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Plutôt le Crédit Social

Louis Even le vendredi, 22 janvier 1971. Dans Une lumière sur mon chemin

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Louis EvenIl n’est pas rare d’entendre ou de lire provenant de personnes qui ont pourtant fait des études et qui ont une certaine influence, des réflexions comme celle-ci: «Le système capitaliste rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. L’écart grandissant entre les possédants et les non-possédants est inadmissible. Il faut changer cela.» Et quand ils disent changer cela, ils veulent dire sortir du système capitaliste, du système d’entreprise libre et de propriété privée. «Il faut nationaliser les moyens de production, supprimer les profits et que tout le monde vive de salaires.» Ils n’osent pas dire d’établir le communisme.

C’est pourtant dans les pays sous régime communiste que la nationalisation des moyens de production est poussée dans toute sa ‘totalité’. Si c’est la meilleure méthode, c’est donc dans ces pays que doit mieux fleurir la prospérité économique et que le peuple doit être le plus satisfait. Ce qui ne paraît pas. Car les gouvernements de ces pays sont obligés d’ériger des murs, des barbelés, des miradors munis de mitrailleuses, de placer des garde-frontières et des chiens policiers pour empêcher les citoyens de sortir du pays.

Le système capitaliste doit être corrigé

Qu’il y ait des conditions inacceptables à corriger dans nos pays dits capitalistes, c’est certain. Encore faut-il savoir quoi corriger et comment le corriger. Un bon système économique et social doit pouvoir répondre à deux conditions et il est d’autant meilleur qu’il y répond mieux. Premièrement, il doit pouvoir produire les biens répondant aux besoins. Deuxièmement, il doit être capable de distribuer ces biens pour qu’ils atteignent et satisfassent les besoins là où ils sont.

Est-ce que notre système actuel avec ses moyens en matériel, main-d’œuvre et technique n’est pas capable de fournir tous les biens requis par les besoins humains normaux ? Oui, il en est capable et facilement. De même, est-ce que notre système actuel de distribution avec ses moyens de transport, ses magasins partout où vivent des familles, ses services de livraison, n’est pas capable de faire la jointure entre les biens et les besoins ? Certainement, oui encore.

Et s’il y a défaut de production ou de distribution, ce n’est certainement pas à cause du caractère d’initiative personnelle, d’entreprise libre et de propriété privée qui marquent le capitalisme; c’est simplement à cause d’obstacles d’argent. D’argent qui n’a été inventé que pour servir à mobiliser les moyens de production et pour permettre aux individus de se procurer ce qui leur convient le mieux pour répondre à leurs besoins.

L’argent n’est pas le système capitaliste

L’argent n’est pas le système capitaliste. Il n’est là que pour le servir et non pas pour l’empêcher de bien produire et de bien livrer les produits où il faut. C’est ce système d’argent (qui de lui-même ne produit rien) qu’on respecte comme s’il était d’institution divine. Et on s’en prend à la structure capitaliste du système producteur et distributeur qui ne demande pas mieux que de servir et de bien servir les besoins.

Agents de production et agents de distribution ne sont-il pas à l’affût constant et empressé de commandes à servir ? Si on s’habituait à penser et à raisonner en termes de réalité, en termes de choses, en termes de produits et de besoins, au lieu de penser, raisonner et conclure en termes d’argent; on verrait avec éclat les possibilités réelles de conditions économiques satisfaisantes pour tous. Et on verrait avec indignation les obstacles purement artificiels dressés par un mécanisme financier qui ne produit rien et domine tout alors qu’il n’a d’autre raison d’être que de servir le système qui produit et qui distribue.

Un cultivateur possède un champ. Un champ c’est un capital réel. Capital réel aussi, les outils du cultivateur. Capital réel, encore, la compétence du cultivateur. Il laboure son champ, il y sème du blé. Il y plante des pommes de terre. La maturation venue, il récolte une abondance de blé ou une abondance de pommes de terre. Un cultivateur est un capitaliste, non pas un financier. C’est un capital réel qu’il exploite et ce sont des revenus réels, blé ou pommes de terre qu’il tire de son capital réel.

Le système financier, lui, est une toute autre affaire. C’est un simple système de permissions, de permis du côté producteur pour mobiliser, pour mettre en œuvre des moyens réels de production, permis du côté du consommateur, pour obtenir les produits finis et offerts. Ce n’est pas l’argent qui donne de la valeur aux produits, aux réalités. Ce sont les produits et la capacité de produire qui donnent de la valeur à l’argent.

C’est donc l’argent qui doit s’assouplir aux réalités et non pas les réalités qui doivent se soumettre aux rigidités de l’argent. Et quand on entend un Trudeau, premier ministre du Canada, dire qu’il y aura des travaux d’hivers pour les hommes qui en cherchent et si l’argent est là, on peut se demander comment il échelonne l’ordre des valeurs dans son esprit.

S’il y a des travaux utiles à exécuter et des hommes avides de les faire, pourquoi rester paralysés par le simple manque de permis chiffrés et cela accepté stupidement par le plus haut gouvernement d’un pays souverain. On peut ignorer ces notions pourtant bien simples, et prendre des règlements financiers et le comportement insolite de l’argent pour des lois de la nature douloureuses mais inflexibles qu’il faut subir aussi impérativement que les variations de température ou la succession des saisons.

Une finance saine et efficace

On peut ainsi se croire dans des situations économiques insolubles. Cette ignorance est possible dans des pays pourtant potentiellement riches comme en Amérique du Sud, où le système monétaire est encore généralement un mystère sauf pour ceux qui profitent du maintien de ce mystère. Mais pareille ignorance est inadmissible au Canada, surtout dans la Province de Québec où depuis plus de trente années, le Crédit Social fait la lumière et expose les principes d’une finance saine et efficace.

Sont donc inexcusables chez nous, les hommes politiques, les journalistes, les éducateurs, les sociologues laïcs ou ecclésiastiques, les prédicateurs de justice sociale et les responsables de tout niveau qui, par ignorance crasse, par incurie, par lâcheté ou par complicité, laissent blâmer n’importe qui et n’importe quoi, excepté le système d’argent actuel inapte et perverti, pour les privations dont souffrent des personnes et des familles. Ils exposent ainsi ces victimes à se tourner vers le communisme et sa propagande pour y chercher ce qu’ils ne trouvent pas dans notre économie d’abondance immobilisée sous leurs yeux.

Au lieu de vitupérer contre le capitalisme et de faire des signes d’amitié au communisme ou à des gens dont les vues marxistes sont connues, c’est l’expansion du capitalisme, du capitalisme vrai qu’il faut réclamer. Le capitalisme étendu à tous, tous capitalistes. Ça serait d’ailleurs conforme au réel si cela ne l’est pas à une conception financière en désaccord avec le réel. Tous capitalistes parce que tous sont attitrés à une part du fruit des richesses naturelles créées par Dieu. Tous aussi héritiers d’un progrès croissant dans les techniques et procédés de production. Progrès acquis, transmis et accru d’une génération à l’autre.

Progrès qui permet la production de plus en plus abondante et de plus en plus rapide avec de moins en moins de labeur humain. Progrès qui est le facteur prépondérant donc, le plus gros capital réel de la production moderne. Et cet héritage n’a pas été gagné par un plus que l’autre des vivants actuels. C’est donc un capital réel communautaire, très productif, et qui doit bien valoir à tous au même titre, un dividende réel, un dividende à une part de la production due en grande partie à cet héritage communautaire.

Un dividende social périodique

Le curé de Ste-Flavie, porte-parole des curés de la Matapédia, appelle «Opération dignité» la pression mise en branle dans la population de 25 paroisses, pour décider le gouvernement de Québec à agir au lieu de toujours étudier et de toujours promettre. Nous aimons cette expression ‘Opération dignité’ et l’application du Crédit Social en serait une magnifique réalisation par le dividende social périodique à tous et à chacun, indépendamment des autres sources de revenu que les uns ou les autres peuvent avoir.

Au lieu d’assistés sociaux, des capitalistes sociaux. Au lieu d’allocations d’indigence, avec leur cortège d’enquêtes et d’humiliations, le dividende social. Non pas une aumône, mais un dividende qui ne serait pas plus humiliant à recevoir que le dividende qui arrive périodiquement au capitaliste qui a mis des fonds dans l’industrie. Le capital progrès est bien plus réel et bien plus producteur qu’un capital dollar de n’importe quel montant.

En parlant des pauvres, des indigents, on les appelle souvent ‘des déshérités’. C’est justement cela qu’ils sont, ‘des déshérités’. On refuse de leur reconnaître leur héritage. De les reconnaître comme cohéritiers à titre légal avec tous les autres citoyens de leur pays. Cohéritiers de ce progrès qui est le plus gros facteur de la production moderne, donc ayant droit à une part de la production due à ce progrès.

Et les fruits de la production, s’ils sont partagés seulement entre les bailleurs de fonds et les employés, cela signifie que la part des déshérités est allée aux financiers et aux salariés. Le fait d’en reprendre à ceux-ci par des taxes, pour venir au secours des déshérités, ne remet pas ces déshérités dans leur droit. Les allocations les laissent dans leur statut de déshérités. Déshérités secourus, si l’on veut alors qu’ils soient être reconnus comme cohéritiers, co-capitalistes sociaux recevant un dividende social non pas comme un secours ou une aumône, mais comme un dû.

Cela serait une opération de dignité, garantissant ainsi à chacun une certaine mesure de sécurité économique, un certain niveau de vie, aussi longtemps que continue la production et en rapport avec le volume de cette production. Cette vision ouvre les perspectives d’un système économique et social vraiment humain, réalisant le droit fondamental que tout homme possède à l’usage des biens terrestres. Droit lié à sa nature d’être humain, comme l’a si bien réaffirmé le grand Pape Pie XII dans son message de Pentecôte 1941.

On peut y voir aussi un système plus chrétien. Une économie comprenant un dividende social à tous sans autre condition que d’être une personne vivante, permettrait de s’échapper d’un matérialisme croissant, à mesure que la production serait de plus en plus le fait de la mécanisation et l’automation. Au lieu de chercher alors de nouveaux emplois, en suscitant de nouveaux besoins matériels, les hommes plus sages pourraient s’orienter de plus en plus vers d’autres activités humaines que la seule fonction économique. Un philosophe thomiste, Maritain, a dit: «une civilisation de contemplation au lieu d’une civilisation du travail».

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