'emploi. C'est­-à-dire que le dividende doit progressivement déplacer les émoluments et les salaires.

 

Louis Even

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