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Le prix de la grande folie

Louis Even le samedi, 21 janvier 1967. Dans Une lumière sur mon chemin

Acceptation aveugle du truc financier

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Payer le progrès aux trafiquants de piastres

Faire payer le progrès par ceux qui l'ont accompli

Louis EvenOn dit des fous qu'ils n'ont pas conscience du réel, qu'ils vivent « dans la lune », qu'ils s'évadent dans des rêves et prennent ces rêves pour des réalités. Ils en tirent des joies ou des colères. Mais, de toute façon, qu'ils soient internés ou non, on ne les tient pas responsables dé leurs actes, et l'on se garde bien de leur confier des fonctions où leur comportement pourrait nuire à d'autres.

Folie de grande classe

Eh bien, il y a des gens qui occupent des positions de responsabilité, qui n'admettront jamais être atteints du moindre degré de folie, et qui pourtant, en maintes occasions, raisonnent et tirent des conclusions sans rapport avec le réel, en pleine contradiction avec des réalités qui s'étalent devant leurs yeux. Surtout en matière d'économie politique.

Ce genre de folie semble même se développer dans les pays évolués à mesure que la population s'imagine croître en civilisation, à mesure qu'on s'y enorgueillit davantage de progrès matériels. On y perd le sens du réel, et l'on n'y revient bien que si des circonstances éloignent de la civilisation, ou si des fléaux majeurs s'abattent sur ces pays.

En veut-on des exemples ?

Des hommes qui se trouvent isolés dans un désert ou dans quelque autre région aride vont immédiatement se mettre en quête de baies, de racines pour passer leur faim, ou de quelque trace d'eau pour ne pas périr de déshydratation. Ils pensent et agissent en termes de réel.

Au contraire, au sein de la civilisation offrant l'abondance de toutes sortes, dans une ville où les magasins regorgent de produits, les hommes pensent en termes d'argent, se comportent en termes d'argent ; et si l'argent leur fait défaut, ils se condamnent à crever en face de l'abondance qui est pourtant une belle et bien visible réalité.

De même, un pays en pleine paix, riche de production, actuelle ou potentielle, soumet ses activités productrices, et le niveau de vie de ses habitants, aux pulsations d'un crédit financier qui peut lui être accordé ou refusé, prodigué ou rationné, non pas par ses producteurs, mais au gré d'hommes ou d'institutions qui en ont accaparé le contrôle.

Mais que ce pays tombe dans les affres d'une guerre qui l'oblige à consacrer une bonne partie de ses capacités productrices à fournir des engins de destruction, et la fleur de ses hommes valides à tuer ou à être tués, son gouvernement cesse immédiatement d'admettre des restrictions de crédit, il refuse de s'arrêter pour manque d'argent : il ne pense plus qu'en termes de réel, en termes de bras et de matériaux. Comme le disait Roosevelt, il ne veut plus être entravé par le « non-sens financier ».

La guerre finie, ce pays reviendra, hélas, à régler sa vie économique en fonction de l'argent, en fonction d'un signe conventionnel qui n'est ni nourriture, ni vêtement, ni logement, ni santé, ni instruction. Ces gouvernements, cette élite diplômée, ces dirigeants de tous étages, raisonneront, jugeront, recommanderont ou imposeront des décisions sans rapport avec le réel.

Folie et fous de grande classe. Ce qui a fait dire à Jacques Duboin, fondateur du Mouvement français pour l'abondance : « Nous vivons dans un monde de fous dirigé par les plus remarquables d'entre eux ».

Un exemple

Ces fous, remarquables ou qui croient l'être, on les trouve dans les cabinets de ministres, dans lés parlements, sur les tribunes publiques, dans les colonnes de journaux, dans les studios de radio, sur les écrans de télévision, dans les chaires d'économie de nos universités.

En page éditoriale du journal «La Presse » du 20 janvier, Roger Champoux, commentant la menace d'une hausse de taxes pour les Montréalais, s'imagine très bien raisonner en disant et répétant que « le progrès doit se payer ». Montréal a progressé : l'heure est venue de payer, conclut le journaliste de Là Presse ». Il insiste : quand bien même on déciderait d'arrêter tout progrès désormais, « le progrès acquis doit être payé ». Le progrès déjà fait, déjà réalisé, doit être payé ; mais « reste à savoir comment, » ajoute-t-il.

Pauvre Roger Champoux, au lieu de vous demander comment payer le progrès réalisé, vous feriez bien mieux de réfléchir un peu, en termes de réel, et de vous demander qui a réalisé ce progrès ? Puis, à qui peut-il être question de le payer ? On va vous aider un peu dans ce raisonnement en termes de réel, auquel vous n'êtes sans doute pas habitué.

Les auteurs du progrès

Le progrès : rues nouvelles, ou élargies, ou améliorées ; trottoirs renouvelés, prolongement des conduites d'eau, nouveaux égouts, embellissement, etc. Voilà, certes, des attestations de progrès matériel réalisé. Mais un progrès qui ne s'est pas fait tout seul. Il a fallu y mettre des bras, des heures de travail, des ingénieurs, de la direction. Il a fallu aussi que des producteurs fournissent des produits alimentaires, des vêtements, et cent autres choses pour l'entretien de la vie et de la santé des travailleurs affectés directement aux améliorations et développements municipaux.

Ces bras-là, monsieur Champoux, ces ingénieurs-là, ce travail-là, ces matériaux, ces biens de consommation, sont-ils venus de ceux à qui vous dites qu'il faut payer le progrès ?

Dans un autre article de vous, dans « La Presse » du lendemain, vous revenez sur le sujet. A croire que vous avez l'impression d'être un expert. Vous soulignez un discours prononcé par M. Saulnier, président du Comité exécutif de Montréal, dans lequel il mentionne « une impasse financière » de la métropole ; puis un autre prononcé à Toronto par le maire Jean Drapeau, précisant que le seul service de la dette montréalaise exigera 6o millions de dollars pour l'exercice financier qui s'en vient.

60 millions, c'est certainement une grosse somme, quand ça ne sert qu'au service annuel de la dette ; donc 60 millions qui ne vont rien apporter en retour à la population, qui ne vont pas lui faire avoir un seul sac de ciment, un seul bout de tuyau, un seul pouce cube l'air pur.

Et ce morceau du budget annuel, prélevé des gens qui bâtissent leur ville, qui font tourner la roue de son industrie, qui édifient son progrès, va être versé à des gens qui ne fournissent à ces travaux ni matériaux, ni bras, ni cerveaux, ni produits d'aucune sorte.

Est-ce cela que vous appelez « payer le progrès » ? Avez-vous l'esprit normal, monsieur ? Raisonnez-vous en termes de réel ? Ou bien le sens du réel est-il obnubilé chez vous par l'acceptation aveugle du truc financier qui permet l'exploitation légalisée des Montréalais ?

Folie généralisée

Pourtant, il y a dans ce deuxième article de vous, monsieur l'expert, une constatation qui devrait vous ramener au sens du réel, si votre cas n'est pas désespéré. Vous- remarquez, en effet, que le cas de Montréal n'est pas unique ; que, s'il est frappant, c'est parce qu'il s'agit de la métropole, -mais que toutes les municipalités, le modeste hameau comme la grosse cité, sont dans la même situation. Toutes se sont permis des progrès — des progrès réalisés en termes de réel, ne l'oublions pas — mais des progrès qui s'expriment en dettes réclamant des paiements annuels.

Cela devrait vous faire comprendre, monsieur, que, d'une part, les travaux peuvent être exécutés à Montréal, à Tadoussac ou à Ste-Rose-du-Dégelé, ou n'importe où dans la province ; que matériaux et produits de consommation peuvent sortir- de fermes de l'Estrie, de forêts de la Gatineau, d'usines de la Mauricie, ou de n'importe où dans la province ; que, par conséquent, c'est toute la population laborieuse de la province qui contribue directement ou indirectement au progrès se réalisant n'importe où dans la province ; et que, d'autre part, c'est toute la population de la province, où qu'elle vive, qui se trouve endettée pour le progrès accompli.

D'un côté, la somme des activités et des réalisations. De l'autre côté, la somme des dettes — municipales, scolaires, provinciales et autres.

Qui donc produit le progrès ? — La population. Ce qu'elle ne fait pas elle-même, ce qu'elle doit obtenir de l'étranger, elle le compense par ses propres surplus de produits qu'elle envoie à l'étranger.

Or, qui, d'après le journaliste de « La Presse » et toutes les autres têtes pensantes du système, qui doit payer ce progrès une fois qu'il est accompli ? — La population qui l'a elle-même accompli.

Le payer à qui ? A des trafiquants de piastres, ou de dollars, ou de livres, ou de francs, qui peuvent être à Montréal, à Toronto, à Cleveland, à' New York, à Londres, à Paris, ou ailleurs.

Ne trouvez-vous pas, cher monsieur Champoux, que ça ressemble à un détraquement de l'esprit ? Et cette pratique insensée, bien établie dans la province de Québec, l'est également dans tout le Canada, également aussi dans tous les pays qui se piquent de civilisation avancée.

Vous avez intitulé votre article du 21 janvier : « Le prix de la grande vie ». Ne pensez-vous pas qu'il eût été plus juste d'écrire : « Le prix de la grande folie » ?

Vous trouveriez certainement fou de vouloir faire un boulanger payer le pain qui sort de son propre four, de vouloir obliger le cultivateur à payer le blé qu'il a lui-même récolté dans son champ. Autrement fou, folie dépassant toute mesure, de faire toute la population payer des développements qu'elle a elle-même réalisés !

Où la raison a sombré

Mais, objecterait sans doute le journaliste et des bonzes dé foutes dénominations avec lui, il a fallu de l'argent pour financer ces développements. De l'argent que les municipalités n'avaient pas. De l'argent qu'elles ont dû emprunter, et c'est pour cela qu'elles sont endettées et doivent maintenant payer.

Voyons un peu. Qu'est-ce qu'on fait avec cet argent, vieux ou nouveau, taxé ou emprunté ? On mobilise du travail et des matériaux, on met en œuvre la capacité de produire du pays, capacité qui existe déjà, puisqu'on peut l'utiliser. Quel est en tout cela le rôle de l'argent ? C'est un rôle de permis.

Et c'est rien que cela, l'argent. L'argent ne crée rien, absolument rien. Il n'est qu'un permis de mettre en mouvement ce qui existe déjà. Et si un pays, possédant tout ce qu'il faut pour produire les choses dont il a besoin, ne les produit pas, s'il reste en panne sous prétexte qu'il manque de permis, c'est une autre grande démonstration de folie.

Il n'y a nullement besoin d'extraire de l'or de la terre, pas même besoin de fabriquer et imprimer du papier. La forme la plus .moderne et la plus employée des permis, ce sont des chiffres qui demandent seulement une plume, un peu d'encre et un livre. Et comme ces permis sont valables sur tout ce qui existe dans le pays en fait de moyens de production —génie, main-d'œuvre, matériaux, transports — l'émission et la dispensation de ces permis ne peuvent légitimement relever que de la nation elle-même. Non pas de particuliers qui en font un trafic pour s'enrichir et pour se donner un pouvoir de contrôle sur toute la capacité de production, la paralysant, ou la ralentissant, ou conditionnant ses objectifs et son exercice.

Par quel tour de magie a-t-on réussi à faire croire à un pays capable, par exemple, de construire 50 milles de route, qu'il ne devra en construire que 25, n'aura de permis que pour ces 25 et, en outre, sera endetté envers les dispensateurs des permis pour toute la valeur de construction de ces 25 milles, avec de l'intérêt en plus ?

Comment peut-on faire admettre, par des gouvernements, et justifier par des journalistes, un resserrement du crédit financier (des permis), alors qu'il n'y a aucun resserrement de la capacité de produire et qu'il y a encore des demandes à satisfaire ?

On pourrait poser cent autres questions du genre, démontrant à l'évidence que le système financier qui nous régit est pourri, qu'il empoisonne la vie économique, qu'il empoisonne les administrations publiques, qu'il empoisonne l'enseignement et les plumes des journalistes, qu'il empoisonne les relations entre les hommes, et qu'il fait tous les taxés que nous sommes payer pour ce poison.

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