Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Le thème de notre congrès cette année était : « Promouvoir tout homme et tout l’homme dans l’amour et la vérité », basé sur la fameuse phrase de Paul VI, tirée de son encyclique Populorum Progressio, et sur la dernière encyclique de Benoît XVI « Caritas in veritate » (L’Amour dans la Vérité), commémorant les 40 années de « Populorum Progressio », que notre fondateur Louis Even commente largement dans l’article suivant, publié pour la première fois dans Vers Demain de mars-avril 1969 :
« Pour être authentique, le développement économique doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme ».
Ces mots sont du Pape Paul VI (tirés de son encyclique Populorum progressio, n. 14).
Ses prédécesseurs parlèrent dans le même sens, à mesure que des moyens de production de plus en plus efficaces laissaient des besoins personnels et familiaux en souffrance. Les Papes insistaient toujours sur la fin première du système économique — le service des besoins humains : non pas d’une collectivité abstraite, mais de chaque personne.
Notre journal Vers Demain, dès le début et maintes fois depuis, a repris le « à tous et à chacun » de Quadragesimo Anno du Pape Pie XI :
« L’organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu’il procurera à tous et chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l’industrie, ainsi que l’organisation sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer ».
Et les termes très clairs du Pape Pie XII sur les droits fondamentaux de chaque être humain à une part des biens terrestres, dans son radio-message du 1er juin 1941 :
« Tout homme, en tant qu’être doué de raison, tient en fait de la nature le droit fondamental à user des biens matériels de la terre... L’économie nationale ne tend pas à autre chose qu’à assurer sans interruption les conditions matérielles dans lesquelles pourra se développer pleinement la vie individuelle des citoyens ».
« Tous et chacun — Tout homme — Droit fondamental de tout homme — Vie individuelle des citoyens ». Ces expressions marquent bien qu’il s’agit de la personne, de chaque personne, et non pas d’une simple satisfaction collective.
C’est de la satisfaction des besoins de chaque individu qu’il est question, mais d’une satisfaction soutenue socialement, garantie socialement dans la mesure et au degré où le permet la capacité productive du pays. C’est pourquoi, dans son radio-message de 1944 le Pape Pie XII ajoutait, après avoir affirmé le droit de chaque personne à l’usage des biens de la terre :
« C’est laissé à la volonté humaine et aux formes juridiques des peuples de régler plus en détail la réalisation pratique de ce droit ».
Les formes juridiques des peuples — donc, les législations des pays respectifs.
Droit individuel reconnu et exercé avec l’appui de l’ordre établi — Pie XI aussi l’avait indiqué dans la phrase citée plus haut : « L’organisme économique et social sera sainement constitué... »
Aucun doute, donc, sur le droit fondamental de chaque personne, et la possibilité de l’exercer doit lui être facilitée par la législation de son pays. Le bien commun ne signifie pas la suppression des biens individuels légitimes. Au contraire, le bien commun doit consister dans un ordre social qui permette à chaque personne de s’épanouir mieux que sans cet ordre social. Et le premier devoir des responsables de ce bien commun, c’est de veiller à ce que chaque individu puisse avoir accès aux biens nécessaires à la vie.
Dans quelle mesure l’organisme économique et social doit-il faciliter à tous l’accès à des biens matériels ? Pie XI dit :
"Tous les biens que les ressources de la nature et de l’industrie ont le moyen de leur procurer".
Non pas que cela doive signifier le même niveau de vie pour tous. Mais pour chacun :
"Ces biens doivent être au moins assez abondants pour satisfaire aux besoins d’une honnête subsistance".
Dans nos pays industrialisés, on aime à évaluer la richesse économique d’un peuple d’après l’abondance de sa production globale. Mais le Pape Pie XII corrige cette vue. Il rectifie :
La richesse économique d’un peuple consiste bien plutôt :
« dans ce qu’une telle abondance représente et fournit réellement et efficacement comme base matérielle pour le développement personnel convenable de ses membres ».
Il y a là un devoir incombant aux législateurs. La part nécessaire de chaque personne aux biens essentiels à la vie ne doit pas être laissée aux aléas des circonstances, aux accès de fièvre ou de dépression du mécanisme de crédit, aux maladies périodiques ou chroniques des unités monétaires, aux décisions des créateurs de vaches grasses et de vaches maigres, aux appétits ou aux indigestions des fauves de la finance et de la grande industrie ; ni à l’humeur, accueillante ou repoussante, des prêteurs internationaux auxquels des gouvernants sots ou déchus vont, chapeau bas, demander la permission de mettre en œuvre les possibilités productives de leurs pays.
Nos pays évolués n’ont plus de réels problèmes de production pour répondre aux besoins normaux de toute leur population. Mais ils souffrent honteusement de problèmes de distribution — la chose pourtant la plus simple et la plus agréable à accomplir. Non pas qu’ils manquent de moyens de transport ou de livraison, mais parce que l’accès d’un individu aux produits offerts est conditionné par le pouvoir d’achat dont il dispose. Or ce pouvoir d’achat n’est point lié à la personne ni à ses besoins ; il résulte de divers facteurs qui laissent des personnes, des familles privées ou insuffisamment pourvues de moyens de paiement.
Pour tout homme — on vient de le dire. Mais aussi, « pour tout l’homme », ajoute Paul VI.
Pour l’homme tout entier. Ce qui doit bien vouloir dire, pour un être qui possède plus que la vie végétative, plus que la vie animale, pour un être doué de raison, pour un être créé libre et responsable, pour un être qui normalement aspire au développement, à l’épanouissement de sa personne.
Il y a plus encore. Cet être, dont la vie naturelle est déjà marquée d’une haute dignité, est appelé à une vie incomparablement plus élevée, dépassant infiniment sa vie naturelle d’être raisonnable, libre et responsable, à une vie surnaturelle, participation, par la grâce, de la vie divine même, et cela pour toute l’éternité.
On sort là, il est vrai, de la compétence d’un organisme économique et social. Il faut ici des moyens surnaturels pour une fin surnaturelle. Et l’Église y pourvoit magnifiquement, par les moyens que son Fondateur a mis à sa disposition.
Mais il reste, puisque nous parlons de vie économique et sociale, il reste que l’organisme économique et social doit traiter l’homme avec tout le respect que méritent sa dignité naturelle et sa vocation surnaturelle. Donc, que les systèmes, méthodes et moyens établis pour procurer à tous une part suffisante de biens terrestres n’abaissent personne, n’avilissent personne, n’inculquent à aucun membre de la société une mentalité de mendiant vivant aux crochets et aux dépens des autres, alors qu’il est un ayant-droit.
Autrement dit, l’organisme économique, son mode et son style de distribution des biens correspondants aux besoins humains, doit poursuivre la sécurité économique de tous et de chacun, sans humilier personne, sans y mettre des conditions qui assassinent la liberté.
Bien que ce soit un bonheur temporel qui est fin immédiate de la vie économique, toute institution s’y rattachant doit, non seulement ne pas susciter de difficultés sur la voie de l’homme vers sa destinée éternelle, mais, au contraire, la lui faciliter en le libérant le plus possible de soucis matériels accablants.
« Tout l’homme » comprend cela : l’homme du temps et l’homme de l’éternité. Le souci de l’un ne doit pas être au détriment de l’autre, puisque les deux concernent le même être. La pire catastrophe serait d’organiser une vie temporelle qui contribuerait à manquer une vie éternelle infiniment heureuse pour une vie éternelle si épouvantablement malheureuse qu’on l’appelle la mort éternelle.
Si S. S. Paul VI veut un ordre économique et social qui tienne compte de tout l’homme, il nous semble que ce souci de « tout l’homme », même dans les organismes temporels, était aussi à la pensée de son prédécesseur Jean XXIII, lorsqu’il écrivait dans son encyclique Mater et Magistra (alinéa 223) :
« Les êtres humains doivent être fondement, but et sujet de toutes les institutions où se manifeste la vie sociale. Chacun d’entre eux étant ce qu’il est, doit être considéré selon sa nature intrinsèquement sociale et sur le plan providentiel de son élévation à l’ordre surnaturel. »
Grands mots de rapiéçage
Nous avons cité des principes rappelés par les Papes. Mais les modes d’application sont à choisir et à appliquer par les peuples eux-mêmes. C’est loin d’être réalisé, même si ces principes ne sont pas rejetés, même si on leur rend hommage, un hommage verbal à l’occasion.
Des chefs politiques ont forgé des formules qu’ils ont voulu signifier de grands desseins, mais c’en est resté là. « Ordre nouveau (New Deal) » de Roosevelt ; « Nouvelle Frontière » de Kennedy ; « Grande Société » de Johnson ; « Société Juste » de Trudeau... Leurs ombres passent et ne laissent dans leur sillage que des taxes plus élevées et des dettes accrues.
Parler de remèdes, même si on n’en fait rien, c’est tout de même admettre qu’il y a maladie.
Depuis une couple d’années, sans avoir renié le slogan « Plein emploi » d’après la deuxième grande guerre mondiale, certains se prennent à considérer l’idée de revenus à tous, même sans condition d’emploi. Des syndicats ont commencé par dire : « Salaire annuel garanti », signifiant que même si l’employé est mis en chômage pendant une ou plusieurs périodes, il est payé quand même comme s’il avait travaillé les douze mois. C’était un progrès : on ne condamnait plus comme immoral de l’argent « non gagné » par le travail.
Un pas de plus a suivi. Vu que tout le monde n’est pas salarié, le salaire même garanti ne donnerait pas de quoi vivre à tout le monde. On entend donc maintenant dire : « Revenu annuel garanti ». Le revenu, c’est de l’argent. L’argent, c’est l’accès aux produits. Un revenu annuel garanti à tous, ce serait donc l’accès aux produits, garanti à tous. Ce serait un droit aux produits, attaché à la personne, et non plus uniquement à la condition d’emploi dans la production.
Les promoteurs, encore rares, de la formule, d’ailleurs imprécise, du « revenu annuel garanti », sont cinquante années en retard sur les propositions bien précises et scientifiquement basées du Crédit Social, dont nous parlerons tout à l’heure.
Il serait inexact de dire que rien n’a été fait depuis la dernière guerre pour atténuer les effets révoltants d’un système économique qui sait produire en abondance, mais ne sait pas distribuer. Sous la pression justement d’une abondance accumulée acculant au chômage et provoquant à la révolte, et aussi parce que l’enseignement lumineux du Crédit Social a fait plein jour sur le mystère de l’argent et jeté aux orties le jargon des économistes, les gouvernements ont procédé à certaines mesures pour permettre de distribuer un peu de pouvoir d’achat à des personnes qui n’en reçoivent pas d’un emploi dans la production. C’est pour elles un revenu dissocié de l’emploi. On a vu naître ainsi : les allocations familiales, demeurées trop minces devant des prix triplés et une production accrue ; des pensions d’invalidité et de cécité ; des allocations aux mères nécessiteuses ; des assistances sociales ; des pensions de vieillesse.
C’est mieux que le néant d’avant la deuxième guerre mondiale. Mais c’est encore du rapiéçage pour réparer un peu les déficiences d’un revenu mal ordonné à sa source, et empêcher l’effondrement total d’un système cahin-caha de distribution.
Tout l’argent affecté à ces mesures dites de sécurité sociale provient de revenus d’abord liés à l’emploi. Extrait par des taxes et redistribué aux pensionnés et aux secourus.
Mais, taxer ainsi le revenu de A et de B, pour passer à C ou D, c’est puiser dans l’assiette des premiers pour mettre dans l’assiette vide des derniers, alors que le garde-manger reste plein à craquer par le flot fourni de l’abondante production moderne. Cela ne paraît pas bien intelligent.
Et comme les taxes sont de plus en plus exécrées à mesure qu’elles taillent davantage dans les revenus provenant de l’emploi, il arrive que cette manière de vouloir reconnaître le droit de tous au nécessaire irrite les taxés sans même satisfaire suffisamment aux besoins des secourus, en humiliant aussi beaucoup de ces derniers par des conditions, des enquêtes, des ré-enquêtes, des sermons trop souvent et même parfois des reproches, — ce qui n’est point du tout conforme à ce qui est compris dans le terme « tout l’homme ».
Ces défauts dans la distribution de biens répondant aux besoins proviennent de ce que la vie économique est viciée par sa soumission à un système financier complètement détourné de sa fin. Un système devenu dominateur quand il devrait être serviteur. Système aussi qui fausse la vision des réalités économiques.
Ces réalités sont, d’une part, les besoins des hommes — besoins privés ou besoins publics — et d’autre part, les possibilités existantes de répondre à ces besoins.
Si l’on raisonne en termes de réalités, la situation se présente ainsi : Y a-t-il assez de blé pour pouvoir fournir assez de pain à tous les citoyens du pays ? Si oui, alors tous doivent pouvoir obtenir assez de pain. Et ce terme de pain couvre la masse des produits alimentaires.
Même raisonnement pour le vêtement. Même raisonnement pour le logement. Même raisonnement pour tout ce que les besoins humains réclament normalement.
Mais avec la priorité accordée à l’argent, le raisonnement est tout autre : les familles veulent du pain et il y a vraiment du pain en abondance pour tous ; mais l’argent leur manque pour payer le pain. Elles devront donc s’en passer, même si des producteurs de produits alimentaires doivent de ce fait diminuer leur production et souffrir eux-mêmes de la mévente de leurs produits.
Ou encore : telle municipalité a besoin d’un aqueduc, ou d’un système d’égouts. Elle y pourvoira si elle a l’argent en main ; elle attendra si l’argent n’est pas là, quand bien même il y aurait dans le pays tout ce qu’il faut, en matériaux, en main-d’œuvre disponible et en compétence.
Si le système financier était un reflet exact des réalités, comme il devrait l’être, l’un et l’autre raisonnement pourraient s’équivaloir. Mais ce n’est nullement le cas. On a vu, au contraire, l’argent abonder davantage quand les producteurs de biens étaient mobilisés par l’armée ou par des industries de guerre qui ne servent ni à nourrir, ni à vêtir, ni à loger.
Demandez au gouvernement de tripler les allocations familiales, parce qu’elles n’ont point été accordées au taux des hausses des prix, on vous fera répondre : Ce serait bien désirable, mais notre situation financière ne le permet pas.
Objectez : Mais si les familles qui élèvent des enfants se procuraient plus de lait, plus de fruits, plus d’autres utilités, croyez-vous que la capacité de production du pays est trop épuisée pour y répondre ? On vous répondra : La question n’est pas là ; le pays peut produire, mais il ne peut pas payer — et c’est final, on ne passe pas outre.
La finance n’est pas en rapport avec le réel en matière de production. Et c’est la finance qui dicte la décision. Elle peut faire fi des besoins humains : elle est plus sacrée que les enfants, que les personnes, que les familles. Elle est du moins considérée comme plus sacrée, dans la pratique, par tous les gouvernements et par tous leurs conseillers diplômés du système.
On pourrait écrire des pages sur cette monstrueuse sujétion à un système financier en désaccord avec les possibilités réelles de satisfaire des besoins humains. Monstrueuse — surtout quand on sait que le monopole de l’argent et du crédit ne domine ainsi la vie économique qu’en accaparant et traitant comme sa propriété le crédit réel de la société, la capacité productive de la société — sans laquelle l’argent n’aurait aucune valeur.
La grande capacité moderne de production, si elle était servie, au lieu d’entravée, par un système financier adapté, pourrait facilement répondre aux besoins d’une vie convenable pour toutes les familles du pays, et facilement aussi aux besoins publics dans l’ordre de leur priorité. Ce qui permettrait vraiment un organisme économique et social pour tout homme et pour tout l’homme. En même temps, les pouvoirs publics, de tous les échelons, cesseraient d’être continuellement harcelés par des problèmes de finance. Leur fonction principale et presque unique semble être de chercher de l’argent.
Les lecteurs habituels de Vers Demain ont pu remarquer que, en matière économique, ce journal ne parle guère que du système financier. Rien des méthodes de production, des richesses naturelles, des pouvoirs d’eau, des mines, des moyens de transport, des grandes industries, sauf pour critiquer leur gigantisme et la dépersonnalisation des masses qu’elles emploient. Rien des méthodes d’agriculture, des métiers, de l’apprentissage, etc.
Pourquoi ? Nous n’ignorons certainement pas l’importance de toutes ces autres questions, mais nous constatons qu’elles sont très bien traitées par d’autres auteurs. Que, d’ailleurs, le flot de production de toutes sortes est bien entretenu et que, s’il y a étranglement ou « congestionnement » quelque part, ce n’est point dû au système producteur lui-même, mais au système financier qui est d’une toute autre origine.
De même, nous laissons à d’autres les questions de sociologie, même si elles touchent de près à la bonne orientation de la vie sociale — sauf, ici encore, pour regretter que les sociologues examinent tout, excepté le système financier qui pourtant affecte considérablement le comportement de la vie sociale comme de la vie économique.
Nous ne prétendons nullement que l’institution d’un système financier selon les grandes propositions du Crédit Social réglerait de lui-même tous les cas de production, d’exploitation des richesses naturelles, de relations commerciales ou sociales entre les hommes. Non, mais il faciliterait singulièrement leur solution par ceux qui en font leur spécialité.
Nous croyons que, comme l’exprimait le Pape Benoît XV, la question sociale se résume à une juste distribution de la richesse. Nous croyons, de plus, que cette juste distribution pourrait être réalisée par un système financier reflétant les réalités et comportant, dans ses règlements, la garantie d’un certain revenu à tous et à chacun des membres de la société.
C’est ce que ferait l’application des principes du Crédit Social, tels qu’énoncés par l’ingénieur économiste C. H. Douglas.
D’où l’importance considérable que nous y attachons.
Mais pour bien comprendre le Crédit Social et les possibilités de son application, il ne faut pas en juger sous l’éclairage du système actuel.
Du premier coup, le système actuel et le Crédit Social prennent, vis-à-vis de la finance, deux attitudes opposées :
Le système actuel soumet les possibilités physiques de production à la présence des moyens de paiement (à l’argent, au crédit financier).
Le Crédit Social, au contraire, soumet le système financier aux possibilités physiques de répondre aux besoins humains.
Comment le Crédit Social peut-il obtenir ce renversement ? — Parce qu’il considère qu’un système financier doit être assez souple pour s’adapter en tout temps aux réalités économiques, qui sont elles-mêmes le résultat d’actes posés par des producteurs libres répondant à des besoins humains exprimés librement par des consommateurs libres. D’où le titre de « Démocratie économique », que Douglas donna à son premier livre sur ce sujet.
C’est d’autant plus facile à réaliser que le système d’argent est déjà, actuellement, un système de comptabilité. Il n’est que d’en faire une comptabilité exacte, au lieu de cette comptabilité fausse qui exprime un enrichissement réel, effectué par la population du pays, par une dette publique à payer par la population du pays. Et ses autres mauvais fruits sont multiples.
Pour comprendre le Crédit Social, il faut aussi admettre que, dans son ensemble, la population doit payer le prix de ce qu’elle consomme et non pas le prix de ce qu’elle produit. Cela paraît juste, mais ce n’est pas ce qui arrive aujourd’hui, où l’on exige du consommateur le paiement du prix comptable de la production, alors même que le coût total de la consommation faite en rapport avec cette production n’est pas du tout équivalent à la somme des dépenses qui constituent le prix comptable de revient.
Cela peut paraître obscur à celui qui aborde le sujet pour la première fois. Mais nous l’avons expliqué en détail maintes fois dans le journal Vers Demain. Et nous pourrons y revenir. (On peut trouver des éclaircissements sur ce point et d’autres dans notre brochure « Un nouveau système financier efficace », en vente, au bureau de Vers Demain.)
Douglas définit le juste prix à faire payer par le consommateur en ces quelques mots : « Le juste prix de la production est le coût de ce qu’il a fallu consommer pour réaliser cette production ». De sorte que, par exemple, si le prix comptable de revient de la production, en 6 mois, est de 20 milliards, et si la consommation totale dans ces mêmes 6 mois est de 15 milliards, le prix comptable reste bien de 20 milliards, mais le coût réel n’est que de 15 milliards. La population ne doit payer que 15 milliards, tout en accordant aux producteurs leur prix comptable de 20 milliards. Le consommateur ne paiera que les ¾ du prix, et l’organisme financier compensera pour le reste.
C’est là l’ajustement scientifique des prix, inconnu du système actuel. Et c’est pourquoi le Crédit Social ne peut être ni inflationniste ni déflationniste. Il conforme la situation de la finance et des prix à la réalité de la production et de la consommation. Le résultat, c’est que rien n’entrave les possibilités productives tant qu’elles répondent à des besoins et que les besoins ont accès à toute la production offerte : si l’on veut davantage, il n’y a qu’à produire davantage. Selon l’expression de Douglas, la seule limite à la production, c’est soit la limite de ses possibilités physiques, soit la saturation des besoins.
L’ajustement scientifique des prix permet aussi de régler socialement le mode de distribution de la richesse produite. Si le producteur a droit à son prix de revient, une fois que cela lui est garanti, il n’a pas le droit de déterminer à quelles conditions les consommateurs y auront droit. Ceci ressort de l’organisme social établi à cette fin pour servir la société : tout comme le système judiciaire est établi pour servir la justice au nom de la société, les jugements étant rendus d’après des lois que les juges ne font pas eux-mêmes et d’après les témoignages de faits auxquels le juge est tout à fait étranger.
Un autre principe du Crédit Social, qui doit être admis, parce qu’il correspond au réel, mais dont on ne trouve aucune application dans le système actuel, c’est que :
L’abondante production moderne est bien plus le fruit d’inventions, de perfectionnements successifs, d’applications scientifiques, de découvertes de puissantes sources d’énergie — en un mot, du progrès, — que du travail des hommes employés dans la production. C’est là un héritage, un immense capital réel. Capital bien plus important que le capital-argent, qui n’est après tout qu’un capital-chiffres qu’un organisme financier social pourrait créer avec autant d’efficacité que la plume du banquier, alors que le capital progrès a pris des siècles à se former.
Cet héritage communautaire, grand facteur de production, n’est la propriété exclusive d’aucun être vivant. C’est un bien commun dont l’usufruit doit valoir un revenu social, un dividende périodique à tous les co-héritiers, à tous les membres de la société au même degré, sans pour cela supprimer la rémunération à ceux qui participent à mettre ce capital en rendement.
Comme on voit, le Crédit Social envisage une conception du système financier et du mode de distribution de la richesse, bien différent de celle du système rapace et antisocial d’aujourd’hui. Une économie créditiste pourrait fort bien se servir des mêmes canaux pour la mise en circulation et de retour du crédit financier, mais avec un mode s’inspirant d’une tout autre philosophie. Philosophie parfaitement en rapport avec le service de tout homme et de tout l’homme, réclamé par les Papes pour un organisme économique sain et authentiquement social.
Tout cela dit bien sommairement, on retrouvera ces principes du Crédit Social plus résumés encore, dans les trois propositions suivantes, formulées par le maître Douglas, pour leur mise en application :
Les deux premières propositions voient au financement automatique de la production et à l’application de l’ajustement scientifique des prix dans le retour des crédits financiers.
La troisième proposition a trait à la garantie d’un dividende social à tous, croissant et déplaçant les salaires comme pouvoir d’achat, à mesure que le progrès déplace le travail salarié comme facteur de production.
Voilà de quoi occuper l’esprit du lecteur. Mais que le nouvel étudiant ne se décourage pas. Personne n’a jamais maîtrisé un cours d’économie, même élémentaire, en une heure ou deux.
Puis, pour le Crédit Social, il faut se transporter dans une optique créditiste, pour envisager cette nouvelle conception du financement de la production et de la distribution des produits.
Surtout, qu’on n’oublie pas qu’il s’agit d’une finance qui se plie aux réalités, et non plus de réalités qui doivent se plier à la finance.
La méditation doit entrer dans cette étude, pour en saisir de mieux en mieux la lumière et sa puissance d’efficacité. Mais le résultat vaut l’effort.
Le Crédit Social peut-il être appliqué
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