Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Vincent Marmion est gérant d’un petit magasin de décoration à Boulogne-Billancourt, Ardeni Déco, avec un chiffre d’affaires de 255000 euros. Au printemps dernier, bien avant que la crise financière ne se transporte en Europe, sa banque le place en “recouvrement amiable” sur le découvert autorisé: “Cette tension brutale sur la trésorerie dans une conjoncture peu favorable a accru les difficultés, au point de me contraindre à la cessation de paiement puis à la liquidation judiciaire début août, sans droit au chômage en tant que gérant non salarié.”
Ardeni Déco fait partie des 11407 entreprises françaises qui ont déposé leur bilan au troisième trimestre 2008. Presque toutes témoignent avoir été victimes d’impasses de trésorerie, liées au durcissement préventif des banques sur les portefeuilles de petits risques, au moment-même où leurs traders en prenaient de si grands sur les “produits dérivés” de valeurs hypothécaires inconnues…
Pour beaucoup d’autres petites entreprises qui résistent encore, le danger vient moins des menaces sur l’activité que des comportements arbitraires et souvent imprévisibles de leurs partenaires financiers. Sandrine Duponchelle, qui dirige une entreprise de transport routier dans le Nord (Fox Trucking, 860000 euros) ne comprend pas pourquoi sa société d’assurance-crédit l’a placée sur sa liste noire en juillet 2008, provoquant la désactivation des cartes d’approvisionnement en gas-oil de ses cinq camions: “Malgré une perte d’exploitation, mon bilan est positif, et j’ai toujours mis un point d’honneur à régler mes fournisseurs.”
Jean-Marc Allichon, gérant d’une entreprise de menuiserie en Ille-et-Villaine (Aequipa, 2 710 000 euros), décroche un carnet de commandes en hausse, mais voit ses lignes de crédit fournisseur sévèrement amputées: “Le mois de septembre a été excellent, et pourtant nous apprenons que notre encours fournisseurs baisse à l’inverse proportion de nos commandes. Notre entreprise est saine, créée depuis douze ans, aucun découvert bancaire, ni prêt de trésorerie demandé. Les banques ont mis le pied sur le frein, les assureurs-crédit (Sfac, Coface, Atradius) ont pris des “bouillons” lié à la crise immobilière et nous trinquons pour eux ! Ou comment mettre en danger une entreprise de 30 personnes avec un carnet de commandes en expansion !”
Fox Trucking et Aequipa renvoient ici aux trois millions d’entreprises françaises pour lesquelles les pratiques de spéculation financière ou de délocalisation n’ont pas le moindre sens. Si les centaines de milliards investis dans le sauvetage des acteurs financiers et la relance du crédit aux entreprises ne servent pas réellement à les soutenir, c’est toute l’économie régionale et tout l’emploi de proximité qui peuvent se trouver pris dans la tourmente de la récession.
Hugues Kéraly